Identifier le "vote blanc" et l'abstention d'"insoumis" à un vote confortable et "petit bourgeois" ne tient pas la route

Identifier le "vote blanc" et l'abstention d'"insoumis" à un vote confortable, blanc de peau et "petit bourgeois" ne tient pas la route si l'on considère les choses au-delà de ce prisme de nos sociabilités immédiates, réduites au monde de l'art et de nos amis Facebook.

Mes amis et familiers d'un "autre monde", ouvriers et employés vivant à la périphérie de Lille, m'ont témoigné pour eux-mêmes et pour leurs proches, qu'ils avaient voté pour la première fois depuis longtemps au premier tour des présidentielles, pour Mélenchon en l'occurrence. Ils s'abstenaient depuis une quinzaine d'années, estimant que la traîtrise de gauche gouvernementale le disputait à la violence libérale de la droite. Ils ne voteront pas Macron au deuxième tour, qu'ils perçoivent comme le représentant des intérêts des classes dominantes qui ne cessent de les écraser, ni Le Pen qu'ils rejettent idéologiquement à tout point de vue.

Pareil pour nombre d'ami-e-s double nationaux, franco-algériens, franco-turcs, franco-marocains, vivant dans ces contextes délabrés par les politiques libérales de droite comme de gauche. Qui ne voteront pas Macron. Ces derniers ne supportent d'ailleurs pas ce qu'ils perçoivent comme une condescendance petite bourgeoise à leur égard de la part de celles et ceux qui disent voter pour leur bien et au nom de leur bien. Enfin, il est frappant de constater que nombre d'acteurs engagés au quotidien pour la défense des droits des réfugiés et des migrants n'ont pas voté ou voté blanc au premier tour (estimant que même le programme de Mélenchon n'était pas clair vis-à-vis de cet enjeu), et réitéreront cette position au deuxième tour.

Tout cela pour dire que cette identification du vote blanc et de l'abstention à des "privilégiés" est fausse, et que, oui, il y a des "gens de notre monde" vu de gauche qui s'abstiendront, voteront blanc ou nul, mais que leur part sera extraordinairement réduite par rapport au nombre croissant d'ouvriers, employés, agriculteurs et chômeurs qui s'abstiennent, votent blanc ou nul (statistiquement ces non votes et votes blancs ou nuls arrivent largement en tête dans l'électorat populaire depuis deux décennies).

Et que nous, "classes moyennes", "petite bourgeoisie intellectuelle", artistes, acteurs de l'art, intellectuels, etc, nous continuons en majorité à ne pas nous abstenir, à ne pas voter blanc ou nul dans ce type de configuration. Ça, c'est la réalité statistique, sociologique qui, en effet, est rognée cette année, par un ras-le-bol de certain-e-s vis-à-vis de la situation perverse dans laquelle nous nous trouvons (que certains ont qualifié, assez justement je pense, de vote pour un pompier pyromane), et le sentiment récurrent et harassant moralement d'être, en tant que "classes moyennes" ou intermédiaires, pris en otages à chaque élection, à quelque échelon que ce soit. Sur ce, je file enregistrer ma procuration pour qu'une amie vote Macron pour moi, misère de misère...

Tristan Trémeau, le 5 mai 2017

Tristan Trémeau est critique d'art. Il tient un blog sur l'art moderne sur lequel vous pouvez suivre ses travaux.

Des affiches électorales des deux finalistes arrachées et taguées à Paris, le 2 mai 2017 / AFP

Des affiches électorales des deux finalistes arrachées et taguées à Paris, le 2 mai 2017 / AFP