Et toc ! Première victoire pour la ZAD

Le premier ministre a annoncé hier l'abandon définitif du projet d'aéroport à Notre Dame des Landes. Une décision que l'on fêtait hier sur place, mais aussi à Paris, Nantes et Rennes. Reste un autre combat : pérenniser les expérimentations économiques, sociales et environnementales sur place. Une sortie du type Larzac est-elle possible ou le gouvernement optera-t-il pour la force ?

"Une victoire historique face à un projet d'aménagement destructeur". C'est ce qu'écrivent les opposants à l'aéroport dans un communiqué commun publié hier sur le site Zad Nadir, suite à la décision du gouvernement d'enterrer "l'aéroport de la division", comme l'a qualifié le premier ministre, dans un discours prononcé à l'issue du conseil des ministres. Les zadistes, comme les qualifient pèle-mêle médias et politiques -comme si le terme était un gros mot-, prennent donc acte que "la déclaration d'utilité publique ne sera pas prorogée" et que "le projet sera donc nul et non avenu le 8 février prochain", date à laquelle cette dernière sera caduque. Le gouvernement enterre donc définitivement un projet qui cristallise les oppositions depuis cinquante ans, ce qui en fait "la plus vieille lutte de France", comme le rappelait au Monde, le 18 février 2016, Dominique Fresneau de l'ACIPA (Association Citoyenne Intercommunale des Populations concernées par le projet d'Aéroport de Notre-Dame-des-Landes), natif de cette commune de 2000 habitants.

On a donc fait la fête hier à Notre-Dame-des-Landes pour célébrer cette première victoire, dont il faut rappeler qu'elle a été acquise par ceux que les pro-aéroports désignent comme des radicaux violents. C'est leur engagement sans faille et leur enracinement sur les lieux qui a permis de sauver de la bétonnisation 1650 hectares de terres agricoles et de zones humides. A la Vache Rit, lieu historique de la ZAD -une ancienne grange prêtée par un paysan qui accueille réunions, points-presse, conférences, fêtes et autres événements collectifs-, on a donc chanté, dansé et trinqué jusque tard dans la nuit. Des centaines de personnes de tous âges -occupants installés sur la ZAD, opposants historiques, soutiens et voisins- s'étaient en effet rassemblés dès qu'a été connue la volonté du gouvernement d'annoncer sa décision ce mercredi.

Dans cette ambiance de liesse, nous avons pu parler par téléphone avec Geneviève Coiffard, opposante de la première heure au projet d'aéroport du Grand Ouest, et chargée de la communication pour la coordination des opposants au projet d'aéroport, qui réunit 14 organisations. Geneviève Coiffart explique ressentir un immense soulagement, "comme quand on donne un coup de pied au fond de la piscine pour remonter à la surface". "L'abandon du projet et l'expiration de la déclaration d'utilité publique ouvrent une nouvelle phase pour pérenniser la ZAD et toutes les expériences agricoles, environnementales, sociales, économiques et politiques", explique cette retraitée, membre de Attac, qui habite à Saint-Nazaire, à une demi-heure en voiture de Nddl, commune située à 25 kilomètres au Nord-ouest de Nantes. Ce que demandent les occupants de Notre Dame des Landes ? Les moyens de "continuer à exister et à se développer".

Maintenant que l'abandon du "Roissy en herbe" est acté, reste en effet à savoir ce que va devenir la ZAD, qualifiée de "zone de non-droit" par Bruno Retailleau, sénateur de Vendée et président du conseil régional des Pays de Loire jusqu'en 2017. Interviewé ce matin par RMC/BFM TV, il résumait bien l'enjeu. Pour ce soutien de l'aéroport mais aussi de François Fillon et de la manif pour tous, "il n'est pas question de laisser se bâtir là-bas une contre-société". Sur LCI, la veille, le chroniqueur Claude Weill qualifiait ironiquement la ZAD de "petite république autogérée". Ce qui n'est pas censé être une abomination, nous semble-t-il. Dans la foulée de la décision d'enterrer la construction d'un nouvel aéroport sur le site, décision qui devenait urgente, le gouvernement demande la réouverture des routes qui traversent le site d'ici la fin de la semaine prochaine et annonce qu'il laisse jusqu'au 30 mars aux occupants de la ZAD pour l'évacuer. La trêve hivernale qui s'applique aux expulsions locatives lui interdit en effet d'expulser les habitants du lieu avant cette date. Ce qu'a rappelé hier le DAL (droit au logement), l'un des opposants historiques au projet d'aéroport.

