Old Hannah, par Kenny Ozier-Lafontaine

Hannah, on pouvait en s'approchant un peu, pas trop, constater sur sa veille figure, un léger duvet, blond, et au contour des lèvres qu'elle avait plates et violettes, comme une grimace qui s'étirait jusqu'à ses yeux, les deux, ronds, mal enclavés, dégoulinants, des yeux où le clignotement fébrile du dernier néon, le rose, de Vegas, s'acharnait encore, à battre la mesure. Des yeux ... nom de dieu ! plus incroyables que des yeux d'apaches, de squaw, brebis malade, des gras, mal foutus, creusés, bigleux, des yeux qu'on aurait bien dit fichus là par hasard au beau milieu de sa figure, grise et croûtée, mais sans aucune raison. Une litière de copeaux mixés  avec de la petite sciure, et souillée par le gras des chips-mayo, des yeux, enfin ! des yeux ! complètement de traviole, résultat d'un coup d'bâton peut-être, des yeux de Sartre ou de pervers, des yeux là pour l'éclairer, le visage, comme on aurait éclairé Marseille à l'heure des rats si on avait pu. « Le papier peint un jour on en mettra autre part qu'aux murs, qu'aux flancs des roches civilisées, on en mettra même sur l'âme, les assiettes, on en mettra aux fenêtres et aux yeux, et puis tout sera moins moche, et on pleurera plus jamais, on aura jamais pleuré ! » elle l'avait dit une première fois, et puis elle s'était répété sans qu'on lui ait rien demandé, d'une traite, sans respirer, comme on siffle son diabolo grenadine, celui d'un ennemi un jour de guerre, ou encore le lait fraise, d'une traite, vite fait, bien fait.
... mais personne l'écoutait depuis longtemps, Hannah, alors elle avait répété une dernière fois, plus doucement, rien, alors elle avait plongé son visage dans ses mains, s'était mise à chanter en silence, Hannah.

Kenny OZIER-LAFONTAINE


Kenny OZIER-LAFONTAINE (parfois Paul Poule) est poète, plasticien, vidéaste, né pour la première fois à Fort-de-France, Martinique.