Amandine Urruty ou le graphite c'est fantastique chez Arts Factory

Cinq ans se sont écoulés depuis la dernière exposition et deux depuis le livre avec Pacôme Thiellement, mais Miss Urruty s’est donné un nouveau défi : après la stratégie du fantôme, le retour à soi, à son propre modèle / The Model. Et ça pulse, en faisant valser les clichés, le côté sombre de la farce. Epatés nous sommes, deux fois… 

Amandine Urruty est née en 1982, elle vit et travaille à Paris - sur son lit - une valise débordant de crayons toujours à portée de main. À l'occasion du lancement de la monographie Made in the Dark aux éditions Cernunnos, la galerie Arts Factory présente l'exposition The Model, cinq ans après le dernier solo show parisien en date de la dessinatrice Amandine Urruty. Richement illustré, ce livre revient en près de 300 pages sur quinze années de créativité débridée avec une préface de Pacôme Thiellement et des contributions de Philippe Katerine, Stéphane Blanquet, Thomas Bernard et David Cantolla, co-fondateur de la Collection d'Art Solo à Madrid.

L'exposition dévoile pour sa part un ensemble inédit de 50 dessins aux formats souvent impressionnants, pour une créatrice dont les outils de prédilection restent la mine de plomb et le fusain. Avec cette série d'œuvres récentes réalisée entre 2019 et 2022, Amandine Urruty se réapproprie la figure classique du portrait et brouille par un virtuose jeu de miroirs la frontière entre l'artiste et son modèle, l'imaginaire et la réalité.

En juxtaposant prouesses techniques hyperréalistes, dessins d'enfants, références à l'histoire de l'art et à la culture populaire dans des compositions toujours aussi foisonnantes, Amandine Urruty ouvre un nouveau chapitre dans un parcours déjà exemplaire au sein de la scène graphique internationale.

Blanquet, tiré du livre Made in the Dark

Mais qu’est-ce qui fait courir Amandine Urruty ? Au départ, une brillante étudiante poursuit trois doctorats en parallèle à Toulouse avant de décider que … finalement ce sera la dessin la passion de sa vie. S’attaquant d’abord au graf, elle commence à faire des affiches de concert (pour son groupe de bossa nova) , des illustrations et du packaging. Se retrouvant à peindre Philippe Katerine sur scène, elle commence à développer son premier style qui croise Télétubbies et Barbapapa avec un twist qui prend en compte la sexualité enfantine avec d’autres moyens et un décalage assuré et en couleurs. Fin de la première phase, Amandine se passionne pour les fantômes - entendre par là, une évocation d’un stade toujours enfantin ou presque qui inverse salement les perspectives - faisant surgir de la culture pop (façon Deleuze) des souvenirs chez d’autres enfouis; mais qui, chez elle attendent une certaine nuit pour occuper tout le paysage de la feuille, tout l’espace du dessin ; pour montrer que “c’est bien là” que le sujet est la traque, une certaine quête de la vision sans lunettes en peau de saucisson. Manifester l’intérieur en le saturant de références extérieures, dans un ailleurs morcelé des éléments du sujet qui tous se rejoignent pour former le dess(e)in qui donc sera le fantôme, à la manière de Madame Leprince de Beaumont avec “la Belle et la bête” ou “Peau d’âne” de Perrault ( on ne peut pas épouser son papa ! ). Mais tout cela sera rehaussé post-moderne avec des petits bonhommes en pain d’épices, des Pikachu, des sorcières détournées de Walt Disney et à la moulinette, toute mythologie en rapport avec son propos : je parle de là où vivent les fantômes et je les apprivoise-même. Passés dans mes dessins, ils sont désactivés- mais pour combien de temps ? C’est là tout son talent… 

Et puis, trois ans ont passé et le style a bougé. Beaucoup même. Illustrations pour le New-York Times, couverture de livre à venir chez Gospel éditions, et coup de crayon toujours plus affûté pour l’exposition The Model chez Arts Factory où les grand formats s’imposent partout, voir les diptyques ou même triptyques. A la question du temps passé sur un grand format, elle répond quatre mois, en travaillant en parallèle sur d’autres images …  On assiste à une révolution dans les sujets et les personnages, la figure devient centrale - “mais c’est parce que j’ai commencé à flasher sur la peinture française du XIXe” nous avoue-t-elle le soir du vernissage, “et m’a pris l’envie de voir si j’arrivais à atteindre ce niveau de perfection dans le dessin ; à déballer de l’odalisque ou des diamants sur papier… “

amandine urruty - the model
 diptyque 2 x 120 x 80 cm - graphite et fusain sur papier - 2022

Alors parler de modèle ou bien parler de fantômes ? Amandine Urruty ne choisit pas, elle intègre de nouveaux sujets à sa ménagerie alchimique ou fantasmatique (qui sait ?). Toujours avec ses approches de biais, nocturnes et visionnaires qui assument la culture pop, en louchant cette fois vers une posture classique. Mais tant qu’elle offira des trompes d’éléphnat à certains modèles ou des nez de cochon à d’autres on saura qu’on reste sur le même territoire fantasmatique du larvatus prodeo de Descartes. mais existe-t-il aujourd’hui une autre façon d’être à l’heure des réseaux ?

Foncez-y, ça transperce à des endroits où peu d’autres s’aventurent et le livre Made in the Dark, vous permettra de voir où et comment cela a évolué. Tout bon !

Jean-Pierre Simard le 23/01/2023
Amandine Urruty - The Model -) 25/02/2023

Arts Factory 27, rue de Charonne 75011 Paris
Made in the Dark, toute l’œuvre d’Amandine Urruty, éditions Cernunnos