Le convoi de tous les dangers, par Yannis Youlountas

Depuis 2009, Yannis Youlountas* mène des actions de solidarité avec le mouvement social grec et les réfugiés, coincés sur les îles, dans les hotspots. Il organise des convois solidaires afin d'acheminer des produits alimentaires et d'hygiène, des jouets et du lait maternel vers la Grèce, saignée par les exigences des créanciers. Depuis août dernier, ce convoi trimestriel circule accompagné d'une escorte antifasciste, car il doit faire face, non seulement à la police, mais aussi à des menaces de l'extrême droite, notamment les néo-nazis d'Aube dorée. Nous publions le récit du dernier convoi organisé en ce mois de décembre 2017. Ambiance digne d'un polar !

Jamais convoi solidaire en Grèce n’a été aussi périlleux : 
– barrage policier,
– filatures très visibles,
– pressions diverses, 
– propagande médiatique, 
– accusations délirantes,
– menaces fascistes explicites,
– plusieurs de nos lieux solidaires en grandes difficultés, 
– l’un d’entre eux sur le point de mettre la clé sous la porte,
– attaque incendiaire néo-nazie sur un autre, 
– inondations dramatiques, 
– programme sans cesse chamboulé, 
– six membres du convoi blessés par des policiers durant une manif, 
– un autre arrêté et poursuivi en Justice puis libéré, 
– un autre encore hospitalisé puis rapatrié en France…

On vous avait prévenus de longue date : ce convoi allait être plus politique que les précédents. Période importante. Météo moins clémente. Manif anniversaire. Nous savions également qu’après notre convoi très remarqué du printemps (26 fourgons), sous le feu malveillant des médias grecs, la surveillance du pouvoir et la haine des néo-nazis, nous serions probablement attendus. Sur les réseaux sociaux, début novembre, des fascistes cherchaient à savoir notre date exacte d’arrivée. Le pouvoir était également aux aguets. Qu’importe. Nous savions que ce serait compliqué et nous avions clairement prévenu nos candidats au voyage.

Contrairement au printemps, aucun enfant n’était admis dans le convoi, excepté Achille que nous avions prévu de laisser chez une parente à Athènes dès notre arrivée. Mais celle-ci, bien désolée, se décommanda au dernier moment, ajoutant une épreuve de plus durant le séjour : un petit gars de 8 ans avec nous dans ce qui allait devenir une véritable tempête.

Avec notre collectif Anepos, parallèlement à nos films solidaires, c’était la dixième fois depuis 2012 que nous coordonnions un transport de matériel vers nos lieux autogérés en Grèce, parfois très modestement avec de simples voitures, et c’était la quatrième fois durant l’année 2017 :
– 7 véhicules en janvier, dont 3 pour Athènes ; 
– 26 fourgons en mars-avril (record absolu) ;
– 3 en août-septembre ;
– 16 véhicules en novembre-décembre, dont 15 fourgons et une voiture.

Au sens fort du mot convoi, c’était la deuxième fois seulement qu’on dépassait la quinzaine de véhicules et la trentaine de convoyeurs. Pour la plupart, nous venions du sud de la France : Bordeaux, Marseille et, surtout, les environs du Tarn (5 fourgons sur 16). D’autres nous avaient rejoint depuis la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, Limoges, la Bourgogne ou encore la Savoie, la Suisse et la Belgique. La moyenne d’âge était un peu plus élevée qu’à l’habitude et 18 convoyeurs sur 33 étaient déjà partis avec nous.

Seul regret : malgré notre appel pressant dans les réseaux antifascistes, plusieurs de nos camarades motivés avaient finalement du reporter leur départ. Nous n’étions donc qu’un quart des convoyeurs vraiment expérimentés dans ce domaine, alors que nous aurions souhaités être une bonne moitié dans ce profil, vu les circonstances délicates.

