Avanti : tour de France des lieux autogérés - épisode 1

Nous démarrons la publication du carnet de bord de trois amies parties pour un tour de France des lieux où s'expérimentent d'autres façons de vivre et de travailler. Odeline, Maeva et Audrey nous raconteront leurs découvertes, leurs surprises, leurs interrogations. Nous publierons leurs aventures jusqu'en février prochain, date à laquelle leur camping-car les mènera jusqu'au lycée autogéré de Paris.

Elles sont trois amies et ont baptisé leur projet Avanti ! Odeline, 25 ans, éducatrice spécialisée auprès d’enfants en situation de handicap à Besançon, Maeva, 30 ans, psychothérapeute pour enfants à Carpentras et Audrey, 35 ans, psychomotricienne dans la région d’Avignon.

Unies par des valeurs communes et une envie de participer plus activement aux changements de société, elles ont quitté maison, boulot et famille, le 3 septembre dernier, pour aller à la rencontre de celles et ceux qui ont choisi de vivre dans des lieux autogérés. Jusqu'à la fin de leur périple, en février prochain, elles nous raconteront leurs découvertes, leurs enthousiasmes, leurs interrogations, lors de ce projet pas banal. Dans ce premier épisode de la saga, elles expliquent les raisons qui ont motivé ce projet pas banal.

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Alors pourquoi trois jeunes femmes investies dans le travail social ont elles tout laissé derrière elles pour partir sur les routes en camping-car ?

Voir le diaporama de Longo Maï

Dans un monde où tout s’accélère, nous avons décidé de prendre le temps d’être dans la rencontre. Nous partons pour 6 mois de voyage à la découverte de lieux alternatifs et solidaires. Lieux qui expérimentent des pratiques d’autosuffisance alimentaire et écologiques. écovillage, coopérative, lieu auto-géré, communauté, lieu de vie et d’accueil, ZAD, ainsi qu’une clinique fonctionnant en psychothérapie institutionnelle …

Notre projet est né de plusieurs constats. Ces lieux de plus en plus nombreux, qui expérimentent de nouveaux paradigmes, sont encore trop peu accessibles aux personnes les plus précaires.

D’autre part, nos actions militantes respectives nous ont amenés à soutenir de nombreux.ses réfugié.e.s et nous voyons à quel point il manque des lieux d’accueil. Lieux qui permettent de vivre dignement et de subvenir à ses besoins.

De plus, nous avons toutes les trois choisit le travail social comme milieu professionnel (éducatrice spécialisée, psychomotricienne, psychologue) car ce domaine était le plus en cohérence avec nos valeurs d’humanité et de solidarité. Mais nous avons de plus en plus de difficulté à y trouver du sens. Dans ces structures, la logique financière et l’objectif de rentabilité prennent de plus en plus de place. Par ailleurs l’organisation hiérarchique empêche la créativité et la liberté individuelle. Les personnes accueillies sont de plus en plus fragilisés par le poids des inégalités sociales et certaines en sont complètement exclues comme les migrant-e-s.

Ces constats nous ont amenées à penser la création d’un lieu alternatif d’accueil de vie et de soin. Pour cela nous souhaitons aller voir et nous inspirer de lieux qui fonctionnent avec des principes de bienveillance, d’autogestion, d’égalité sociale et économique.

Nous allons vous raconter ici nos différents ressentis, impressions, questionnements sur les lieux que nous allons visiter. Un récit quasi journalier retraçant nos découvertes, rencontres, activités dans chaque lieu.

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Avanti, épisode 1

Le périple d'Odeline, Maeva et Audrey commence par Longo Maï, une coopérative autogérée et quasiment autosuffisante qui existe depuis les années 1970. Récit à trois voix par nos baroudeuses de l'alternatif.

Première semaine à Longo Maï 

03 septembre 2017

C’est le grand départ, on profite de nos proches, à Carpentras, jusqu’au dernier moment. Résultat, seulement quelques heures de sommeil et une sensations de fatigue mélangée à de l’excitation.

Nous arrivons en début de soirée, car nous pensions que la route serait beaucoup plus longue. En fait, nous sommes seulement à 2 petites heures de chez nous ! Et pourtant, nous nous sentons déjà très loin... Le dépaysement commence.

Longo Maï est situé sur une colline en face d'un petit village, Limans, à 15 minutes de Forcalquier.

