National Freedom : l'Amérique des promesses non tenues de Lonnie Holley

Découvert à Lafayette Anticipations l’été 2018, ce fut un choc de découvrir un artiste et un monde musical à part : bricolo, plein d’instruments trouvés dans les décharges et réparés à la maison qui sonnaient - vraiment ailleurs. La sortie de ce National Freedom, enregistré entre 2013et 2014 le montre s’acoquinant à sa manière- très spéciale - au blues. Choc !

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Remarquable à plusieurs points, le monsieur l’est pour être un artiste plasticien reconnu et exposé jusqu’au Metropolitan Museum of Art. Mais ce n’est pas pour cela qu’il nous occupe ; c’est plus avec ce National Freedom sorti il y quelques jours qui embarque ce qu’on connait du blues vers des contrés méconnues, pour mieux dire son actualité sous Donald Duck et combien la condition de l’homme noir, sur place, nécessite quelques aménagements pour réussir à vivre dignement dans ce pays qui l’a vu naître et le prend toujours pour un autre, mois bien, moins à considérer, moins à … on va juste dire considérer.

Lonnie Holley est né dans la pauvreté de la période (raciste) des lois Jim Crow en Alabama il y a 70 ans et a sorti son premier album la même année que Death Grips. Personne d’autre n’aurait pu créer "I Woke Up in a Fucked-Up America", le rêve surréaliste de Holley d'une chanson emblématique et la pièce maîtresse de son remarquable album de 2018, MITH, grosse sensation scénique et d’écoute, chroniquée ici à sa sortie.

Ce National Freedom est presque la suite de MITH ; un EP de cinq chansons qui en 36 minutes, pourrait être un autre et nouvel album. Son titre est à la fois une référence au lieu où il a été enregistré - le studio National Freedom du producteur Richard Swift dans l'Oregon - et un thème qui traverse l'œuvre de Holley, avec sa fixation récurrente sur les promesses non tenues de l'Amérique. On aimerait qu'une chanson comme "I'm a Suspect", l'étonnante méditation de MITH sur le profilage racial, ne soit pas aussi pertinente en 2020 qu'elle l'était dans le milieu raciste de la jeunesse de Holley. Mais, pour tous ceux qui embarquent avec lui aujourd’hui, National Freedom ne reflète pas ses méditations sur les troubles actuels du pays. Au contraire, ces chansons ont été enregistrées il y a sept ans, lors de sessions en 2013 et au début 2014 (bien avant la mort de Swift en 2018), et elles éclairent un épisode significatif de l'ascension peu commune de Holley, de l'amateur de cassette-maison à l'artiste signé sur Jagjaguwar. (Holley avait rencontré Swift lors d'une tournée avec Deerhunter, peu après la sortie de son premier album, Just Before Music, en 2012, et les deux se sont trouvés une "connexion cosmique"). Et la rencontre donne enfin ceci, entre ancien et nouveau, intemporel et profondément incarné dans l‘ici et maintenant.

Sur National Freedom, Holley navigue du blues brûlant au dub downtempo en passant par des errances au piano. Rien n'est particulièrement issu d’une structure traditionnelle ; au contraire, ses compositions ressemblent davantage à des rêves fébriles de chansons - des flux de conscience non entravés par le surmoi. L'instrument à cordes pincées, fabriqué à partir d'un petit socle en bois et de dents en métal, sonne comme un bébé mobile musical qui se tortille au-dessus d'un berceau. "Just want to stick my hand out", chante Holley, "to grab ahold to something extraordinary." La philosophie de Holley tourne autour de "la beauté de tout remarquer", et dans cette chanson, il semble être à la fois le bébé qui s'émerveille devant le mobile suspendu et l'homme qui a construit la crèche d'un seul coup. Le diable, dans les détails, fait ici merveilleusement les choses à croiser une voix à nulle autre pareille à des thèmes que pourrait employer Terry Riley, comme un flux de conscience porté par un drôle de flow et des pianos envoûtants. Disque du jour, facile !

Jean-Pierre Simard le 8/07/2020
Lonnie Holley - National Freedom - Jagjaguwar

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