Retour de boomerang et haine de la police à Champigny

Depuis qu'ont circulé sur les réseaux sociaux les images de la nuit du Nouvel an à Champigny, montrant une femme policier frappée à terre, les déclarations d'indignation et les manifestation de policiers se succèdent. Au risque d'occulter le principal : la défiance profonde entre policiers et jeunes des quartiers et ses causes.

Les images filmées la nuit du nouvel an à Champigny-sur-Marne n'en finissent pas de produire leurs ondes de choc. On y voit des jeunes hommes de la ville s'acharnant sur une femme policier isolée, qui lui assènent des coups de pied alors qu'elle est à terre. "Lynchage lâche et criminel", s'est indigné Emmanuel Macron. "Nouvel acte de cette violence insupportable contre nos forces de l'ordre chargées au quotidien de nous protéger", a renchéri Manuel Valls, après que Gérard Collomb a twitté que "ces actes sauvages ne peuvent avoir de place dans notre société". Bien sûr, ces images sont intolérables.

Alors que s'est-il passé à Champigny (Val-de-Marne) cette nuit de la Saint-Sylvestre ? Une invitation qui circule sur Facebook pour une soirée privée organisée dans un entrepôt de la rue Benoît Frachon, dans la zone industrielle de la ville. Les organisateurs vite dépassés par le succès de l'événement. Deux cent personnes qui font la fête à l'intérieur, tandis que des centaines d'autres font la queue devant l'entrée. Les vigiles qui tentent de les refouler et qui, débordés, font appel à la police. Appelés sur les lieux, les CRS tirent d'emblée des grenades lacrymogène et des balles de flashballs. La foule s'enflamme et enrage ; la soirée vire à l'émeute. Un mur de briques est abattu, un autre en placoplâtre enfoncé. Les CRS sont complètement débordés. Des jeunes courent en tous sens, tandis que d'autres jettent des projectiles sur les forces de l'ordre, dans une atmosphère mi-festive, mi-furieuse.

C'est à ce moment-là qu'arrive sur les lieux une voiture transportant deux policiers, un capitaine de police et un gardien de la paix, une femme. Encerclés par les émeutiers, l'homme est pris à partie. Il écope d'une fracture du nez. La femme policier, poussée à terre, est rouée de coups de pieds, sous les cris enthousiastes des jeunes qui filment la scène. L'un d'entre eux réussira à la relever et à l'éloigner, avant qu'un automobiliste ne l'évacue. Ce n'est pas la première fois qu'une fête privée organisée un soir de réveillon tourne mal. La nuit du 1er janvier 2011, au Blanc Mesnil (Seine Saint-Denis), un DJ antillais de 33 ans, avait été roué de coups par des jeunes à qui l'organisateur avait refusé l'entrée.

Mais la séquence qui a abouti au lynchage des deux policiers à Champigny est révélatrice de la profonde détérioration des relations entre jeunes de banlieue et forces de l'ordre. Des CRS qui font tout sauf dans la dentelle et qui préfèrent la manière forte à la négociation, des jeunes partis pour faire la fête et qui pètent un plomb, laissant éclater leur haine des forces de l'ordre. Si les événements de Champigny sont révélateurs, c'est d'abord de ce climat de guerre qui s'est instauré entre ces deux camps irréconciliables. Un climat attisé par les sempiternels contrôles au faciès, brimades, humiliations, faisant de la police l'ennemi numéro 1 des jeunes des quartiers.

On aura beau remettre en vigueur les peines plancher, comme le demande le syndicat policier Alliance, récuser les aménagements de peines pour les délits commis à l'encontre des forces de l'ordre, comme le réclame Eric Ciotti -qui s'est fait une renommée de ses positions très droitières sur le sujet-, si on ne rétablit pas la confiance entre les deux parties, il y aura inévitablement d'autres Champigny. Croire que la répression est la réponse qui permettra de rétablir l'ordre, est contre-productif. Cela ne fera que renforcer la haine palpable envers les policiers, alimentée aussi, faut-il le rappeler, par les violences impunies de ces derniers. En 2017, il y a eu Théo et Yassine. En banlieue, personne n'a oublié. Or, les violences policières sont à tel point négligées qu'aucun organisme officiel n'en recense le nombre.

On peut toujours déclarer haut et fort, comme le ministre de l'Intérieur, que "s’attaquer à nos forces de sécurité, c’est s’attaquer à notre République" ou, comme Nicolas Dupont-Aignan, qui n'a pas hésité à s'allier au FN lors de la dernière présidentielle, que "s'attaquer à un policier, c'est s'attaquer à la nation toute entière". C'est précisément parce que ces jeunes n'ont pas le sentiment que cette police, souvent la BAC ou les BST, est là pour les protéger, que ces faits ignobles ont pu survenir. C'est parce qu'ils n'ont pas le sentiment de faire partie de cette république ni de cette nation, qu'ils ne peuvent en respecter ses représentants les plus exposés. Le jeu du chat et de la souris auquel ils se livrent avec les policiers peut alors culminer dans cet étalage de violence aveugle et il est assez vain de chercher qui a commencé, de la poule ou de l'oeuf.

L'Etat, qui commande aux forces de l'ordre, ferait bien de réfléchir à la meilleure façon de rétablir un peu de confiance entre jeunes et policiers. Et de ne pas écouter ceux pour qui, comprendre, c'est déjà excuser. Il est facile de twitter "assez de cette racaille en liberté !", comme le fait Dupont-Aignan. Mais quoi ? Mettre tous ces jeunes en prison ? Avec des peines plus sévères ? Croit-on vraiment qu'il s'agirait d'appliquer une tolérance zéro aveugle pour rétablir l'ordre ? On ne fabrique pas la confiance envers la police à coup de tirs de flashballs.

Véronique Valentino