Première mission : nous devons trouver la cuisine où Paul [tous les prénoms ont été changés] notre « référent accueil»  nous attend  mais ce n'est pas facile, nous nous rendons vite compte que le site est très vaste (on nous expliquera plus tard qu'il fait plus de 300 hectares)

Nous nous trompons plusieurs fois avant de trouver Paul en train de casser un nombre incommensurable d’œufs afin de confectionner un gratin de légumes pour une centaine de personnes.  Ici la cuisine semble être une affaire sérieuse ! Il nous indique la maison pour les personnes de "passage" : "Fatsa" et nous fait un topo sur les principes de base du lieu : ici  pas de violences ni de comportements racistes.

Fatsa est une  large maison en bois, baptisée ainsi  en mémoire d’une communauté autogérée Kurde ayant subit une importante répression de la part de l’Etat  turque.

 Sur la terrasse, un groupe de filles jouent de la guitare et chantent en partageant une bière.  Je me dis que je suis heureuse d’être là, que la liberté développe la créativité.

Tous les dimanche soir a lieu la réunion générale à 21 h 30. Un  animateur annonce l’ordre du jour : présentation des nouveaux venus, point sur les  besoins spécifiques pour les chantiers en cours et les équipes de travail puis sur les réunions de la semaine et les annonces.  Il n’y a pas vraiment d’organisation de réunion, cela peut paraître « bordélique » au début, mais chacun prend la parole à son tour, avec un certain respect de celle de l’autre, et ça fonctionne.

Le calendrier hebdomadaire des différentes tâches (cuisine, vaisselles, ménage) circule durant la réunion. 23 h fin des débats.

Léa , une jeune femme avec un bel accent espagnol, nous propose de faire la cuisine avec elle le lendemain matin. Nous sommes ravies de pouvoir si rapidement participer à la vie du lieu. 

04 septembre

Lundi 9 h, nous rejoignons Léa qui a déjà commencé la cuisine, elle nous dit avec un grand sourire être un peu stressée car l’école a repris et le repas doit être prêt pour le retour des enfants à midi. Il faut compter au moins 3 h de préparation pour nourrir les 120 « longos » (habitants de longo mai). Sacré challenge !

La cuisine est très bien équipée, on se sent presque comme dans un restaurant !

Nous préparons des légumes au four, des haricots rouges/poivrons, une mayonnaise maison avec du « tomatillo » (fruit que nous découvrons) du riz et du fromage blanc qui provient directement de la fromagerie ! Certains produits que nous cuisinons proviennent des jardins ainsi que des autres coopératives Longo Mai (ex : conserverie de St Martin de Crau), il y a aussi des achats extérieurs mais en bio, tout de même.

Nous finissons dans les temps et  les gens arrivent de tous les cotés pour servir de grands plats fumants à poser sur les tables en terrasse où chacun prend place. Tres vite les remerciements fusent. Nous aussi on se pose autour d’une assiette et on est plutôt fières de nous, qu’est ce que c’est bon ! Puis on finit de laver les grands bacs, les casseroles, les tables, le sol…

Tout cela nous donne une certaine énergie et nous continuons le ménage dans notre nouvelle demeure. Fatsa  est autogérée par toutes les personnes de passage. Nous arrivons dans une période de creux après toute l’agitation de l’été.  Beaucoup de monde est passé par là et ça se voit !! Alors on s’y met et c’est pas du luxe !

Rebelote pour les toilettes sèches.  On « déchante ».  Séparées en deux parties (cf notre futur article sur un le comparatif des toilettes sèches rencontrées) par un « filet », qui manque clairement de nettoyage. On change le tonneau mais il y a toujours une odeur persistante d'urine… On nous explique par la suite qu’elles sont régulièrement entretenues mais qu’elles manquent de ventilation.

Cela nous donne envie de découvrir la fabrication de toilettes sèches…

Heureusement, de chaleureuses premières discutions avec Léa, ainsi qu’avec Nina sur les actions menées dans la Vallée de la Roya, et Laura, une Allemande avec qui nous avons une discussion très profonde sur la connaissance du corps et le plaisir féminin nous ravigotent.

