Raids sur les territoires des indiens Wet’suwet’en

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Chaque fois que le Canada a une chance de rompre avec son violent passé colonial envers les Premières nations, il reprend automatiquement ses mauvaises habitudes. Jeudi [NDLR : 6 février 2020], la GRC et l’État canadien sont parvenus à un carrefour moral sur une route de campagne enneigée, ils ont contemplé brièvement la voie de la réconciliation. Puis ils ont dit : « On s’en fout ». Une présence policière hautement militarisée a une fois de plus fait usage de la force contre les manifestants de la nation Wet’suwet’en, qui s’opposent à la construction d’un gazoduc de méthane de 6,6 milliards de dollars, nécessaire pour alimenter un projet de gaz naturel liquéfié de 40 milliards de dollars, projet par ailleurs très peu rentable.

Ce faisant, la police a nié de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones.

Or rien de complexe dans ce document. Comme le note le criminologue Jeff Monaghan, la déclaration prévoit « que des conflits comme celui-ci ne seront pas résolus par la violence ou par la force militaire, mais par des solutions négociées. Le document nous enjoint de trouver des solutions négociées pacifiques qui respectent les droits de chacun, et ce en pleine égalité ».

Ce n’est pas ce qui s’est passé.

En tant qu’agents dociles de l’État canadien se portant à la défense de l’extraction des ressources, la GRC a démontré que le gouvernement Trudeau fait passer les projets de méthane fortement subventionnés avant la réconciliation et les déclarations des Nations unies.

Soyons clairs : au Canada, le gaz naturel à bas prix est plus important que les revendications territoriales non résolues.

Cela implique que le gouvernement a également signifié à la nation qu’il faisait passer les projets de l’industrie du GNL (gaz naturel liquéfié), non rentables, avant l’enjeu du changement climatique, sachant bien que les graves fuites de méthane provenant de l’industrie du gaz de schiste représentent un facteur accélérant le chaos.

Il fait également passer les intérêts de l’industrie du GNL au-dessus du risque de destruction des terres arables et avant le respect des droits des Premières nations en vertu du traité de Peace River.

Dans cette précieuse région de la Colombie-Britannique, l’industrie du gaz de schiste continue la fracture hydraulique, d’industrialiser et de fragmenter ce paysage en toute impunité, car après tout, il n’y a que des populations rurales qui y vivent.

Les chefs héréditaires de la nation Wet’suwet’en ne demandent pas grand-chose : ils veulent que les droits et les titres autochtones soient respectés et reconnus par les gouvernements de la Colombie-Britannique et du Canada.

Les chefs ont tenté de négocier avec le gouvernement de la Colombie-Britannique au sujet de l’application récente d’une injonction du tribunal, mais n’ont obtenu aucun résultat avec le premier ministre John Horgan.

Les récentes négociations ont échoué comme prévu pour une raison évidente : le gouvernement de la Colombie-Britannique est devenu un marchand de GNL, au pays et à l’étranger.

L’industrie du gaz de schiste est mieux défendue au sein du gouvernement de la Colombie-Britannique que les voix des citoyens ordinaires qui, eux, paient des impôts.

Mais qu’en est-il des vingt Premières nations qui ont signé en faveur du projet, me direz-vous ?

Oui, ils ont signé et les négociations ont été coloniales. C’était signer ou ne rien obtenir. De nombreuses nations ont signé sous de fortes contraintes. On ne leur a pas non plus présenté d’alternatives économiques.

Comme l’a fait remarquer Dayna Scott, juriste et experte en droit autochtone, les dirigeants autochtones sont confrontés à un « faux choix ». « On leur demande de choisir s’ils veulent ou non signer un accord et obtenir certains avantages pour leur peuple pour un pipeline qui va passer de toute façons, qu’ils soient d’accord ou non ».

Considérons maintenant la position du chef héréditaire Na’Moks (John Ridsdale). Il n’est pas disposé à se contenter d’accords de bénéfice mutuel ou de l’équivalent moderne de colifichets et verroteries.

« Ils voulaient avoir accès à la terre, et nous avons dit que vous n’y aurez pas accès, que vous n’aurez jamais l’approbation, ni des chefs héréditaires, ni de notre peuple ». Un esprit colonial, cependant, ne peut pas comprendre de tels arguments, car il refuse toujours d’accepter le passé sale de la nation.

En majorité, les Canadiens demeurent un peuple minier arrogant qui ne se soucie guère des vérités de notre histoire coloniale. La plupart pensent encore que nous n’avons rien à reconnaître, et encore moins à réparer.

Ces négateurs ou sceptiques devraient lire l’indomptable Bev Sellars, ancien chef et conseiller de la Première Nation Xat’sull (Soda Creek) à Williams Lake. Son livre cinglant, Price Paid, présente la question de la réconciliation dans une métaphore claire et éloquente.

Imaginez que vous possédiez une belle maison. Puis vous la partagez gracieusement avec une bande d’invités blancs venus d’outre-mer. Sans même dire merci, ces invités ont pris possession de plus en plus de chambres dans la maison. Bientôt, ils ont imposé leurs propres lois et ont même interdit les coutumes d’origine du propriétaire. Finalement, les envahisseurs ont chassé les propriétaires d’origine et les ont laissés mourir.

