Jalal a finalement été expulsé au Soudan en pleine nuit et en cachette

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Mauvaises nouvelles : tandis que Tieri Briet, qui nous alertait hier sur le risque d’expulsion au Soudan de Jalal Adaem, se rendait au Centre de rétention Administrative de Rennes, où il était incarcéré depuis 49 jours, pour le rencontrer au parloir, celui-ci était réveillé en pleine nuit par les gardiens pour être emmené à l’aéroport et embarqué de force dans un avion destination Khartoum. Personne n’en avait été prévenu.

Clémence, je ne la connaissais pas mais je l'avais écoutée nous parler de Jalal au micro, face à la préfecture. Je l'attendais au métro Villejean-Université, du côté des bus. Elle est arrivée en voiture et on a parlé sur le chemin du CRA, en longeant les pistes de l'aéroport au sud-est de Rennes.

Elle s'est arrêtée au tabac acheter une recharge pour le téléphone de Jalal et je me suis rendu compte que j'étais venu les mains vides. Dans toutes les prisons du monde, la tradition des parloirs est d'amener des petites choses qui changent un peu la vie de l'autre côté des barreaux. Clémence avait pensé à tout : du chocolat et des biscuits, une revue pour apprendre le français et un bouquin d'Éric Emmanuel-Scmidt qu'elle adore, et parce que c'est le plus facile à lire, elle m'a dit.

Devant le CRA, il y a une aire d'accueil pour les Gens du voyage. Les caravanes sont de l'autre côté des grands grillages qui enclosent le parking. À travers une grille, on parle avec les gardiens du CRA, des policiers de la Police aux Frontières. Je veux savoir si je peux rentrer avec juste un permis de conduire. Pas de problème, ils me disent, mais il faudra attendre. Les parloirs sont pleins et il y a du monde avant nous : une militante de Welcome qui vient depuis vingt ans, une autre femme qui entre quand on arrive. Deux jeunes africains attendent «quelqu'un qui doit sortir».

Une autre femme arrive après nous et sonne à l'interphone. C'est Anne, une militante de la Cimade habillée toute en noir, femme en colère.

Dans l'interphone, une voix d'homme lui demande qui elle est venue voir. Jalal Adaem, elle répond. Alors on tend l'oreille. La voix du flic répond qu'il est déjà parti, et c'est là qu'on apprend la nouvelle. Parti où ? À Roissy, d'où part le vol pour Khartoum ? Anne s'éloigne pour appeler les salariés de la Cimade à l'intérieur du CRA. Ils ne sont pas au courant, ils nous rappellent.

La nouvelle tombe au bout de cinq minutes. Jalal a été réveillé dans la nuit, escorté jusqu'à une camionnette de la PAF, vitres teintées pour circuler incognito direction l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle, où l'escorte doit embarquer sur le vol pour Istanbul de 13h35, avec une correspondance pour Khartoum qui atterrira en pleine nuit.

Encore une fois, la loi n'a pas été respectée. Jalal n'a pas été averti de son extradition programmée. Rien n'a été notifié à son avocate, ni même à la Cimade, qui assure le conseil et le suivi juridique des enfermés. C'est le genre de saloperie que les flics pratiquent au quotidien, certains de leur impunité que garantissent le ministère de l'Intérieur et les préfectures. C'est le droit des étrangers qu'en Europe nos États bazardent pour «faire du chiffre», puisque nous avons des gestionnaires, des administrateurs et des banquiers à la tête des États.

Les amis soudanais de Jalal racontent que si leur frère d'exil est renvoyé au Soudan, il est en danger de mort. Ce sont les milices janjawids qui gèrent l'aéroport de Khartoum, celles qui ont tué ses deux frères et sa sœur en brûlant leur village, au Darfour. Alors oui on a peur maintenant.

Tieri Briet le 29 novembre 2019


Né en 1964 dans une cité de Savigny-sur-Orge où il a grandi à l'ombre d'une piscine municipale, Tieri Briet a longtemps été peintre avant d'exercer divers métiers d'intermittent dans le cinéma et de fonder une petite maison d'édition de livres pour enfants. Devenu voyageur-ferrailleur pour pouvoir écrire à plein temps, il est aussi l'auteur d'un récit sur les sans-papiers à travers les frontières, « Primitifs en position d'entraver », aux éditions de l'Amourier, de livres pour enfants et d'un roman où il raconte la vie de Musine Kokalari, une écrivaine incarcérée à vie dans l'Albanie communiste, aux éditions du Rouergue. Il écrit pour la Revue des ressources, Ballast et L'Autre Quotidien en continuant d'explorer la Bosnie, le Kosovo et l'Albanie pour rédiger son prochain livre, « En cherchant refuge nous n'avons traversé que l'exil ».

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