Cependant, le courage n’a pas manqué, personne dans le groupe n’a jeté l’éponge dans l’épreuve et, au final, dans des circonstances très difficiles, non sans quelques tensions inévitables, nous avons réussi à remplir tous nos objectifs, et plus encore, en participant également à la solidarité avec les sinistrés des inondations mortelles de l’ouest athénien.

Nous avons également battu le record absolu de soutien financier jamais apporté en convoi : 22 897 euros apportés contre 19 280 euros au printemps. Une somme répartie, à la suite de notre assemblée sur le ferry, entre 32 actions solidaires, principalement dans le quartier rebelle d’Exarcheia, mais aussi ailleurs à Athènes, ainsi qu’au Pirée, en Crète, à Lesbos ou encore à Thessalonique.

Une aide répartie, comme à l’habitude, environ à 50/50 entre précaires grecs et réfugiés/migrants, sans oublier le soutien aux camarades réprimés, poursuivis ou incarcérés.

Parmi les fourgons du convoi, Christian de la CNT et José de la CGT nous ont réservé une surprise : ils ont décidé de décorer le véhicule qu’ils conduisent ensemble avec les drapeaux des deux syndicats à la fois, symbole de convergence de luttes. Su…

Parmi les fourgons du convoi, Christian de la CNT et José de la CGT nous ont réservé une surprise : ils ont décidé de décorer le véhicule qu’ils conduisent ensemble avec les drapeaux des deux syndicats à la fois, symbole de convergence de luttes. Sur le flanc, ils ont également collé un texte en grec : « La solidarité est notre arme ! », slogan repris en cœur par la foule sur la place.

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Depuis bientôt deux ans, l’Autre Humain croule sous les dettes. Le fameux réseau de 17 cuisines sociales gratuites et autogérées a récemment annoncé un triste décision : il va quitter le 15 décembre son magnifique lieu de vie dont la location n’est plus possible. Ce grand espace au centre d’Athènes permettait aux sans-abris de se doucher, de laver leurs vêtements et de déjeuner au chaud, aux enfants démunis de trouver une aire de jeux et une aide aux devoirs, à tous d’être accompagnés autrement, sans bureaucratie, avec des boissons chaudes et des biscuits, ainsi que des ordinateurs et une assistance pour essayer de résoudre leurs problèmes. C’était un lieu en location parce qu’il permettait aussi de stocker beaucoup de choses, denrées et gros matériel, qui auraient probablement été perdus en cas d’expulsion.

Mais la solidarité de quelques dizaines d’ouvriers dans une usine voisine a permis de rassembler un quart de la somme nécessaire, parmi d’autres initiatives. Alors, après avoir longuement fait nos calculs, nous avons décidé tous ensemble de prendre en charge tout le reste, effaçant la totalité des dettes et assurant plusieurs mois de loyer d’avance. Plusieurs convoyeurs ont ajouté de l’argent sur leurs propres deniers pour parvenir à la somme nécessaire, en plus de la somme apportée par le convoi lui-même. Pour l’instant, le loyer est payé jusqu’au 15 juin 2018.

Depuis plusieurs jours, Kostas s’était fait à l’idée de partir. Il n’en revenait pas. De même que les autres camarades du collectif, très émus comme nous.

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Côté matériel, nous avons apporté une tonne et demi de lait infantile, plus de 10 000 couches, des soins et de la nourriture pour les bébés, des produits ménagers et d’hygiène, des fournitures médicales, des photocopieurs et des ordinateurs, de l’alimentation générale (nous avons aussi acheté un peu de frais sur place) et, bien sûr, des jouets très attendus, souvent accompagnés de messages, affiches, autocollants, ainsi que des dessins transmis par les écoles de Port-St-Louis dans les Bouches-du-Rhône. Valeur totale du chargement : environ 70 000 euros.

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Pendant ce temps, des pluies diluviennes tombent sur Athènes et les environs. Les inondations s’étendent et tuent des dizaines de personnes, laissant des dégâts gigantesques derrière elles.

