Loi Travail : le salarié jetable est arrivé

La réforme du Code du travail est un big bang social qui va profondément changer les relations au travail. Sa philosophie centrale : faciliter les licenciements afin d’inciter les employeurs à embaucher. Un vieux refrain du MEDEF que le gouvernement reprend à son compte. Qui va se traduire, pour les salariés, par une insécurité sociale grandissante.

« Parier sur l’intelligence collective » au sein de l’entreprise qualifiée de « bien commun ». Ce sont quelques-uns des éléments de langage par lesquels la ministre du travail a justifié la réforme du Code du travail et qu’on retrouve dans le moindre « working paper » émanant des cercles patronaux depuis le début de nombreuses années. Ces expressions sont les tartes à la crème du new management. Pas un consultant ou un coach d’entreprise qui ne se gargarise de « libérer les énergies » dans l’entreprise. Et il est logique que la réforme -pardon la « transformation »- du droit du travail soit rebaptisée, dans le jargon gouvernemental, « Renforcement du dialogue social ». Un recours à la novlangue orwellienne (1) pour désigner une réforme dont l’un des objectifs est de court-circuiter les organisations syndicales.

« Sécuriser les licenciements »

A entendre le chef du gouvernement, la réforme serait « ambitieuse, équilibrée et juste ». Ambitieuse, peut-être, mais équilibrée et juste, sûrement pas. La clé de voûte du projet est de sécuriser et faciliter le licenciement. De fait, elle renforce la sécurité côté patronal mais fragilise les salariés. Une fois les ordonnances entrées en vigueur fin septembre, un salarié licencié abusivement n’aura plus qu’un an pour saisir les Prud’hommes en cas de licenciement abusif, contre deux ans actuellement. Il bénéficiera aussi d’indemnités moins généreuses. Jusqu’ici, il existait un barème indicatif auquel pouvait se référer les juges prud’hommaux. Si ce dernier fixait un minimum, les indemnités accordées au salarié licencié abusivement n’étaient pas plafonnées, les juges appréciant le préjudice subi et sa réparation sur une base strictement individuelle. Dorénavant, les prud’hommes seront tenus d’appliquer le barème fixé. Pour un salarié ayant travaillé 30 ans ou plus dans une entreprise de plus de 11 salariés, l’indemnité maximale culminera à 20 mois de salaire brut. Mais le plancher est fixé à trois mois de salaire quelle que soit l’ancienneté du salarié dans l’entreprise alors qu’auparavant, il était de six mois.

Baisse généralisée des dommages et intérêts en cas de licenciement abusif

Pour les salariés des TPE-PME de moins de 11 salariés, le plancher est fixé à quinze jours de salaire à partir d’un an d’ancienneté, pour atteindre deux mois et demi maximum à partir de neuf ans d’ancienneté. Le barème ne s’appliquera pas en cas de harcèlement, de discrimination ou de « violation d’une liberté fondamentale », le plancher ne pouvant alors être inférieur à six mois. Mais il s’agit de cas plutôt rares, la discrimination ou le harcèlement étant difficiles à prouver. Or dans les cas les plus courants, plus le plancher est haut, plus les décisions des tribunaux prud’hommaux sont favorables aux salariés. Les conseils de prud’hommes fonctionnent en effet sur une base paritaire. Or, les planchers -contrairement aux plafonds- s’imposent aux juges prud’hommaux, même issus du collège « employeurs ». La baisse du plancher des indemnités prud’hommales va donc se traduire par une baisse généralisée des dommages et intérêts accordés aux salariés en cas de licenciement fautif. Maigre concession, le gouvernement augmente les indemnités légales de licenciement, qui étaient particulièrement basses en France. Elles passent d’un cinquième à un quart de mois de salaire par année travaillée dans l’entreprise.

Le motif de licenciement ne sera plus obligatoire

Mais le plafonnement des indemnités prud’hommales n’est pas la seule concession faite aux patrons. L’ordonnance « relative à la prévisibilité et sécurisation des relations de travail » prévoit un droit à l’erreur pour le patron qui licencie. En cas de vice de forme, l’indemnité accordée sera au maximum d’un mois de salaire. Et ce n’est pas tout. Actuellement, la lettre de licenciement doit en préciser le motif. Il peut en effet sembler normal que le salarié qui est viré de sa boîte sache pourquoi. Pourtant, désormais, l’employeur pourra corriger et compléter la lettre après coup, éventuellement… sur demande du salarié ! Un licenciement insuffisamment justifié ne sera donc plus considéré comme un licenciement sans cause réelle ou sérieuse. Le gouvernement a aussi prévu de mettre à la disposition des entreprises des formulaires type de licenciement, qui feront l’objet d’un décret ultérieur.

Le périmètre des plans sociaux réduit

Toujours pour faciliter les licenciements, le périmètre d’appréciation des licenciements économiques sera fixé au niveau national. Les multinationales pourront donc désormais licencier y compris si elles réalisent des bénéfices dans d’autres pays, ce qui n’était jusqu’alors pas possible. Officiellement, le juge sera compétent pour apprécier les cas de fraude, lorsque, par un jeu d’écriture, une multinationale rend une filiale déficitaire pour justifier un plan social. Or, il était déjà difficile au juge d’apprécier la réalité de la situation de l’entreprise sur le plan global. D’autant que depuis décembre 2016, deux nouveaux motifs de licenciement économique facilitait les plans sociaux : en cas de réorganisation nécessaire pour développer la compétitivité ou de baisse des commandes ou du chiffre d’affaires sur un à trois trimestres en fonction de la taille de l’entreprise concernée. Désormais, seule la situation financière de l’établissement basé en France sera prise en compte.

Des ruptures conventionnelles collectives

Mais le coup le plus rude concerne la négociation délocalisée au niveau de l’entreprise et ses conséquences. Les entreprises pourront conclure des « accords majoritaires simplifiés » portant sur le temps de travail, la rémunération, les congés ou la mobilité professionnelle ou géographique des salariés, dans un sens moins favorable à ces derniers.  Ce qui était déjà possible avec les « accords de maintien de l’emploi », puis plus largement encore avec ceux de « préservation ou de développement de l’emploi », prévus par la loi El Khomri, va désormais être généralisé, puisqu’il suffira que les entreprises fassent état de « nécessités liées à leur fonctionnement ». Si le salarié refuse le contenu de l’accord, il sera licencié pour motif économique. Pour faire passer la pilule, le gouvernement a prévu que son compte formation sera abondé à hauteur de 100 heures par l’employeur. Le salarié ne disposera que de deux mois pour contester la validité de ces accords, par exemple s’il les juge discriminatoires. Les accords d’entreprise primeront donc sur le contrat de travail. Cerise sur le gâteau : les ruptures conventionnelles collectives. Grâce à celles-ci, l’employeur pourra se séparer de plusieurs salariés sur une base volontaire, une fois l’accord homologué par l’administration. Ce qui lui permettra de réembaucher librement après ce plan de départ collectif, contrairement à ce qui se passe en cas de licenciement économique. Rappelons tout de même qu’en 2015, il y a eu 358 000 ruptures conventionnelles individuelles, sans qu’on ne constate une hausse des embauches en CDI. Ce qui est pourtant l’un des arguments clé justifiant cette réforme. A savoir la peur des patrons, surtout ceux des petites entreprises, de recruter en CDI. Qui vont en tout cas pouvoir dégraisser à plein tubes.

Véronique Valentino

Lire le texte des ordonnances réformant le dialogue social : http://www.gouvernement.fr/les-ordonnances-pour-renforcer-le-dialogue-social