“Junior & Senior” : Interview de Robin Recht
Avec ces personnages de Junior et Senior qui revisitent les classiques du slapstick ou les duos mythiques du grand soupe au lait et du petit malin : de Laurel & Hardy à Bud Spencer & Terence Hill en passant par d’Astérix et Obélix ; Robin Recht & Jean-Baptiste Hostache proposent un western réjouissant, drôle et attachant.
Dans les futurs États-Unis d’Amérique se disputent les politiciens tandis que des colons chassent les Amérindiens, que des villes apparaissent dans les prairies, que des ruées vers l’or s’organisent, et que des citoyens un peu trop à l’aise avec un colt s’entassent dans les prisons. Junior et Senior croupissent en cellule quand on vient les chercher pour faire le sale boulot, kidnapper la fille d’un sénateur pour le faire chanter.
Flâneurs et insouciants, ces bandits amateurs vont embarquer 6 gamines dans un orphelinat, ne sachant pas laquelle est la bonne, dans une fuite en avant endiablée avec à leurs trousses une gouvernante coriace, des officiers de cavalerie un peu trop fleur bleue, ou desperados nuls en géographie. Vont s’enchaîner une série de péripéties, d’évasions, cascades et bagarres portée par ces 8 antihéros qui donnent un album vivant et turbulent.
Beaucoup d’humour, de fayots au lard et d’aventures pour cette troupe informelle qui redonne un nouveau souffle au western en bande dessinée. L’occasion d’en discuter avec le scénariste, Robin Recht.
Robin Recht / photo © Manuel Lagos Cid / Le Lombard
On te connaissait surtout comme dessinateur puis avec l’album Adieu Aaricia tu t’es lancé en solo et maintenant un album comme scénariste. Comme pour ton style graphique qui change selon les projets, c’était un besoin de se renouveler ?
Robin Recht : Oui j’imagine, mais pas que ! J’ai une histoire professionnelle un peu tumultueuse : je me suis aperçu au bout de 20 ans que je faisais suer tous mes scénaristes et en écrivant mon Conan puis Adieu Aaricia je me suis rendu compte que c’est parce que je voulais leur boulot !
Je ne pensais pas du tout être scénariste. Ce sont les ornières qu’on se met : on a l’impression qu’on est fait pour ce qu’on a l’habitude de faire, et en réalité, pas nécessairement.
J’ai découvert que je prenais un plaisir absolument sans équivalent dans l’exercice de l’écriture. Beaucoup plus que dans le dessin qui, pour le coup, me fait assez souffrir. Une tâche que je fais et que je sais faire, mais qui est douloureuse. Pas du tout facile.
Je me suis mis à écrire aussi, parce qu’un éditeur m’a fait confiance et m’a dit : « vas-y, propose-nous des projets, on verra bien. » Voilà, ça s’est fait par révélation.
Comment vous vous êtes rencontrés avec Jean-Baptiste Hostache ? C’est un scénario sur mesure pour son dessin ou c’était l’un des projets que tu avais tenté pour cet éditeur ?
R.R. : Je suis resté un grand gamin et j’aime beaucoup jouer avec mes jouets d’adolescence : j’ai fait Conan, j’ai fait Elric, j’ai fait Thorgal. Tout ça finalement, ce sont des héros de mon enfance. J’étais un gamin assez solitaire, et j’ai énormément joué, dans ma chambre d’enfant unique, à refaire les histoires de la Guerre des étoiles ou celle des personnages que j’avais en jouets.
Devenu adulte, c’est à peu près ce que je fais. Je reprends ces personnages et j’imagine des histoires qui me font envie. Et la mode aujourd’hui en bande dessinée, c’est d’avoir le droit de le faire. Donc, tant mieux. Et j’avais, depuis longtemps, envie de m’amuser avec les héros d’On l’appelle Trinita : Bud Spencer & Terence Hill.
C’est un truc qui me trottait dans la tête, je trouvais que les personnages allaient bien avec la BD. Ça a traîné pendant un bon moment, mais il se trouve qu’en parallèle, on a été en atelier ensemble pendant pas mal d’années avec Jean-Baptiste. On faisait nos projets respectifs et un respect puis une amitié se sont créés entre nous.
Ce n’était pas le premier dessinateur à qui je l’ai proposé —pour être parfaitement honnête et je lui en ai parlé— mais l’autre dessinateur a décliné. Je pense qu’il ne le sentait pas bien. J’en ai parlé un peu après avec Jean-Baptiste —au moment où l’histoire s’est vraiment décoincée : sur le pitch du kidnapping des gamines— et à partir de là, il m’a dit « c’est sympa, ça me dit bien » et on a commencé à monter notre petite équipe.
© Jean-Baptiste Hostache / Robin Recht / Le Lombard
Tu cites Bud Spencer & Terence Hill, mais on y voit aussi un hommage et des clins d’œil à la bande dessinée —et Terence Hill a incarné Lucky Luke, ça se recoupe quelque part—d’où viennent Junior & Senior, comment tu les as imaginés ?