05 septembre

Nous « visitons » les installations à Longo : yourte, maison en bois/en paille/en pierres sèches, maison collective en construction…

Nous tombons sur le quartier du « Pigeonnier », on nous explique que c’est ici que l’histoire de Longo commence : en 1973 quand une trentaine d’activistes autrichiens rencontrent un Français nommé Remy. Ce dernier leur propose de s’installer dans cette colline des Hautes Alpes pour mettre en pratique les théories du groupe « Spartacus » (en référence au gladiateur romain qui mena un soulèvement d’esclaves qui fit trembler l'empire romain et au mouvement de gauche allemand des années 60).

Il n’y avait alors que cette maison au pigeonnier qui tombait en ruines et servait de bergerie. Longo Mai a commencé là. 44 ans plus tard, on se croirait dans un petit village provençal avec de très jolies maisons entourées d’un poulailler, d’une fromagerie et d’une petite boucherie (les cochons et poulets sont tués sur place).

Sans aucune connaissance préalable, la trentaine de personnes présentes au départ « seulement », aidée par les paysans du coin, a appris à travailler la terre et à rénover l’habitat. Dans le livre « Longo Mai révolte et utopie après 68 » on comprend la difficulté pour les militants du début à tout reconstruire, ce qui a demandé un travail énorme. Nous voyons que, pour le groupe des fondateurs, la lutte contre le système qu’ils contestent, consiste en premier  lieu à mettre en pratique leur « conception d’une société idéale ».

Les slogans en vigueur : « défricher plutôt que parler » ou « un millimètre de pratique vaut mieux qu’un km de théorie ».

Nous discutons avec une jeune « Longo » qui est né ici et a fait le choix, après être parti plusieurs années, d’y revenir.

Quand on est enfant à Longo on a le libre choix de participer aux activités du lieu, rien n’est imposé. Par contre quand on est adulte on fait réellement le choix de vivre à Longo et de s’inscrire dans le projet collectif.

Nous discutons du « bouillonnement » de vie ici : les 120 habitants ont toujours quelque chose à se dire, à partager et il n’y a pas toujours la place d’accueillir de nouvelles personnes (nous apprendrons plus tard qu’il y a plus de 1000 personnes qui passent à Longo par an !)  Il est donc difficile d’être suffisamment présent pour les nouveaux arrivants. Mais nous nous rendons vite compte que c’est par l’activité que nous allons créer des liens, et ici il y a de quoi faire.

Voici une liste (non exhaustive) des activités du lieu : mécanique, construction de logements, chèvrerie, cochon, poulailler, fabrication du pain, entretien des jardins, animation du village de vacances, semences, culture des champs, travail forestier, publications, radio, et de nombreuses réunions (commissions, réunions générales, internes, inter-coopératives … )

Nous arrivons la semaine où se déroule la réunion interne, qui a lieu une fois par an, et dure trois jours. Seul les habitants de Longo y participent. Cette année, le thème de cette rencontre est « Comment bien vivre à 120 personnes ? ».  Vaste sujet ! Il nous semble que les Longo sont en perpétuel questionnement sur leur fonctionnement, leurs valeurs communes, leur manière d’être en relation, de prendre des décisions… Nous trouvons cela passionnant.

06 Septembre

Chacune son activité aujourd’hui.

Maeva aide pour le chantier de construction de la maison collective (qui est en chantier depuis 2013 et permettra de loger une vingtaine de personnes).

Odeline apprends à faire du « béton allégé » (mélange de sables et ciment), à manier la bétonnière et la brouette.

Heureusement on nous explique avec bienveillance les bons gestes. C’est très physique mais on adore !

Audrey apprend à faire des semences de tomates.

Petit précis pour ramasser vos semences de tomates :

-          ramasser des tomates mures

-          les couper dans le sens de la tranche

-          recueillir les graines dans un bol

-          les mettre à fermenter dans un bocal recouvert d’une gaze tenue par un élastique

-          laisser une couche blanche se former (1 ou 2 jours selon la chaleur ambiante)

L’après midi Maeva et Odeline apprennent à récolter les semences de haricot, séchées par le soleil. Nous discutons de la lutte pour les semences libres et du combat très important qui a été mené. Nous entendons les haricots qui s’entrechoquent dans notre sac et font de la musique. Sur le même rythme, nous récoltons ensemble, sous le beau soleil de fin de journée.

Nous découvrons ensuite où sont stockés les différentes plantes/légumes avant de pouvoir récupérer les graines. Magnifiques toutes ces couleurs ! Il y a aussi les machines pour ventiler, trier et conditionner les graines. Quel travail !

