Tutti Frutti 2 : nos huit albums préférés du moment

Trop de disques, pas assez de place… un constat de nos amis du Souffle Continu qu’on a relayé sur FB. Et qui fait qu’en lieu et place de l’habituel feuillet et demi, on va restreindre le débit, mais améliorer l’ordinaire, en proposant plus, sans s’étendre. Mine de rien, huit albums à découvrir.

On reparle de Chicago, un groupe majeur qui sortit en 1969 un double album enregistré en deux jours et en janvier, à New York, et qui va durablement marquer l’histoire de la musique, pour de mauvaises raisons, en passant du statut de groupe culte à celui de parangon du rock FM (Sony). Pete Cetera, le bassiste, emmènera le groupe vers des sommets à la mort du guitariste virtuose et tête brûlée Terry Kath (mort en jouant à la roulette russe) et le producteur visionnaire James Guercio se fera même réalisateur le temps d’un film mémorable Electra Glide in Blue ( à découvrir absolument). Mais là, on atteint d’entrée des sommets, sans rien renier du jazz, du blues, du rock et ça envoie méchant : de Free form Guitar à Beginnings, en passant par la relecture inoubliable du I’m a Man de Stevie Winwood… que du bon. La régie des transports de Chicago n’ayant que très peu apprécié qu’un groupe de gauchistes lui pique son nom et son logo l’obligera à se rebaptiser plus simplement Chicago… deux super albums et puis, on passera aux stades et au rock FM. Mais avant, c’est vertigineux. La preuve ici-même :

Fania Goes Psychedelic ( Craft Recordings’ Craft Latino) est une relecture psyché des tubes de la maison qui surfe sur la fin de cette vague musicale des 60’s. Les inventeurs de la salsa new-yorkaise offrent un versant inédit à l’idiome avec quelques perles, dont le merveilleux Acid de Ray Barretto, le Summertime Blues des Lebron Brothers ou le Kool It Here Comes The Fuzz de Jimmy Sabater. Groovy stuff !

Du côté contemporain et des voix qui comptent, le Sonocardiogram (Brownswood Recordings) de la diva cubaine Daymé Arocena, la voit revenir chez elle pour mieux mélanger les sons afro-cubains au latin-jazz et les percus orishas, voir l’hommage splendide à La Lupe; avec une maestria sans égal et un bonheur qui durent tout du long. La Havane est là, écoutez bien, ça se sent jusque dans le grain du son qui a laissé les bruits urbains l’envahir. Top !

Côté légende qui refuse de se laisser enfermer, Iggy Pop s’éloigne du rock pour flirter avec le jazz et la poésie, en affirmant haut et fort son besoin viscéral de ne pas stagner. C’est Free et ça se laisse bien écouter - à condition de ne pas s’attendre à découvrir le filon Stooges réactivé. On adore sa lecture du Dylan Thomas de Do Not Go Gentle Into That Good Night.

Ma (Nonesuch) est le nouvel album de Devendra Banhart qui, une fois encore, joue l’introspection et la recherche du lâcher-prise. Mais aussi, qui bosse avec une ONG pour filer de la nourriture à la population vénézuélienne (voir le clip). Varié, en anglais et en espagnol; avec sa construction maline, il évolue de plus en plus au fil des titres et séduit finalement. En profondeur - et douceur ! Et pas seulement avec une guitare sèche et des chœurs… 

Varions un peu les climats, pour retourner au jazz et à celui que Duke Ellington adorait : Abdullah Ibrahim, le sud-africain en solo, pour son Dream Time ( Enja). Comme il n’a plus rien à prouver depuis très longtemps, il laisse divaguer son imagination et ses envies sous ses doigts. Et là - miracle - une histoire s’écrit qui laisse filer une mélodie dans l’autre avec un art de la transition consommé et un art de la lenteur qui assied proprement. Quelqu’un m’a dit un jour que ma douceur la violentait. Ici, rien de tel, la douceur vous enveloppe et vous tient. Dire que c’est grand n’est que le début de l’écoute… 

Autre géant du jazz en versant west coast, Art Pepper dont des sessions inédites resurgissent ça et là, comme ces Promise Kept: The Complete Artists House Recordings (Omnivore Recordings). Enregistrées à New York et L.A., elles voient la crème des musiciens de studio intervenir. A New-York : Pepper avec Hank Jones -piano, Al Foster -drums et Ron Carter -basse. A Los Angeles: Pepper, Charlie Haden - basse, Billy Higgins -drums et George Cables -piano. Des faces qui, dans la dernière période de sa vie, lui permettent de retrouver son statut de maître es-alto. Lui qui, avec Lee Konitz, était le seul altiste à ne rien devoir à Parker pour s’en être affranchi très tôt avec le big band de Stan Kenton, mais que son addiction à l’héro avait collé longtemps en tôle et dégoûté de s’approcher de ses cuivres. Lui, Art Pepper, le versatile boa du saxo, capable d’ingurgiter n’importe quel style et de lui donner son nom.

La voix entre mille autres reconnaissable de Mike Patton sertie par les arrangements de Jean-Claude Vannier sur le nouveau Corpse Flowers ( Ipecac). Alors, bien sûr, on attend du Gainsbourg, des fêlures et du classique à l’oreille. Et on n’est pas déçu par les compères qui sont allé enregistrer en franglais sur certains titres. Le son Vannier est bien là, qui s’est attaché à sa manière à illuminer les titres qui en ressortent tous marqués par la grosse voix de Patton et les arrangements propres à mixer gros rock et finesse toujours surprenante. Mais ce n’est pas du Gainsbourg (pour les nostalgiques), c’est bien le résultat d’une entente entre les deux hommes qui sont bien allés à la rencontre l’un de l’autre. Il en ressort un disque de producteur au son touffu, mais de suite accessible, et un disque de rock qui joue dans la cour de la chanson française. Si vous ne supportez plus ni l’un ni l’autre, évitez … Les autres l’ont déjà… 

Mike Patton et Jean-Claude Vannier

Jean-Pierre Simard le 16/09/19

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