R.R. : Au départ, comme des incarnations de ce que j’imaginais à partir de ces films. C’était un condensé de ce duo comique très connu entre le gros bougon et le petit facétieux & malin, qui renvoie à Astérix et Obélix et à énormément d’œuvres. C’est un motif hypra connu de la comédie.
J’avais envie de l’investir pour m’amuser parce que c’est un chouette terrain de jeu, sans forcément penser aux clins d’œil. J’ai écrit le bouquin en écriture automatique sans vraiment réfléchir à ce que j’y mettais. C’est vraiment un condensé de tout ce que j’aime bien et qui me touche.
Je me suis aperçu au final qu’il y avait pas mal de clins d’œil auxquels je n’avais pas vraiment réfléchi, peut-être que si j’y avais réfléchi j’en aurais mis un peu moins. Mais c’est comme ça que c’est sorti.
C’est un album avec de l’aventure, des situations loufoques, qui semble toujours en mouvement avec quelques respirations —comme la rencontre avec les petites ou la contemplation en montgolfière— comment tu as imaginé le fil rouge de cette aventure ?
R.R. : Un peu comme tu le dis : j’avais envie de quelque chose qui aille très vite. Une idée un peu à contre emploi dans la BD qui n’aime pas l’action. On pense souvent que la bande dessinée est proche du cinéma et à mon avis pas du tout.
C’est assez proche du théâtre sauf qu’on n’a pas de problème de budget décor —on peut transporter les personnages à droite, à gauche— mais sinon c’est un peu la même économie que le théâtre qui n’aime pas beaucoup l’action non plus. Pas pour les mêmes raisons, mais à la fin on peut faire les mêmes synthèses : c’est beaucoup de dialogues, beaucoup de situations.
L’action, en bande dessinée, prend énormément de place, prend énormément d’efforts pour l’expliquer. Alors que, dans le cinéma qui est l’art du rythme et du mouvement, c’est beaucoup plus facile.
J’avais envie d’essayer de faire une BD où l’action était permanente. Mais elle ne peut pas l’être —parce que sinon ça fatigue énormément— je me suis senti obligé, en tant que premier lecteur, de mettre des respirations. Et je me suis aperçu que j’aimais bien ce rythme.
Entre très grands calmes —mais quand même en mouvement— et une espèce d’action épileptique à la Bip Bip & Coyote. Avec Jean-Baptiste on a vraiment fait des numéros d’équilibristes dans la narration et dans le dessin, pour essayer de rendre ça digeste. C’étaient des challenges vraiment costauds, mais assez marrants.
© Jean-Baptiste Hostache / Robin Recht / Le Lombard
On suit cette histoire d’un seul tenant, mais qui pourrait presque se lire comme une histoire à sketch, parce qu’à chaque fois qu’on change de décor, il y a une espèce de comique de situation, de dialogues et de dessin qui jouent beaucoup sur l’humour…
R.R. : Complètement, on passe d’un petit sketch à un petit sketch, mais j’ai essayé d’avoir des énergies un peu différentes à chaque fois.
Avec la cavalerie qui leur colle aux basques quand ils sont en chariot ou au contraire avec du multi points de vue quand ils sont dans le saloon où il y a peu plusieurs actions en même temps. Il y a trois actions en même temps, ce qui est vraiment une tannée en BD. Et puis le grand final, un peu plus classique, avec la bagarre générale.
Il se passe beaucoup de choses et on a l’impression de les connaître depuis longtemps —comme il y a des mini-aventures, et qu’ils sont caractérisés en solo et en duo— est-ce qu’il y a eu des coupes dans l’écriture ? On a l’impression que c’est plus vaste que ce qu’on peut lire.
R.R. : C’est marrant que tu dises ça parce qu’il y a une scène qui a été enlevée, une scène à laquelle je tenais mais que j’ai finalement retirée pour différentes raisons.
A droite, à gauche, il y a des trucs qui restent de cette scène, ça donne un sentiment comme s’il y avait eu un avant, mais qui n’était pas montré. C’est un truc qu’a fait George Lucas aussi dans la Guerre des étoiles où il avait coupé le premier tiers de l’histoire pour arriver directement dans la poursuite.
Après, pour répondre aussi à ta question, ce sont des héros qui existent aussi à travers tous les films, toute la culture qui balade ce motif du gros un peu patibulaire et du petit mince un peu espiègle, ça donne une épaisseur. On a cette culture commune et on projette tout un tas de trucs qui se passent hors champ, loin des caméras. J’aime bien ça, ne pas tout donner au lecteur et laisser une place pour l’imaginaire.
© Jean-Baptiste Hostache / Robin Recht / Le Lombard
Tu parlais de lecture test, et est-ce que tous les deux vous testez les moments humoristiques avant de passer au storyboard ? Comment vous travaillez ensemble ?