Nous songeons à intervenir, mais comment ?

Sur place, l’Etat est complètement dépassé, les secours totalement insuffisants, le gouvernement honni, encore plus qu’à l’habitude. Simultanément, les néo-nazis d’Aube font le spectacle en organisant quelques actions superficielles pour leur vitrine.

Impossible de laisser faire, de laisser place vide, de ne pas y aller nous aussi.

Sur les fourgons, on peut également lire des hommages à Rémi Fraisse et à Heather Heyer, militante antifasciste assassinée par un néo-nazi aux Etats-Unis. Plusieurs luttes sont évoquées, comme celle de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, sans oublier q…

Sur les fourgons, on peut également lire des hommages à Rémi Fraisse et à Heather Heyer, militante antifasciste assassinée par un néo-nazi aux Etats-Unis. Plusieurs luttes sont évoquées, comme celle de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, sans oublier quelques jeux de mots…

 

Ça tombe bien. La bête noire des fascistes, le groupe anarchiste Rouvikonas (que nous soutenons depuis longtemps pour ses actions formidables aux côtés des opprimés) souhaite intervenir aussi et connaît bien le terrain. Mais il lui manque des fourgons, du matériel et des renforts. Nous avons tout ça ! Trois de nos fourgons sont justement remplis de couvertures chaudes, de vêtements secs, d’outils, de trousses de première urgence, de produits ménagers et de biscuits énergétiques. D’autres fourgons sont également disponibles.

Rouvikonas bat le rappel dans Exarcheia et complète le convoi vers la ville sinistrée de Mandra. Le pouvoir voulait absolument nous associer à un groupe sulfureux pour mieux défrayer la chronique ? Il va être servi. Quelques jours plus tard, la presse parle, cette fois, de l’action lancée par Rouvikonas en précisant que les fourgons sont ceux du fameux « convoi français » et que le chargement est composé de choses non utilisées lors des premières livraisons.

Une double revanche pour nous. Car oui, nous ne sommes pas un banal convoi humanitaire, nous sommes clairement engagés dans une action avant tout politique, de mouvement social à mouvement social. Mais non, cela ne nous empêche pas d’aider avant tout, partout où c’est nécessaire, aux côtés de nos camarades et compagnons grecs ou migrants. Y compris avec Rouvikonas, le groupe le plus craint par le pouvoir et les fascistes. Y compris à Mandra, ville mortellement touchée dont toute la Grèce parle, notamment pour les polémiques au sujet de l’incompétence du gouvernement et des services de l’État, complétement dépassés, et à cause de la tentative de récupération d’Aube dorée.

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Tout ce qui a été demandé puis collecté a été transmis, sans exception, malgré les embûches, sans intermédiaire ni aucun frais, directement au mouvement social qui résiste en Grèce et organise l’entraide dans l’autogestion. C’était un défi cette fois, comme vous allez le voir en photos. Un défi relevé par mes 32 compagnons de voyage. Grand merci à elles, à eux d’avoir tenu bon dans l’adversité, chacun à sa façon. Même si ce ne fut pas toujours simple pour moi aussi, je leur tire mon chapeau, et Maud également.

Je n’en dis pas plus : les photos qui suivent vont vous résumer ce que nous avons traversé, durant ce dernier convoi solidaire de l’année, de mi-novembre à aujourd’hui, dans un tourbillon d’événements et une succession d’épreuves.

Merci à vous tou-te-s de votre soutien.

La suite au printemps. On en reparle en janvier.

Solidairement,

Yannis Youlountas, le 11 décembre 2017

*Yannis Youlountas, poète, philosophe, écrivain et réalisateur franco-grec, a réalisé "Ne vivons plus comme des esclaves" en 2013 et "Je lutte donc je suis" en 2015. Lien vers son site et vers sa page Facebook