Rémi Fraisse : violence d'état, déni de justice

Il y a trois ans, Rémi Fraisse décédait, tué par une grenade offensive lors d’un rassemblement d’opposants au barrage de Sivens. Alors que partout les hommages se succèdent pour rendre justice à ce militant écologiste décédé à l’âge de 21 ans, nous avons souhaité revenir sur la violence d’état et le déni de justice qui ont caractérisé cette affaire de bout en bout.

Il est mort mais son nom est devenu familier à des milliers de personnes qui ne l’ont pourtant jamais rencontré. Le jeune botaniste est devenu l’étendard d’une révolte qui croise justice sociale, antifascisme, lutte contre les violences policières et insurrection écologique. Dans la nuit du 25 au 26 octobre 2014, Rémi Fraisse mourrait, victime de l’explosion d’une grenade offensive, lancée par un gendarme mobile. Le jeune militant écologiste de 21 ans manifestait ce samedi-là contre la construction d’un barrage à Sivens, sur la zone humide du Testet, dans le Tarn. Lors de cette manifestation, ce jeune pacifiste a reçu une grenade offensive qui a atterri entre ses épaules et son sac à dos, blessant gravement le jeune homme qui a succombé à ses blessures.

Depuis plusieurs jours, de nombreux hommages au jeune homme, sont organisés partout en France, comme chaque année, aux environs de la date de sa mort. Déjà, une centaine de personnes se sont rassemblées sur le site de Sivens, dimanche dernier. A Paris, ce sera aujourd’hui, à 18h, devant le mur de la paix, sur le champ de mars, puis à 19h30 sur la place de la République. Pour ses proches, le deuil est difficile. Comment admettre que ce jeune biologiste de 21 ans ait pu être tué, en 2014, en France, par un tir de grenade offensive ? Certes, ces armes redoutables ont fini par être interdites. Mais quel pouvoir, quelle police, quelle justice, quels intérêts peuvent bien justifier cette mort ?

Rémi Fraisse était botaniste. Il appartenait à cette famille de gens qui savent déchiffrer la nature et peuvent mettre des noms sur les arbres, les plantes, les fleurs et ce qu’on appelait autrefois les simples. Pacifiste, il manifestait ce week-end du 25 octobre à Lisle-sur-Tarn, pour protéger la zone humide du Testet. Parce qu’il croyait possible un autre monde. Où l’on vivrait en bonne intelligence avec la terre qui nous entoure, les micro-organismes qui font la biodiversité, la faune et la flore, mais aussi un monde, plus généreux, plus juste, plus pacifique, pour les êtres humains qui l’habitent.

Rémi n’était pourtant pas un doux rêveur pas plus qu’un dangereux illuminé, comme les pouvoirs publics ont tenté de le faire accroire pour allumer un contre-feu après sa mort. C’était aussi un jeune homme qui s’engageait dans l’action et faisait tout pour allier ses convictions et ses centres d’intérêts avec sa vie de tous les jours. Bénévole, au sein de France nature environnement, il avait un un BTS en gestion et protection de l’environnement et travaillait comme intérimaire. Il voulait acheter un terrain pour y cultiver des plantes médicinales, projetait de voyager en Amérique du Sud, jouait de la guitare. Ses proches le décrivent comme un jeune homme doux, calme, impliqué. Un garçon qu’on aurait aimé avoir comme ami.

Le premier ministre, Bernard Cazeneuve, a d’abord nié que cette mort ait pu être causée par une grenade offensive, comme il a refusé de reconnaître le rôle du préfet et de la direction de la gendarmerie, dans les consignes données aux gendarmes mobiles lors de cette manifestation. Le Monde et Mediapart ont au contraire montré que, pendant 48 heures, le ministère de l’Intérieur a pratiqué un enfumage délibéré. Il y avait pourtant eu un précédent à ce jet de grenade offensive. La manifestation contre l’implantation du super-réacteur nucléaire SuperPhénix, à Creys-Malleville, lors de laquelle un professeur de physique de 31 ans, Vital Michalon, avait lui aussi été tué par une grenade offensive. Une mort qui s’était elle aussi conclue par un non-lieu.

