Un naufrage à ce point... par André Markowicz

Un naufrage à ce point...

Je n’ai pas voté au premier tour. J’étais à Lausanne, et puis à Lyon, puis à Paris, — j’aurais pu voter faire un aller-retour, voter et revenir ; je ne l’ai pas fait. Bon, j’étais très fatigué, il faisait très chaud, et tout et tout, mais je ne me suis pas déplacé — et si je ne me suis pas déplacé (ce dont je suis tout sauf fier), c’est que je me disais sans doute que c’était plié. — En écrivant ces mots, là, maintenant, je me demande ce que je voulais dire, et j’aurais bien du mal à l’expliquer, sinon par une espèce de sentiment diffus : la gauche, déjà exsangue, s’est totalement ruinée, et n’a pas arrêté de se ruiner, à partir du deuxième tour de la présidentielle, avec l’attitude à la fois arrogante et boudeuse (oui, boudeuse) de Mélenchon, et puis l’agressivité constante des candidats de la « France insoumise ». Et le refus de l’alliance entre « la France insoumise » et le Parti communiste — au contraire, même, les aménités échangées entre les deux. — Et qu’importe de comprendre de qui c’est la faute ? C’était un calcul terrifiant, si calcul il y a eu. Alors que, pendant la campagne présidentielle, on aurait pu croire qu’il y avait un possible à la gauche, tout s’effondrait déjà.

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Je n’ai pas voté. Et, en regardant hier soir, — pas à 20 heures — les résultats, je me rends compte que nous sommes plus de la moitié des électeurs à avoir fait la même chose. Une vraie lassitude des querelles d’appareil, la sensation concrète qu’il fallait, une fois de plus, sortir les sortants. Et donc, les seuls à se mobiliser ont été les électeurs d’Emmanuel Macron, qui, ma foi, auront voté pour quelque chose.

Je ne vais pas redire ici ce que je n’arrête pas de lire déjà, ce qu’on n’arrête pas de répéter : oui, c’est quand même sidérant de voir ça, l’effondrement radical d’une classe politique. De voir ça s’effondrer d’un coup, — comme, je ne sais pas, l’URSS dans le temps. Et, en fait, ça fait peur.

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Et la débâcle socialiste… Il y a plein de députés battus au premier tour pour lesquels ça ne me fait ni chaud ni froid, mais, par exemple, je suis triste pour Aurélie Filippetti.

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Autant la politique extérieure du nouveau président donne l’impression d’une clarté et d’une force qu’on n’avait pas vues depuis longtemps, autant sa politique sociale, économique, marquent, elles, le triomphe absolu du libéralisme, par la destruction des lois et des codes qui protègent encore un tant soi peu les employés. Tout sera atomisé. Et quand la ministre du travail affirme, encore tout récemment, que le CDI « est et restera la norme », on ne peut que la prendre en flagrant délit de mensonge, puisque les embauches se font, à près de 80%, en CDD, et que c’est bien le CDD qui est la norme contemporaine, et qui le deviendra définitivement.
Et c’est, entre autres, à ça qu’il n’y aura pas d’opposition.


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Et qui sont-ils, ces nouveaux députés qui se sont retrouvés « en marche » ? Je ne peux pas parler des gens ce qu’on appelle « la société civile », et, c’est clair, il y a là des gens remarquables, comme Eric Halphen, mais combien d’autres qui passent d’un parti l’autre, comme ça, au gré du vent qui souffle ?... Est-ce qu’ils ont changé d’opinion, et, souvent, plusieurs fois de suite… Quelle confiance leur accorder, à eux ?

En Bretagne, par exemple, il y a un cas qui frise la caricature. Je ne sais pas si mes lecteurs se souviennent d’une chronique d’avril 2016, dans laquelle je racontais comment, à l’occasion d’une lecture poétique sur l’œuvre d’Armand Robin à Guingamp, la présence de Françoise avait été déclarée « inopportune » par un groupe d’allumés de nationalistes mêlant l’extrême-droite et l’extrême-gauche, soutenus par un type qui, à ce moment-là, était conseiller départemental (vert), Yannick Kerlogot ? Ce Kerlogot, défendant un musicien nationaliste qui avait trempé lourdement dans la collaboration (Polig Monjarret) en avait remis une louchée au conseil municipal de Guingamp, accusant le maire d’inviter une anti-bretonne dont la venue seule dans la ville où, d’ailleurs, d’où sa famille était originaire, de provoquer « des rancœurs ». Françoise a raconté les différents épisodes sur son site, vous lirez. — Imaginez que cet arriviste démagogue, ce nationaliste cynique, passant de la droite aux verts, ou des verts à la droite, s’est découvert, lui aussi, marcheur, et qu’il est en passe d’être élu, parce que la Bretagne est tout entière macroniste — il risque réellement de ne plus y avoir un seul député socialiste breton.

En Bretagne, je suis content que Christian Troadec, maire de Carhaix et poujadiste « breton », ait été battu par Richard Ferrand. Mais de voir ce salmigondis idéologique, — "ni de droite ni de gauche »... réellement, ce n’est même pas que fasse peur, — ça laisse comme désarmé.

Et c’est ça, donc, l’héritage de François Hollande...

André Markowicz, le 12 juin 2017

Traducteur passionné des œuvres complètes de Dostoïevski (Actes Sud), Pouchkine et Gogol, poète, André Markowicz nous a autorisés à reproduire dans L'Autre Quotidien quelques-uns de ses fameux posts Facebook (voir sa page), où il s'exprime sur les "affaires du monde" et son travail de traducteur. Nous lui en sommes reconnaissants.