Ces multiples soutiens montrent l'inanité de cette accusation, reprise jusqu'à plus soif par de nombreux médias et une bonne partie de la classe politique -du PS aux Républicains- qui ferait des occupants de la ZAD des radicaux isolés politiquement, violents et armés jusqu'aux dents. On n'a pas oublié les "photos exclusives" de la ZAD, publiées par le Journal du dimanche, censées montrer un plan de défense secret avec miradors, barricades piégées, stockage de projectiles, tunnels, moyens de communication renforcés... Dans un reportage sur place de Bastamag, Basile s’esclaffait « On n’a toujours pas trouvé comment souder des lames de rasoir sur des boules de pétanque », allusion à des propos relayés par France 2. Avec cet épisode peu glorieux pour la presse, des "photos secrètes de la ZAD", on aura eu confirmation que certains médias n'hésitent pas à reprendre des dossiers fournis clé en main par la gendarmerie, sans même prendre la peine de vérifier les informations. Ceux qui dénoncent une poignée d'individus ultra-violents oublient que des dizaines d'organisations et des milliers de particuliers et de militants se sont non seulement mobilisés contre le projet d'aéroport, mais soutiennent aussi les projets d'expérimentations en cours sur les 37 kilomètres carrés occupés. Il y aurait aujourd'hui plus de 200 comités de soutien, selon l'ACIPA (voir carte ci-dessous). 

L'une des conséquences les plus réjouissantes de cette victoire, ce sont les mines contrites des divers politiques et commentateurs qui se sont succédé sur les plateaux télé des chaînes d'info pour regretter qu'on ait pas cassé du zadiste séance tenante et en direct, ainsi que leurs déclarations copiées-collées sur cette décision qui porterait atteinte à l'état de droit. Ces gens qui se croient légitimes auront donc répété à qui mieux-mieux que la ZAD est une zone de non-droit et que les zadistes sont des gens dangereux. Mais dangereux pour qui ? On aura ainsi vu le général Doubelet, parler, comme il se doit pour un militaire droit dans ses bottes, de "terrain d'opération compliqué", comme s'il se voyait déjà en train de préparer avec gourmandise sa prochaine campagne militaire.

On aura aussi entendu cette journaliste du pure player de droite l'Opinion (au moins eux annoncent clairement la couleur), déplorer le coût de la décision pour les contribuables et dramatisant à souhait la nécessité pour l'Etat d'indemniser le colosse du bâtiment Vinci. Elle oubliait juste de dire que dans le rapport des experts missionnés par l'Etat, le coût de la construction d'un nouvel aéroport était estimé à 730 millions d'euros. A comparer aux 365 à 460 millions d'euros nécessaires pour moderniser Nantes Atlantique. Même si l'on y ajoute les 31 millions versés par les collectivités pour l'achat des terrains, on est loin du compte. Quant aux 350 millions d'euros qui seraient nécessaires pour indemniser Vinci, il s'agit d'une somme largement surestimée, mais que les médias ont relayée complaisamment pour mieux dramatiser. Le Collectif des élus doutant de la pertinence de l'aéroport (Cédpa) l'a en effet estimé entre 150 et 200 millions, en décortiquant point par point le contrat. Sachant que l'Etat a un argument de poids pour négocier puisque Vinci gère depuis 2010 Nantes atlantique et que celui-ci s'avère extrêmement rentable.

Contrairement à ce que ces gens qui se croient sérieux colportent d'une antenne à l'autre, puisque ce sont un peu toujours les mêmes qui tournent, Notre-dame-des-Landes, n'est ni un lieu peuplé d'ahuris isolés du monde, ni un camp retranché. C'est un lieu où s'inventent un certain bonheur de vivre, de nouvelles manières de d'habiter, de travailler, de cultiver et de décider en commun. Sur la ZAD on fait du pain avec les céréales cultivées sur place, du fromage, de la bière et bien d'autres choses. On y compte une radio pirate, un journal en ligne, des champs, dont un d'herbes aromatiques et médicinales, des troupeaux de vaches, moutons, chèvres, ânes, qui vivent paisiblement leur vie aux côtés des humains qui en prennent soin. Des relations étroites ont été tissées avec les paysans locaux et les habitants du coin. Beaucoup ont bâti leurs maisons de leurs propres mains avec l'aide de tous et participent à la construction de cette oeuvre collective qu'est devenue Notre-Dame-des-Landes. Ce sont ces "communs" que les occupants du site entendent défendre. On expérimente aussi à NDDL une autre économie notamment lors du non-marché hebdomadaire. Chaque vendredi, à 17h, les habitants de la ZAD s'approvisionnent lors d'un petit marché au centre de la zone humide où chacun peut s'approvisionner en pain, lait, œufs, légumes, fruits et fromage. Le prix est libre. Et une partie de la production sert à alimenter les personnes précaires, migrants ou grévistes de la région.