Le procureur de Toulouse, Pierre-Yves Cornilleau, a dû reconnaître « Rémi Fraisse était un jeune homme totalement intégré, calme, pondéré et pacifique » ; « rien dans [le] dossier n’autorise à dire que ce soir-là, il ait à quelque moment que ce soit commis un acte violent à l’encontre [des représentants des forces de l’ordre] ». Ce qui n’a pas empêché le procureur de demander un non-lieu le 20 juin dernier. Pour lui la mort de Rémi Fraisse est une « tragédie », « une affaire dramatique », qui relève d’un « enchaînement de faits » malheureux. La faute à pas de chance, en quelque sorte.

Aucune charge suffisante ne peut, selon Pierre-Yves Cornilleau, être retenue contre quiconque pour le chef de meurtre, d’homicide involontaire, pas même de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner. Tout cela au terme d’une enquête totalement sabotée par les juges et les gendarmes, qui, alors qu’ils étaient aux premières loges, ont été chargées de l’enquête. Absence de reconstitution sur place ou d’audition de nombreux témoins présents sur place, mensonges flagrants concernant la teneur des ordres donnés par les responsables locaux et nationaux, tentative de salir la victime, etc.

Les juges ont refusé d’entendre le préfet du Tarn, Thierry Gentilhomme, et de prendre connaissance de ses échanges, ce soir-là, avec les gendarmes et l’exécutif national, ce qui aurait permis de vérifier la teneur des ordres donnés. Pourtant, le lieutenant-colonel de gendarmerie, qui commandait le dispositif sur place, avait évoqué, sur procès-verbal, des ordres d’extrême fermeté, venus de la préfecture, contredisant les démentis répétés de Bernard Cazeneuve, qui assure lui avoir donné des consignes de prudence. L’ordre aurait au contraire été donné, par la direction nationale de la gendarmerie, de procéder à un maximum d’interpellations sur place.

Aucune mise en cause de l’auteur du tir en cloche de la grenade offensive, alors que celle-ci est tout sauf réglementaire. En revanche, les gendarmes et les juges ont fouillé avec zèle, le passé, les relations et la vie privée de la victime. Sans y trouver les éléments compromettants qu’ils auraient souhaité mettre à jour. Même volonté de faire obstacle à l’enquête alors que des témoins avaient raconté comment Rémi Fraisse s’était avancé pacifiquement vers les gendarmes, les mains en l’air, quand il a été tué. Quel enchaînement de directives ont incité les gendarmes à estimer que tout devait être mis en œuvre pour défendre une position qui, dans les faits, n’offrait aucun intérêt ?

Rappelons que ce samedi 25 octobre 2014, plusieurs milliers de personnes s’étaient rassemblées au Testet, parmi lesquelles José Bové et Jean-Luc Mélenchon, pour s’opposer à la construction d’un barrage sur le Tescou, un affluent du Tarn. Prévenue du rassemblement, la préfecture avait auparavant procédé à l’évacuation du matériel sur le chantier et des forces de l’ordre qui protégeaient ce dernier, laissant uniquement sur le site une cabane de chantier et un générateur. Dans la nuit précédant le rassemblement, cabane et générateur sont incendiés, ne laissant subsister aucun matériel à protéger. Alors pourquoi un tel déploiement de force qui ne protège rien, en l’absence de tout risque d’atteinte aux biens ou aux personnes ?

Dans l’après-midi, plusieurs policiers des forces anti-émeutes avaient réinvesti les lieux. A 18 heures, les CRS partent, laissant la place aux gendarmes. A 1h du matin, le commandant de la gendarmerie mobile autorise l’utilisation de grenades offensives. C’est à 1h53 que la grenade qui tue Rémi Fraisse est lancée, en cloche, à une distance de 10 à 15 mètres. Pourtant, la procédure impose que celles-ci soient lancées à ras du sol, pour limiter les risques. Ce soir-là, Mediapart faisait état du tir de 700 grenades, près de 500 grenades lacrymogènes, 78 grenades assourdissantes, 42 grenades offensives et 78 balles en caoutchouc. Un déchaînement de violence inouïe, avec des scènes de guerre. A mettre en regard avec les six CRS blessés dont les témoignages n’ont pas pu étayer les accusations de jets de cocktails molotov par des manifestants. Ironiquement, le seul gendarme blessé cette nuit-là s’est fait mal au genou en trébuchant. Trois ans après la mort de Rémi Fraisse, on attend la décision des juges d’instruction, qui devraient sans surprise, compte tenu des réquisitions du parquet, conclure au non-lieu.

Véronique Valentino

 

Dossier sur la mort de Rémi Fraisse dans Mediapart

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