Valérie Mréjen : documentaire sur l’apostasie en Israël

C’est le collectif de la revue Feuilleton, venu jouer les libraires d’un soir à la librairie Charybde en octobre 2012, qui m’a fait découvrir cet ouvrage singulier de Valérie Mréjen, publié chez Allia en 2006, représentant la forme finale d’un projet artistique singulier.

Associant le DVD du film éponyme et un texte en français d’une trentaine de pages, répété ensuite en anglais, en allemand et en hébreu, pour constituer le making of de l’œuvre cinématographique, «Pork and Milk» propose, à l’instigation d’une galerie d’art de Tel-Aviv, une déroutante et poignante incursion dans un univers ô combien difficile à appréhender : celui des Israéliennes et Israéliens, issus de familles juives orthodoxes ou ultra-orthodoxes, ayant choisi d’abandonner la religion.

 En 2002, une galerie de Tel-Aviv m’a contactée pour me proposer une exposition. L’idée était de passer du temps sur place et d’y élaborer un projet lié au pays. Par hasard, quelques jours plus tôt, j’avais discuté avec une amie rentrée depuis peu à Paris après avoir vécu six ans en Israël ; nous avions entre autres évoqué les religieux, leur façon de s’habiller, leur vie organisée, leur attitude fermée et rigoriste. Elle me disait s’être un jour perdue en voiture dans les rues de Méa Sharim, le quartier ultra-orthodoxe de Jérusalem, un vendredi en fin de journée alors qu’elle faisait visiter la ville à ses parents. Instantanément, les gens étaient apparus aux fenêtres et s’étaient mis à crier shabes ! shabes ! shabes ! (Shabbat en yiddish). Une femme religieuse qui rentrait chez elle leur avait conseillé de fuir au plus vite en indiquant une direction. Quelques secondes de plus et ils se seraient sans doute retrouvés sous des nuées de pierres, assaillis de toutes parts.

Pour avoir souvent traversé ce quartier lors d’un séjour là-bas, j’avais été frappée par ces hommes habillés en noir, ces jeunes garçons aux crânes rasés avec de longues mèches sur les tempes, ces mères aux regards indifférents et aux perruques invariablement coiffées en brushing, ces fillettes portant des collants opaques sous les robes de leurs sœurs aînées. Dans le bus ou aux arrêts, un religieux ne viendrait jamais s’asseoir à côté d’une femme. Si une femme s’installait sur sa banquette, il se déplacerait aussitôt pour aller à côté d’un homme. Il ne daignerait pas adresser la parole à un non-pratiquant, se laisserait encore moins aborder par un goy.
 

Réalisé comme le documentaire lui-même avec beaucoup de retenue et de pudeur, ce « making of » frappe néanmoins par le sentiment poignant d’extrême difficulté, matérielle et morale, qui se dégage de ces témoignages face à une religion à l’emprise étouffante. Les personnes concernées, que l’association Hillel aide à réorganiser leur vie du mieux possible une fois que le lien rompu avec la religion a entraîné le plus souvent la rupture de toutes les relations familiales et la honte inexpiable, se livrent peu à peu, esquissent une parole à propos d’un déclic, à propos d’une démarche, à propos des pressions colossales exercées à leur encontre lorsque leur volonté a commencé à percer sous le décor ordinaire de leur vie précédente.

Nous avions repéré Michal au cours de la fête organisée par l’association Hillel au sous-sol d’un immeuble, dans une grande salle polyvalente. Pour elle, l’expérience de l’armée avait été déterminante. Comme pour beaucoup d’enfants issus de familles religieuses, ça avait été la première porte de sortie, le moyen de s’échapper en étant pris en charge et de rencontrer une réalité nouvelle ignorée jusqu’alors. C’est là qu’elle avait commencé à faire du sport et pris goût au rugby. Je m’appelle Michal, j’ai 23 ans, je viens d’une famille religieuse, 9 frères et sœurs, père rabbin, mère professeur dans une école religieuse. Elle s’était toujours posé des questions mais avait vite compris qu’il était inutile de les formuler autour d’elle, autant à l’école que dans sa famille. Les réponses n’étaient pas satisfaisantes ou éludaient habilement la question, qui concernait généralement l’existence même de Dieu. Elle a continué a douter en secret et à garder ses interrogations pour elle jusqu’à ses dix-huit ans.

Une belle leçon de journalisme, discret et sincère, profond et efficace.

L’émission consacrée au documentaire et à l’ouvrage par Marie Richeux sur France Culture (Pas la peine de crier, Juin 2011) peut être écoutée ici.
 

Pork and Milk de Valérie Mréjen, éditions Allia

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