Hier, Geneviève Coiffart se montrait plutôt sereine sur la capacité des occupants du site à négocier une sortie du type Larzac. "Cela fait des années qu'on y travaille", explique la militante, "quasiment depuis 2013". Dans un texte intitulé "les six points pour l'avenir de la ZAD", les "zadistes" exposent leur vision commune de l'avenir, "une fois le projet d'aéroport définitivement enterré". Le texte a été a été "réfléchi au sein d’une assemblée régulière", "qui regroupe des personnes issues des différentes composantes du mouvement de lutte", est-il précisé. Premiers points : que les propriétaires ou locataires menacés d'expropriation ou d'expulsion, mais aussi les nouveaux venus engagés dans des expérimentations sur place puissent rester sur place. Il est, pour les personnes occupant la ZAD, hors de question de diviser entre des paysans historiquement implantés à Notre-Dame-des-Landes et des militants arrivés plus tardivement qu'il faudrait évacuer. Surtout, les signataires demandent que "les terres redistribuées chaque année par la chambre d’agriculture pour le compte d’AGO-Vinci sous la forme de baux précaires soient prises en charge par une entité issue du mouvement de lutte qui rassemblera toutes ses composantes".

C'est à une solution du type Larzac, que fait allusion ce dernier point. "Une solution par le haut" à laquelle travaille l'eurodéputé EELV José Bové depuis plusieurs semaines, lui-même ancien squatteur de ce haut-plateau du Massif central, situé entre Millau et Lodève, devenu paysan dans les années 1970. La lutte victorieuse contre l'extension du camp militaire qui dura de 1971 à 1981, avait là aussi réuni une centaine de paysans locaux et des militants -ils furent entre 60 000 et 100 000 à converger sur place en 1973- dont certains opérèrent un retour à la terre, devenant ces néo-paysans qui devaient plus tard créer la confédération paysanne, dont est issu José Bové. Lorsque en 1981 François Mitterrand annonça l'abandon du projet, une société civile des terres du Larzac (SCTL) fut créée, pour mettre gratuitement à disposition les terres aux paysans, sous la forme d'un bail emphytéotique (bail de longue durée, d'au moins 18 ans à au plus 99 ans) pour une durée de 99 ans. Ce qui a permis de sécuriser "l’utilisation de l’espace à des fins agricoles et pacifiques". La SCTL assure toutes les charges de propriétaire, à l’exception du droit de vendre. "Ensuite, cette structure juridique ferait des baux à la fois aux agriculteurs et à ceux qui ont élaboré des projets alternatifs sur la zone", expliquait José Bové dans une interview à Reporterre, le 5 janvier dernier.

Cette solution, le producteur de Roquefort y travaille avec le député LREM du Maine-et-Loire, Mathieu Orphelin. "C'est ce que nous demandons, confirmait Geneviève Coiffart sur la ZAD, par téléphone hier, qui permettrait de sécuriser une "gestion collective des terres", préemptées pour l'aéroport. "Nous demandons la création d'un entité juridique issue du mouvement de lutte qui puisse prendre en charge la gestion du foncier et des "communs", explique la retraitée de Loire-Atlantique, qui rappelle que si la démarche de José Bové est accueillie avec sympathie, "ce n'est pas lui qui négocie au nom du mouvement ici". Si les zadistes joints hier se disaient plutôt confiant, il n'est pas dit que cette issue pacifique et raisonnée soit celle que retiendra un gouvernement accusé d'avoir capitulé en rase campagne et qui sera peut-être tenté de montrer ses muscles. Selon divers titres de presse, sept escadrons de gendarmerie mobile, composés de plus de 450 personnes, étaient attendus sur place hier, tandis que 400 d'entre eux ont été mobilisés à Nantes et 80 à 160 CRS à Rennes.

Véronique Valentino