Hicham Lasri : "The Sea is Behind"

La vie c’est ça, un bout de lumière qui finit dans la nuit.
— L.-F. Céline

Ailleurs,
Dans un pays sans couleur.
Où les gens sont à l’envers,
Où l’eau est touchée par un étrange phénomène provoquant des « bugs » d’eau et contamine tout,
Un monde où l’homosexualité est une transgression…

Dans ce monde déglingué, entre fantastique et fantaisie, vit un homme, Tarik.

Tarik se maquille et s’habille en femme. Il danse sur une carriole tractée par un cheval mourant et un père qui ne le regarde plus. Il suit le rythme effréné d’une fanfare composée de pauvres hères, des parias, des punks à chiens sans chiens, et des désaxés qui se laissent traverser par l’inertie. Suivi, par la foule, Tarik vibre de sensualité féminine en s’abandonnant à cette passion, son visage barré par une moustache qui revendique sa virilité tronquée.

Car Tarik est un artiste de H’Dya. Il se travestit en femme et danse contre de l’argent à l’occasion des fêtes, des cérémonies de fiançailles ou de mariage. H’Dya : Une tradition marocaine, proche de la fête foraine, qui pendant longtemps a rythmé les festivités et le quotidien des marocains avant de disparaitre à cause d’un certain conservatisme qui a rongé la société marocaine, comme tant d’autres société arabes…

Dans sa description de mon travail, l’écrivain, chercheur Rasha Salti m’a nommé « Punk en Chef » du cinéma Arabe, c’est un titre dont je suis très fier, même si ça rend mon rapport avec mon pays et ses institutions très compliqués.
— Hicham Lasri

Dans les méandres d’une ville en décomposition, où l’homme est animal comme les autres, Tarik se drape dans son mutisme et sa passivité. Homme aux contours indéfinis, il est victime de la violence urbaine. De la violence de l’indifférence, du jugement et de l’intolérance. Tout le monde le croyant gay, il se fait passer à tabac régulièrement par une population miséreuse, craintive et très agressive. Victime du monde et de lui-même. Victime d’un passé qui le hante et d’un présent qui le violente. Sous le joug d’un deuil qu’il ne réussit pas à assumer. Tarik est surtout victime par non-choix, il se laisse traverser par la folie d’un monde qui s’effrite.

Tout commence le jour où Larbi, le cheval, s’arrête au milieu d’une procession et refuse d’avancer. Le cheval, trop vieux, condamne les travailleurs de la H’dya et marque la fin de l’entreprise familiale. Tarik et les musiciens se retrouvent désœuvrés tandis que le père qui n’a d’affection que pour son cheval plonge dans le désespoir. Tarik, aux yeux asséchés, est obligé de regarder un père-fontaine qui ne cesse de pleurer le mettant face à son incapacité à ressentir, à assumer sa propre perte et ce drame terrible et énigmatique qui l’a brisés quelques années auparavant.

Tarik plus désœuvré que jamais, face à la froideur de son père et à a folie du monde, recroise le chemin de l’homme qui lui a volé sa vie, sa femme et ses enfants. Une rencontre où le bourreau est une victime lui aussi… Son passé le heurte en pleine face et son voyage commence… Une quête terrible où il devra affronter sa douleur, accepter son deuil et dépasser son mutisme pour avancer.

Entre ombre et lumière, dans un monde monochrome, Tarik va réapprendre à vivre et laisser les couleurs le transporter hors de la folie, hors de la grisaille du monde, hors de lui-même.

Hicham Lasri, viaVincent Bonnet

Découvrez le cinéma d'Hicham Lasri en regardant "C'est eux les chiens !" (2013), un "film de revenants sur le printemps arabe", ici dans son intégralité, et sous-titré en français (désactivez les annotations envahissantes dans les paramètres de la vidéo = le picto du rouage).