"L'état a décidé d'attaquer l'idée même de Zone à défendre" : lettre d'un militant de la première heure

Joël est un militant écologiste de londue date et a participé au mouvement No Border. Assigné à résidence pendant la COP 21 fin 2015, il doit pointer trois fois par jour au commissariat. En août 2016, il s'installe à Bure, à la maison de la résistance avec une trentaine d'autres militants écologistes. Constamment surveillé par la police, il dénonce un fascisme soft qui « instaure la peur comme principe de vie, pour pouvoir arrêter n’importe qui, n’importe quand ». Aujourd'hui, il appelle à soutenir cet espace de liberté qu'est la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Hier, à la veille de l'invasion policière de Notre-Dame-des-Landes, il écrivait le texte suivant, que nous reproduisons avec son autorisation.

Salut à vous*,

J'écris en mon seul nom de personne qui a lutté pour la ZAD de près
comme de loin durant plusieurs années, avec d'innombrables moments qui
m'ont procuré de la joie, de la colère, des souffrances, des espérances,
de l'exaltation, du dépit, et d'innombrables autres sentiments
contraires qui ont fortement déterminé et marqué mon existence et cela
certainement jusqu'au dernier de mes jours. Je vous écris à vous, car à
un moment ou l'autre nous avons lutté ensemble dans l'un ou l'autre
collectif et que chacun.e de vous a contribué à ma vision politique de
la lutte mais surtout de la vie, d'une façon ou d'une autre.

Demain l'État, et avec lui une vision ultralibérale du monde, n'a pas
seulement décidé de procéder à "l'expulsion d'une partie de la ZAD" mais
d'attaquer l'idée même de Zone à Défendre. Car que restera-t-il encore à
défendre après qu'une nuée de gendarmes ait mutilé, amputé et piétiné
une partie d'un tout qui forme la ZAD ? La ZAD ne peut être réduite par
la force dans le nombre de ses lieux de vie sans qu'une partie de ce qui
fait sa diversité d'idées, d'initiatives et de visions politiques ne
s'en trouve irrémédiablement diminuée. Et même si je sais qu'à l'image
de 2012-2013 nous renaissons toujours de nos cendres sous l'un ou
l'autre de nos innombrables visages, j'ai peur que nous nous battions
alors davantage pour le souvenir de la ZAD que pour son avenir, et je ne
peux m'empêcher, comme beaucoup, de ressentir que ce qui se jouera
demain est irréversible. Nous risquons de voir mutilée une des plus
formidables brèches de liberté que nous ayons ouvertes dans le sombre
horizon actuel que nous dessine le capitalisme. Et je ne suis pas
certain que nous puissions le refaire de sitôt ailleurs.

Quoi qu'on puisse penser de l'abandon de l'aéroport, des conflits qui
divisent la ZAD, des comportements des un.es ou des autres dans la lutte
ou des pratiques en terme d'actions, la venue de 2500 gendarmes avec des
blindés représente une offensive militaire sans pareil contre l'ensemble
d'entre nous, sur tous nos terrains de lutte. Nous ne pouvons pas
regarder cela en silence sans réagir, ce serait un message beaucoup trop
encourageant pour l'offensive généralisée du gouvernement Macron et de
ses voisins européens contre l'ensemble de nos sociétés.

J'ai envie que demain et dans les jours, semaines et mois à venir nous
luttions de toutes nos forces pour ne pas laisser disparaître la ZAD
mais la faire ressentir, vivre et batailler à travers chacun.e d'entre
nous. Que nous nous rendions sur place en nombre ou que nous
investissions l'espace en ligne pour riposter à une propagande
réactionnaire dans les médias, blogs ou réseaux sociaux, que nous y
acheminions vivres et matériaux, que nous y prenions soin et
accueillions celleux qui souffriront, que nous en parlions à chacun.e
que nous croiserons dans les prochains jours dans la rue ou au boulot,
que nous prenions la parole pour le dénoncer dans les assemblées et
moments de mobilisation contre les réformes, que nous écrivions une
infinité de textes, de chansons, de films, de sons pour le faire
entendre avec une multitude de voix, que nous investissions chaque
espace dehors et dedans pour que notre riposte soit omniprésente et
tapageuse, que nous ne laissions personne seul.e entre les mains de la
police et de la justice sans appeler à un large soutien, que nous
fassions vibrer et exister le mot solidarité aussi puissamment que
possible !

Car je ne peux m'empêcher de penser que le visage que nous oppose
Macron, si n'est pas celui si redouté du fascisme haineux de
l'extrême-droite, est néanmoins celui bien plus sournois et rampant qu'a
abhorré avant lui le national-socialisme. Nous pourrions bien nous
trouver devant une forme encore inédite de fascisme, celui de
l'individualisme roi qui s'impose à travers nos renoncements, nos peurs
de nous perdre, nos fatalismes, nos indifférences et nos égoïsmes. Il
n'est pas certain que bientôt nous ayons encore des forces et des
espaces pour lutter et réagir, avec la privatisation et vampirisation
accélérée du moindre centimètre carré de terre, d'air et d'eau qui nous
entourent. Plus la planète et les populations sont exsangues, plus ceux
qui les saignent cherchent à tirer encore le maximum de profit pour
leurs satisfactions présentes, avant la grande faillite générale.

Alors battons-nous, n'attendons pas la prochaine assemblée, une échéance
de grand jour qui tarde à venir, ou une convergence illusoire des
luttes. La seule convergence qui vaille c'est de mettre dès à présent
toutes nos forces individuelles et collectives à défendre ce qui nous
tient à cœur et à investir de nouveaux espaces de liberté sans attendre
qu'on nous les brade au rabais. Le dialogue, si tant est qu'il ait
existé véritablement, est rompu, il ne reste plus que la place pour un
rapport de forces sans concessions et sans retour arrière possible !

No Pasaran !

Joël

 Ce texte était à l'origine un mail adressé à tous les militant.e.s et réseaux militants que j'avais pu côtoyer au cours de plusieurs années de lutte parce qu'à travers la ZAD c'est chacune de nos luttes qui est touchée par ce qui s'est passé aujourd'hui.

Sur Joël, voir l'article que lui a consacré Amnesty international.

Voir le documentaire français "Nothing to hide" dédié à l'acceptation de la surveillance dans la population à travers l'argument "je n'ai rien à cacher" dans lequel intervient Joël. Publié en octobre 2017 sur sur youtube, il est en libre accès ici