Les cosmos lumineux de Béatrice Helg à Yerres

« Quelle est cette lumière hors de la mesure du temps qui naît du silence et agrandit l’espace ? s’interrogeait le metteur en scène Claude Régy dans L‘état d’incertitude. Plus que tout autre, la lumière est ici le matériau sans quoi l’œuvre n’existe pas. Elle est le médium par lequel toute révélation est possible. Les photographies de Béatrice Helg présentent des univers d’ombre et de clarté d’une étrange beauté, aussi poétiques que spirituels, son œuvre ouvre sur un infini ou la recherche d’un mystère intérieur.  » est-il mentionné dans le dossier de presse de l’exposition.

« Je crois à la vibration de l’image, à l’interaction des éléments et des formes qui habitent un espace construit, animé par la luminosité du silence, par la vie. » Béatrice Helg, 2004. 

Cette Problématique est une poétique, elle interroge bien des plans de la conscience et de l’agir dans une approche, ici, plastique et artistique, dans ce qui est création et se réfléchit en tant que tel, un évènement qui a à voir avec la Lumière, le Sacré, le Cosmos, son Logos,  une approche démiurgique du Génie, d’autant, qu’ayant été musicienne, Béatrice Helg, part de la vibration, de la note, de la recherche pour composer nombre de photographies, pièces déjà musicales, dédiées au silence, profondément actives dans un langage plastique qui ne cesse d’émettre les vertus d’un enchantement secret et d’irradier cette paix profonde, de l’Âme et de l’Esprit, quand tout est réconcilié et que le monde alors peut être monde.

Que s’est-il passé dans le secret de l’atelier?  Il faudrait alors dévoiler le processus de production, qui restera secret.  il vaut mieux écouter l’artiste elle même en parler: « Mon travail est l’expression d’un cheminement de pensée, d’une quête perpétuelle. L’artiste n’est pas imperméable à ce qui se passe dans le monde et l’urgence climatique est un sujet qui m’habite profondément. Dans Natura, un élément naturel, symbolique est apparu dans mon travail : une branche par exemple semble en pleine transformation, comme fossilisée dans un univers sublime et fragile à la fois. Il y une qualité presque sacrée dans ces images qui évoquent la vulnérabilité de la nature millénaire et qui tentent de nous rappeler que notre esprit, notre âme est indissociable de la nature et de notre environnement.» Conversations avec l’artiste, Janvier 2024, Béatrice Andrieux.

Seules les grandes photographies répondent dans leur silence à l’énigme que constitue cette production, en nous laissant la liberté de nos propres accords, de notre seul écoute, voire de l’entendement nécessaire à leur préhension, voire à leur compréhension. Au fond est ce si nécessaire de chercher à percer le mystère alors que l’artiste laisse ces grandes compositions séduire et agir, emporter notre adhésion, et nous emporter vers ces soleils d’éternité, pour nous parler en secret de la Voie Royale empruntée et de sa puissance?

« Un coup de ton doigt sur le tambour décharge tous les sons et commence la nouvelle harmonie… » in  A une raison, Illuminations, Arthur Rimbaud.

Ainsi pourrait-on entrer en relations étroites avec ces vers dans l’œuvre photographique, picturale, théâtrale, imagée de Béatrice Helg, par un pas, fait de silence, pas suspendu aux lèvres de l’espace et du temps, tendus hors de leurs métriques respectives dans l’image intérieure produite, à chaque étape de la Création, Cosmogonies, Résonances,  là où tout repose et où tout nait…Natura.

Quelle est cette nouvelle harmonie de ce langage plastique, si ce n’est déjà une écriture d’ installations, de situations, d’évocations visionnaires, de projets ouvrant sans cesse le désir de faire naître, de créer, de mettre en scène, d’éclairer ce monde obscur et de le percevoir sensiblement dans une intimité où la charge émotionnelle devient idéale, s’approche du monde des essences, devient cette épure qui élève, pour en rendre la beauté éphémère, en lire aussi les traces du temps, devenues couleurs, matières insolées (la rouille), ré-affirmer sa promesse initiale, faire naître en un instant une harmonie dans cette économie simple, pure, de quelques éléments, choisis à dessin par Béatrice Helg. Il ya là aussi un art de l’installation et de l’éphémère, une approche saisissante du travail du temps, une connexion sans doute, avec cet Or du temps de Breton et des surréalistes.

l’Artiste fait œuvre dans une poétique de l’espace et du temps, de constructions d’ architectures vibratoires,  de villes verticales jusqu’à faire naître ces cosmogonies. Le cercle d’Or est ici, pour ma part, le Gong du premier son, du AUM, vibration primitive divine de l’Univers qui représente toute existence ; ainsi La syllabe Om est Brahmane, sa racine en sanscrit signifiant omniscience, omnipotence, omniprésence, du mystère de la création et de son Souffle, plus qu’une allégorie du démiurge, elle pourrait s’entendre comme une image matricielle évoquant le son premier que nous avons la possibilité, sans doute, de trouver en nous…

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Ainsi pourrait-on conjecturer d’un théâtre intime recueilli  dans l’atelier dont les mots insolubles, notes de silence et notes de musique se sont inscrits dans la chaîne du temps comme une réponse intime aux questionnements profonds de l’artiste,  contributive  ainsi aux dévotions de chacun, qui, ici, trouvent des réponses d’accomplissements et de mises en mondes.