07 septembre

C’est nous qui sommes les « cuistots » aujourd’hui car tout le monde est en réunion. On a un peu le trac ! Heureusement, Renaud vient nous aider. Il est le premier à être né à Longo.  Dans une ambiance bon enfant, il nous raconte les débuts de Grange Neuve. Ses parents, activistes autrichiens, rencontrent un français pour le moins charismatique, nommé Rémy (on en parle plus haut), avant de venir s’installer à Grange Neuve pour le prix d’un archer de violon mais je ne me rappelle plus vraiment l’histoire. Croyez moi sur parole !

Nouhou, réfugié soudanais vient nous rejoindre pour faire une salade typique avec de la pâte d’arachide ! Et c’est trop bon !

Nous mangeons bien ici alors nous voulons partager aussi nos bonnes recettes : dhal (1) de lentilles et pleurotes (directement du Doubs, petit clin d’œil pour Baptiste) avec carottes caramélisées… Oups, un saladier de sucre c’est peut être un peu trop, même pour une marmite pour plus de 100 personnes… Bon, les doses ce n’est peut être encore pas complètement ça… mais on nous remercie quand même, donc tout va bien !

Le soir nous partons à la réunion hebdomadaire du collectif migrant 04 (Alpes-Maritimes). A l’ordre du jour : l’organisation d’une rencontre de coordination des collectifs de soutien aux migrants du Sud-Est.  My goodness !  Que d’énergie gaspillée dans des discussions à bâton rompus.  Je ressens d’autant plus l’urgence à creuser les processus de l’Université du Nous.  Pour moi c’est clair, le faire ensemble passe par là.

Mais encore faut-il les proposer à des personnes susceptibles d’accepter un minimum de formalisation. Le manque d’organisation de la réunion n’empêche cependant pas le collectif de mener à bien des actions importantes. Ils ont notamment obtenu la réquisition d’hébergements par la mairie afin d'accueillir des mineurs isolés.

Loin des grandes villes où la question migratoire est tout de suite vue comme un problème à régler, on voit ici que les petits villages sont bien plus accueillants et que tous les habitants s’y mettent !

08 Septembre

Aujourd’hui c’est babysitting. Léa, qui participe aux réunions internes nous a demandé de garder sa fille de 2 ans. Ici, les enfants sont souvent gardés par différents habitants. Nous constatons d’ailleurs rapidement que cette petite s’adapte très rapidement à nous : nous l’emmenons au poulailler, à Fatsa et au quartier d’Hyppolite (mince nous n’avons pas été formées à l’utilisation du porte-bébé, et on a peut être prévu trop de marche !) Mais nous rentrons saines et sauves malgré tout.

A 16h30, le rendez vous est pris au jardin du haut. Au programme, désherbage de plantations de radis et de carottes, avec apéro prévu en fin de programme. Ici, les travaux collectifs parfois un peu pénibles sont souvent accompagnés de moments conviviaux agréables. Rséultat, nous sommes plus d’une dizaine à être venu aider.

Pendant que certains prennent l’apéro, Odeline (infatigable !) aide à la récupération de bois de chauffage. L’hiver approche alors on doit être efficace… Mais l’activité est moins motivante, nous ne sommes que 3 et en plus nous nous faisons attaquer par des fourmis rouges ! On n’est pas du tout parées à l’attaque, c’est un carnage !

Notre bûcheron nous éclaire sur les techniques d’innovation en matière forestière et son application sur les terrains de Longo. Nous découvrons ainsi le Réseau pour les Alternatives Forestières qui existe partout en France : www.alternativesforestieres.org

09 Septembre

Nous participons à une action de soutien auprès de jeunes Soudanais dans le cadre du collectif migrant 04.

Le soir, nous sommes invitées aux  Magnans, le village de vacances de Longo Mai, à quelques kilomètres de Limans. Le charme de ce hameau entièrement retapé par la communauté  nourrit immédiatement notre sens esthétique. Les gîtes sont loués à des particuliers ou à l’occasion de stages divers et variés.

Retrouver un peu plus de confort nous fait du bien !

10 Septembre

L’après midi, nous retrouvons François pour travailler sur un outil de gouvernance partagé, le mandala holistique. Première prise en main de l’outil ensemble. On y reviendra.

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Fin du premier épisode

Retrouvez la suite demain, vendredi 7 décembre 2017, dans l'Autre Quotidien

Retrouvez Odeline, Maeva et Audrey sur le blog du projet Avanti !