R.R. : J’écris dans mon coin. Je fais lire à Jean-Baptiste qui me donne son retour —en général assez enthousiaste ! Ce n’est pas pour rien qu’on est amis, on fonctionne un peu sur le même type de culture et d’humour. Ce n’est pas le public-test le plus atroce pour moi, parce qu’on est assez raccord. Quand un truc me fait rire, en général ça le fait rire.
Pour moi le but du jeu c’est de rire ou de sourire quand j’écris. Ça m’est arrivé pas mal de fois quand j’écrivais, j’ai fait un truc qui est assez intime dans l’humour. Après, l’humour étant la chose la moins bien partagée du monde : certains riront, d’autres souriront et d’autres pas du tout et ce n’est pas grave.
Par contre si 99% des gens me disent que mes blagues tombent à plat, je vais revoir ma copie, parce que le but du jeu n’est pas de me faire rire moi-même. Je rigole bien avec moi-même, mais si on fait un bouquin, c’est pour le proposer à un public : et il y a une politesse de la bonne humeur à avoir envers le public, quand on fait ce type de bouquin.
Il faut essayer de rendre ça sympathique, ça demande du travail, de la réécriture, du peaufinage. En fait, c’est infini, ça ne s’arrêterait jamais si on pouvait, mais à un moment il faut bien s’arrêter !
En tant que scénariste, qui est aussi dessinateur, tu imagines les situations directement en images ou c’est vraiment script ? Tu touches au storyboard ou c’est Jean-Baptiste qui s’en occupe ?
R.R. : Ça a été toute une aventure. Parce que c’est la première fois qu’on travaillait ensemble et qu’on est tous les deux auteurs de la narration dans nos albums respectifs.
En tant que dessinateur, j’écris, mais je ne m’occupe pas trop du dessin même si je pense que dans un bout de cerveau, il y a quand même un truc qui dit ce qui est possible à représenter ou pas. Donc, je n’ai pas écrit de scène infaisable en BD. Parce qu’il y en a, un exemple simple : le sabre laser au ciné c’est assez magique, en bande dessinée c’est quand même nul ! Il faut voir le mouvement sinon ça n’a aucun intérêt.
Je pense qu’instinctivement, je fais des scènes qui sont faisables. Je les ai passées à Jean-Baptiste qui a commencé à faire un board et je me suis aperçu que même si on très raccord sur l’humour ; sur sa façon de le voir, de mettre les accents toniques, de mettre les choses en place dans sa narration : ce n’était pas tout à fait mes intentions. On a commencé à faire du ping-pong de narration, mais ça s’est révélé extrêmement fastidieux.On a fait la première séquence, assez rapidement, jusqu’au moment du pont qui explose.
Et Jean-Baptiste m’a dit « tu vois le truc, fait le. Je sais où est mon territoire, où je peux m’amuser, donc ça ne pose pas de problème ». À partir de là, j’ai fait tout le storyboard qu’il suivait plus ou moins selon comment il le ressentait. Il apportait des améliorations —et avoir deuxième regard, c’est toujours mieux— parce qu’en humour, c’est très difficile de bien placer ses intentions juste au texte. C’est tellement précis sur le rythme, on peut faire deux images pour dire un truc et ça tombe à plat, alors que ça marche en une image.
Recherches publiées sur Instagram par le dessinateur ©Jean-Baptiste Hostache
L’album n’est pas numéroté, mais avec dans la dernière case « fin de l’épisode », reviendront-ils dans une suite ou sous une autre forme ?
R.R. : Ils reviendront, tels qu’ils sont, dans une suite. Avec Jean-Baptiste, on avait envie de continuer à les faire vivre et l’éditeur nous a donné le feu vert.
J’ai écrit le déroulé, le mois dernier, c’est le séquencier de l’album : j’ai toutes les scènes, mais il n’y a pas les dialogues. Il me reste un gros travail de dialogue à faire puis après de storyboard, donc pas mal de boulot.
Il y aura deux albums, ça, c’est sûr, après est-ce qu’il y en aura un troisième ? Très honnêtement, les dieux du commerce trancheront.
Avec toujours des histoires autocontenues, des épisodes qui se concluent ?
R.R. : J’aime bien l’idée d’une histoire qui se conclut. J’ai une espèce de nostalgie des albums d’Astérix, de Lucky Luke… de tout ce que j’ai lu gamin, qui proposaient des histoires autoconclusives.
Mais j’aime bien aussi aménager une porte qui permette au spectateur d’imaginer un après. Là, je dis qu’ils vont vers l’Ouest et ça pourrait très bien se conclure comme ça, mais on peut imaginer les suivre dans leurs prochaines aventures à l’Ouest.
Hâte de découvrir la suite de leurs péripéties dans le contexte de la conquête de l’Ouest pour voir comment les personnages évoluent dans le temps, on leur souhaite une belle longévité. Dites-nous en commentaire ce que vous en avez pensé.
Thomas Mourier, le 14/10/2025
Robin Recht & Jean-Baptiste Hostache - On les appelle Junior et Senior - Le Lombard
Toutes les images sont © Jean-Baptiste Hostache / Robin Recht / Le Lombard
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