L’acte de création s’approche au plus prêt de son sacre, de son sacré, dans l’intensité de la recherche et de l’harmonie fragile, en quoi tout repose, musicalement, comme dans un songe où tout s’accomplit au terme d’un chemin, comme si, cette fable était émission de la bouche d’ombre, devenue bouche d’or ( l’oracle mystérieux) tenue à travers sa lumière naissante, dans l’élucidation de ce qui dés-obscurcit, de ce qui dé-lie, de ce qui simplifie et rend libre de soi et qu’il fallait tout une présence, toute une écoute, toute une verticalité, toute une permanence, tout un pressentiment, pour travailler à cet éclaircissement, à cet avènement de ce qui touche intimement, dans sa genèse l’être au plus profond et le consacre au fond dans sa nature sacrée par ces correspondances, cette élection, au sur-réel, à l’infini, a l’Illumination, au dialogue avec « la divinité » ou son essence.

S’agissait-il de revenir à la scène primitive aux forges du monde, à la physique de ces matières, de ces métaux, aux parfaits de leurs oxydations (qui pourrait mieux que cette rouille évoquer la puissance corruptrice du temps dans sa beauté plastique et picturale) afin de donner à l’image imagée sa temporalité intérieure, la pulsation des points d’oxydation dans leurs couleurs jusqu’à nous excepter du fini par cette alchimie naturelle du vivant, à la poétique de l’obscure clarté, à l’élévation, comme par une cathédrale de lumière, où tout soudain s’anime, vibre de cette essentialité dans cette épure, comme si Béatrice Helg répondait à l’appel de l’infini dans ce travail visionnaire, par cette abstraction des formes allant de leur étant à leur raison, à leur essence, de la matière sensible au monde idéal des idées.

Nos questions enfantines et solaires, pénitentes, mystérieuses, sont une trace de ce génie, proposant ces voyages.  Dès lors qu’on entre dans ce beau bâtiment de l’Orangerie, en ce parc de la Maison Caillebotte,  les Douze photographies de Béatrice Helg  s’exposent aux frontières du silence, dans son chant… quelque chose d’intrinsèque, de magique, malgré ou grâce à l’abstraction qui en font des « objets » tendus, puissants, hors des séductions de surface, touchent le spectateur qui sent en lui battre et vivre une pulsation supérieure en vertu de ce qui se recompose d’une quête dont la  Force et la Lumière accomplissent ce qui se tenait encore dans l’ombre de l’oubli, de l’autre côté du Léthé, dans le retour de ce qui  désormais est vivant et actif, de ce qui se trouve ici re-déployé, ce secret des Origines,  images idéales qui s’inscrivent puissamment dans le visible et l’invisible, sidérales, voire pentatoniques.

Y a t- il une physique toute helgienne dans l’éclairage de cette métaphysique qui introduit une transformation du monde par l’imaginal répondant de la séduction du Voyage Intérieur sollicitant notre participation active à la naissance de celui-ci?

Je crois que les propos de Max Beckmann me semblent  tout à fait à propos en guise de conclusion car ils répondent de fait à la question que posait Claude Régy  en introduction du catalogue de l’exposition: « Quelle est cette lumière hors de la mesure du temps qui naît du silence et agrandit l’espace ? »  «    « Tout ce qui est cérébral et transcendantal en peinture s’allie à un travail ininterrompu de la vision. Chaque teinte d’une fleur, d’un visage, d’un arbre, d’une mer ou d’une montagne est scrupuleusement noté par mes sens aiguisés ; viennent s’y ajouter ensuite, d’une manière dont je n’ai pas conscience, le travail de mon esprit et, pour finir la force ou la faiblesse de mon âme….C’est la force de l’âme qui oblige l’esprit et les sens à de perpétuelles contorsions afin d’amplifier la vision de l’espace…..imaginer l’espace, tel est mon rêve.  La métamorphose de l’effet optique des objets, une mathématique transcendante de l’âme, voilà la condition préalable…..Convertir hauteur….largeur…et profondeur en surface à deux dimensions représente pour moi la plus forte et la plus magique des expériences ; elle me procure une idée de cette fameuse quatrième dimension que je recherche… » Propos de Max Beckmann  A propos de ma peinture     Londres, 1938

L’EXPOSITION: UN MONDE LUMINEUX, 3 AVRIL/23 JUIN 2024, Maison Caillebotte, 8 rue de Concy, 91330 YERRES.

https://www.maisoncaillebotte.fr/

ÉLÉMENTS BIOGRAPHIQUES:

Après des études de violoncelle au Conservatoire de Musique de Genève, elle se consacre à la photographie qu’elle étudie aux États-Unis au California College of Arts and Crafts à Oakland, au Brooks Institute à Santa Barbara puis à l’International Center of Photography de New-York. En 1979, elle participe à l’organisation de Venezia’79 – la Fotografia à Venise. En 1981-1982, elle travaille dans le département des expositions d’ICP à New York. Depuis 1979, une soixantaine d’expositions personnelles lui sont consacrées (Genève, Paris, Londres, Chicago, New-York, Tokyo…). Ses œuvres figurent dans de nombreuses collections : La Maison Européenne de la Photographie (Paris), le Los Angeles County Museum of Art ou le Musée des Beaux-Arts du Canada (Ottawa)…

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Béatrice Helg : monographie

Cet ouvrage est la plus importante monographie consacrée à l’artiste photographe suisse Béatrice Helg. Il présente une sélection d’œuvres créées au cours des vingt-cinq dernières années, accompagnée d’un poème dédicace de Robert Wilson, d’essais critiques de Serge Linarès et Philippe Piguet et d’un poème de Sylviane Dupuis.                                       
166 pages, 104 illustrations en couleurs, édition bilingue : français/anglais

Interview: Retour sur l’exposition de Béatrice Helg , présentation du programme d’expositions à l’Orangerie de la maison Caillebotte par Madame Valérie Dupon-Aignan et ses raisons.