L’abêtissement de la France, ou le triomphe inquiétant d’une Droite incorrecte

Steve Bannon, l’inventeur de l’alt-right américaine, aujourd’hui inculpé pour avoir détourné à son profit de l’argent collecté auprès du public pour financer la construction du fameux mur anti-immigration de Trump sur la frontière mexicaine, était l…

Steve Bannon, l’inventeur de l’alt-right américaine, aujourd’hui inculpé pour avoir détourné à son profit de l’argent collecté auprès du public pour financer la construction du fameux mur anti-immigration de Trump sur la frontière mexicaine, était l’invité d’honneur du congrès du Front national, devenu Rassemblement national, en mars 2018.

Pour la droite la plus ultra, tous les moyens sont bons pour arriver à ses fins. Ses mensonges sont innombrables. Souvent infâmes. La plupart sont dévoilés, mais elle s'en moque absolument. Le mal est fait. Le mal circule. Le mal est viral. La fachosphère infecte les esprits et abêtit la France. Cet abêtissement moral, qui est un affaissement de la décence, un endurcissement des cœurs, un appel aux tripes et aux passions les plus basses, qui ne seraient plus honteuses, mais au contraire glorieuses, à “dire tout haut plutôt qu’à penser tout bas”, et finalement une préparation des esprits à une guerre civile qu’on présente comme inévitable et désirable, cet abêtissement-là, à qui les média donnent de plus en plus de place, correspond parfaitement à la vraie définition de l’ensauvagement * : là où le civilisé jette la morale aux orties pour aller se vautrer dans les bonheurs de l’horreur. L’Italie fasciste et l’Allemagne nazie, Verdi et Goethe trahis, des millions de gens cultivés devenus fous, sont de parfaits exemples de ce qu’est l’ensauvagement. Le vol à l’arrachée fait pâle figure à côté.

Les partisans de la droite ultra, et cela vaut dans tous les pays où ils font la guerre, se vantent de leur mauvaise foi et ricanent sans honte de leur malignité.

Ils sont exactement shameless, sin verguenza, sans vergogne ni remords.

Tout leur est bon. Ils ne doutent de rien. Et surtout pas d'être dans le camp du Bien.

Ce qui justifie pour eux tous les arrangements avec la morale qu'ils prétendent pourtant incarner comme personne.

A la guerre comme à la guerre. L'ultra-droite est parfaitement dans la lignée de la fameuse phrase d'Arnaud Amaury, abbé de Cîteaux et légat du pape chargé de ramener les cathares à la vraie foi, avant le sac de Béziers, 22 juillet 1209 : "Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens !".

Les doigts et les âmes brûlées par les mensonges du stalinisme auxquels elle a pu prêter foi, il y a longtemps, la gauche est, de son côté, devenue beaucoup plus prudente avec la propagande outrancière, celle de la terre brûlée, celle du tout est permis, pourvu qu'on gagne à la fin.

Nous en sommes arrivés à un point où la droite a pu, sans qu'elle ait à en payer un prix quelconque, se vanter d'être "incorrecte" (autant dire, à la Orwell : "Le mal, c'est le bien"), alors que chacun sait, en français, ce que signifie la rectitude, la droiture, la correction ("Qualité de quelqu'un, de son comportement qui est correct, respecte les bienséances, la morale : Agir avec correction.")

Nous voilà donc face à des gens qui se vantent d'être des "Incorrectibles" (émission de Sud Radio), un magazine (peu lu) inspiré par Marion Maréchal Le Pen, et carrément intitulé "L'Incorrect", dont des journalistes sont désormais des éditorialistes télé (Charlotte d'Ornellas, Julie Graziani), des gens qui fabulent constamment, affirment des énormités, twittent plus vite que leur ombre avant de supprimer lâchement leurs publications, une fois que le mal est fait.

L'ultra-droite relayée par Darmanin/Macron/Onfray, l'omniprésent dans les média "qui-n'a-jamais-la-parole-car-les média-vendus-n'aiment-pas-le-bon-peuple-qui pense-comme-Onfray-parce-qu'il-est comme-lui- de bon sens- parce qu'il-n 'yen a -qu'un-de bon sens: c'est le bon sens unique", en pontifiant trois fois par jour sur tous les sujets possibles (il est expert en tout, de Freud au Covid à l'analyse des fans du PSG, et il parle très couramment et sans bafouiller de tout, quitte à se répéter beaucoup, à force de s'exprimer devant une caméra trois fois par jour, l'antienne 5G du bon sens français, c'est lui, sa signature, sa marque de fabrique), a réussi à imposer le thème de l'ensauvagement de la société, ce que tout le monde comprend évidemment comme désignant les indigènes musulmans, arabes, noirs et d'autres cultures et couleurs aujourd'hui présents dans une France qui n'a naturellement jamais connu la Saint-Barthélémy, les sauvageries, le brigandage, les dragonnades, les crimes du colonialisme, mais il nous semble, à ce stade épouvantable pour le futur proche que nous atteignons aujourd'hui à très grande vitesse, que nous devrions plutôt mette l'accent sur l'abêtissement, le règne de la bêtise, du nombrilisme satisfait, de l'aveuglement et de la surdité fièrement revendiqués au sort des autres, parfaitement résumé un soir sur CNews par cette stupéfiante phrase d'Eric Zemmour, interrogé sur le sort des migrants noyés en Méditerranée : "Je n'en ai cure" (en français dans le texte, l'Académie approuve la correction assez dandy de l'expression, très vieille France, mais la morale, elle, la réprouve absolument.

C'est cela, l'abêtissement, auquel nous assistons tous les jours désormais.

L'homme fait la bête.

L'homme tourne bête.

Et au diable la correction !

Que l'on dise tout haut ce que la morale publique imposait (sauf pour quelques excités du bulbe, les haineux) que l'on garde - et heureusement - pour soi.

S'il y a ensauvagement, brutalité,elle concerne les pensées, les paroles, et les actes, qui s'ensuivent imparablement et logiquement dans cet ordre.

Pour conclure, et en revenir à Joe Biden, que nous n'admirons pas, l'étonnant, qui devrait, à toute autre époque que devenue folle, suicidaire, annonçant des catastrophes meurtrières, être le stupéfiant, l'impensable, c'est que tant de gens de par le monde continuent à voter pour des politiciens et enragés qui ne reculent devant aucun mensonge, aucune indécence,aucune manipulation pour garder le pouvoir ou l'obtenir.

Et s'en vantent.

Et qu'il y en ait pour les applaudir.

C'est cela, l'abêtissement de notre époque.

Qui inclut l'ensauvagement.

Les deux vont de pair.

Et s'appellent l'un l'autre.

L'Autre Quotidien

  • ensauvagement \ɑ̃.so.vaʒ.mɑ̃\ masculin

    1. Chute dans la sauvagerie.

      • Il faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que chaque fois qu’il y a au Viêt-nam une tête coupée, et un œil crevé et qu’en France on accepte, une fillette violée et qu’en France on accepte, un Malgache supplicié et qu’en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une égression universelle qui s’opère, une gangrène qui s’installe, un foyer d’infection qui s’étend et qu’au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées, de tous ces prisonniers ficelés et « interrogés », de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent. — (Aimé CésaireDiscours sur le colonialisme, 1950