Le faux déficit des retraites, par Yves Faucoup
Il y a tout juste un an, le COR (Conseil d’Orientation des Retraites), instance censée être spécialiste du sujet, déclarait que les comptes des retraites étaient à l’équilibre jusqu’en 2070! Le pouvoir en place, qui prévoyait sa réforme « systémique » était bien marri : comment convaincre qu’il faut réformer alors que, financièrement, tout va bien ? Finalement, comme par enchantement, le COR dit aujourd’hui qu’il manquera autour de 10 milliards par an en 2025.
En fait, les scénarios (qui ne sont pas des prévisions) tournent autour de 8 et 17 milliards d’euros. C’est dire si ces chiffres, qui affolent les populations (délibérément ou de fait), sont incertains. On est en droit de se demander comment ce conseil d’experts peut produire des documents si fluctuants d’une année sur l’autre, alors même que les données (à part la croissance) sont connues.
Le gouvernement est moyennement satisfait car cela l’oblige à lancer une pré-réforme avant cette date juste pour atteindre l’équilibre (condition sine qua non pour le régime universel de la réforme Macron) : rallongement de la durée de cotisations, âge de départ repoussé, augmentation des cotisations, baisse des pensions ? Il faut bien comprendre que les discours catastrophistes (comme ceux, entre autres, de l’« expert » Philippe Dessertine) se gardent bien de préciser que l’on parle d’un budget retraites qui s’élève à 325 milliards d’euros (qui sont réellement collectés) pour lequel il manquerait (ce n’est pas sûr) 10 milliards d’euros (soit au pire 3 % du budget, et 0,3 % du Pib). On est loin d’une faillite du système contrairement à ce que prétendent ceux qui, de façon calculée, cherchent à inciter les jeunes générations à plier l’échine, à croire que tout est perdu pour elles et donc à tout accepter : il manquerait donc, et ce n’est même pas sûr, 0,3 % du Pib !
10 milliards d’euros c’est :
- le bénéfice annuel de la BNP ou de Total ;
- le montant annuel des gains des jeux de hasard ;
- le montant accordé à l’hôpital avec reprise partiel de la dette de 30 milliards d’euros ;
- la moitié de la suppression totale de la taxe d’habitation (mesure inexpliquée qui bénéficiera également aux classes supérieures, que personne ne demandait, purement démagogique et électoraliste lors de la campagne présidentielle, une réduction des montants aurait suffi) ;
- le quart des cadeaux accordés au patronat dans le cadre du CICE ;
- le double des cadeaux fiscaux accordés aux plus riches (dont ISF en partie supprimé).
« Stratégie diabolique »
On doit pouvoir poursuivre la liste : tout ça pour dire que 10 milliards d’euros ce n’est pas rien certes (si le montant du déficit prévisible est exact), mais cela n’est pas dû à une augmentation des dépenses, comme l’indique le rapport du COR lui-même. Christian Chavagneux, d’Alternatives économiques, expliquait justement ce matin dans l’émission d’Alexandra Bensaïd sur France Inter que les raisons du déficit étaient liées aux mesures prises par le gouvernement actuel : réduction d’emplois dans la fonction publique (80.000 emplois supprimés d’ici 2022), austérité salariale prolongée dans la fonction publique, et non compensation des exonérations des cotisations sociales pour la prime de Noël et pour les heures supplémentaires. L’économiste ne craignait pas de parler de « stratégie diabolique » du Président de la République.
Même Emmanuel Lechypre, un des chroniqueurs économistes de BFMTV, reconnaissait qu’il s’agissait bien là de l’analyse du COR. Et les deux s’accordaient pour dire qu’il ne fallait pas faire travailler chaque salarié davantage, il valait mieux répartir le travail « avec beaucoup de gens qui travaillent ». Christian Chavagneux avançait un argument, que j’ai très souvent évoqué dans mes billets de blog : « en 1960, l’ensemble des Français travaillaient 42 milliards d’heures. Aujourd’hui, c’est aussi à peu près 42 milliards, donc la quantité d’heures de travail est à peu près fixe ». Cela du fait des gains de productivité. C’est en effet, la réduction progressive de la durée du temps de travail qui a permis de créer des millions d’emplois depuis les années 60.
C’est donc sur une tromperie organisée que l’on veut faire travailler les salariés plus longtemps (avec une réforme immédiate dite paramétrique) et que l’on veut aboutir à une réduction des montants des pensions de retraite (avec la réforme dite systémique). Edouard Philippe a beau nous dire qu’il ne veut pas une baisse des pensions (en fait, la réforme Delevoye y conduira) ni une hausse des cotisations (et pourquoi pas, plutôt que de supprimer des cotisations sociales afin de permettre au patronat de ne pas augmenter les salaires). Sibeth Ndaye, porte-parole du gouvernement, a beau invoquer, de façon démagogique et simpliste (l’argument est usé jusqu’à la corde), qu’il ne faut pas laisser la dette « aux générations suivantes » ou Richard Ferrand, président de l’Assemblée, peut toujours ânonner que l’on vit plus longtemps et surtout, affirme-t-il, « tendanciellement plutôt en bonne santé » (« c’est banal comme un nougat de Montélimar », métaphorise-t-il intelligemment, alors que l’espérance de vie en bonne santé stagne à 62,5 ans). Tout cela n’empêchera pas que les chiffres et les données sont têtus, encore faut-il les connaître.
Le COR écrit que le retour à l’équilibre est prévu pour 2030 ce que l’on se garde bien de préciser en haut-lieu. En admettant même que son scénario de déficit à 10 milliards d’euros soit fondé, il y a d’autres moyens de les compenser lorsque le souci premier des gouvernants est le bien-être des administrés. Il n’y aurait rien d’immoral à ce que le budget des retraites, massivement abondé par les cotisations salariales et patronales (salaire différé), le soit également par la contribution des plus fortunés pour permettre aux anciens salariés ayant cotisé de bénéficier d’un temps de retraite heureux. Si vraiment le but de la République est le bien-être de l’ensemble de ses citoyens.
Édouard Philippe a causé un peu de cela jeudi matin [23 novembre] sur France Inter : si Léa Salamé et Nicolas Demorand l’avaient voulu vraiment, ils auraient mis le premier ministre devant ces chiffres plutôt que de se contenter de lui dire : on ne comprend pas grand-chose à votre réforme.
Yves Faucoup, le 23 novembre 2019
BLOG : SOCIAL EN QUESTION
. Perspectives des retraites en France à l’horizon 2030, rapport du COR (21 novembre 2019).