Tant que chaque Canadien ne pourra pas visualiser cet abus colonial, tant que nous ne pourrons pas tous sentir cela dans nos tripes, il n’y aura pas de réconciliation dans ce pays.

Ceux qui ne sont pas encore convaincus par la métaphore de Sellars devraient lire le brillant ouvrage de James Daschuk, Clearing the Plains [N.D.L.R : La destruction des Indiens des Plaines, dans sa traduction française par Catherine Ego).

Nous savons tous que le gouvernement américain pensait qu’il pouvait assassiner les Indiens dans le but de leur soumission. Le gouvernement canadien a adopté une approche différente : il a mené une politique de relocalisation planifiée, de famine et de maladie. Des agents ont volé des fonds et violé des femmes autochtones. Toute personne qui résistait était pendue. Puis sont apparus les pensionnats.

La volonté de l’État canadien d’ignorer la réconciliation est encore plus exaspérante si l’on considère sa défense coloniale de l’économie grotesque du GNL et du fracturation hydraulique dans le nord de la Colombie-Britannique.

Au Canada, le développement du GNL est devenu un absurde « moteur soviétique » qui ignore les coûts et les dommages environnementaux.

Mais étant canadien, il se drape du mot plastique « responsable ».

Les subventions « responsables » pour l’industrie du GNL financée par des fonds étrangers comprennent désormais des réductions de redevances, des crédits de redevances d’une valeur de près d’un milliard de dollars, des coûts de l’électricité réduits, des réductions d’impôts, de l’eau gratuite pour la fracturation, des taxes sur le carbone réduites et des exonérations des taxes de vente provinciales pendant la construction. Le gouvernement canadien a même investi 275 millions de dollars dans LNG Canada !

Cependant, ces subventions ne peuvent toujours pas rendre le GNL économique. En 2018, l’Institut canadien de recherche sur l’énergie (Canadian Energy Research Institute — CERI) a fait une analyse économique entourant le GNL.

L’étude a conclu que le GNL de l’Ouest canadien serait de 1 à 3 dollars plus cher que le prix au comptant actuel au Japon, qui est de 8 dollars par million (BTU), et qu’il fallait davantage de subventions et de crédits d’impôt.

Le CERI a ensuite calculé ce dont l’industrie du GNL aurait besoin en termes de prix futurs pour rester économiquement viable : un prix de marché de 8,99 dollars par million de BTU ou plus en Asie pour atteindre le seuil de rentabilité. Ou un prix du pétrole d’environ 80 dollars ou plus pour atteindre le seuil de rentabilité dans le cadre de contrats GNL à long terme.

Ces conditions n’existent pas et ne montrent aucun signe de réalisation.

La surabondance de GNL dans le monde a fait chuter les prix en Asie jusqu’à 5,5 dollars par million de BTU au Japon et en Inde. Selon les analystes, cette surabondance pourrait durer des années.

Pendant ce temps, les prix du pétrole, qui influencent le prix du GNL, restent dans le creux.

C’est à croire que les gouvernements du Canada et de la Colombie-Britannique sont prêts à donner gratuitement du GNL, car ni Coastal GasLink ni LNG Canada ne sont rentables à l’heure actuelle.

Cette situation économique épouvantable explique pourquoi Chevron s’est retiré du projet de GNL Kitimat l’automne dernier. En même temps, Chevron a amorti 11 milliards de dollars d’actifs de gaz de schiste peu performants dans les Appalaches en raison de la faiblesse des prix et de la surproduction.

Dans l’ensemble du secteur pétrolier nord-américain, le boom du schiste s’est effondré car de plus en plus d’entreprises font faillite et les investisseurs refusent de prêter plus d’argent aux entreprises dont les coûts dépassent leurs revenus.

Compte tenu de la volatilité des prix des matières premières, la réconciliation devrait passer en premier.

Même s’il y avait des arguments économiques valables en faveur du GNL (et il n’y en a pas), l’indécence de notre passé exige moralement que nous fassions ce qui est juste et que nous respections les titres autochtones.

Et ne nous pavanons pas comme des paons et ne parlons pas de l’État de droit comme l’a fait Horgan.

En Alberta, les compagnies pétrolières et gazières enfreignent désormais la loi tous les jours. Elles doivent 172 millions de dollars d’impôts aux municipalités rurales et des millions de plus aux propriétaires terriens pour des baux de surface non payés.

Le premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, arrête-t-il les criminels en col blanc en infraction et les accuse-t-il de rompre des contrats civils ? Non. Il excuse volontiers leur comportement.

Il existe donc au Canada un État de droit pour les extracteurs de ressources insolvables, et une autre pour les Premières Nations, les municipalités rurales et les propriétaires terriens.

Heureusement, les Wet’suwet’en respectent des lois millénaires.

Ils ont l’intention de les faire respecter.

Nous devrions faire de même.

ANDREW NIKIFORUK
Article d’abord paru sur le site de The Tyee.
Traduction : Myriam Cloutier (JdA)