Abus de souffle ! Bertille Bak imprime la rétine au Jeu de Paume

Détournant les représentations habituelles de communautés marginalisées ou invisibilisées, l’oeuvre de Bertille Bak (née en 1983 à Arras) met en scène des populations, des rituels ou des situations qu’elle subvertit avec la complicité des protagonistes eux-mêmes. Un peu comme si le documentaire se mettait à révéler sa partie artistique, tout en faisant son travail de montrer ce qu’on cache habituellement.

Boussa from the Netherlands 1, 2017, Vidéo HD 16/9, couleur, son stéréo, 19 min
Courtesy de l’artiste, de la Galerie Xippas Paris, Genève et Punta del Este & de The Gallery Apart, Rome

Sans scénario préalable, l’artiste s’immerge dans le mode de vie d’un groupe — l’équipage d’un bateau de croisière à Saint-Nazaire, des cireurs de chaussures à La Paz, de jeunes mineurs indiens, indonésiens ou thaïlandais, des demandeuses d’asile résidant à Pau, des artisans dans la médina de Tétouan. Elle évolue à leur contact, observe leurs rites, leurs gestes et leurs objets, avant d’y instiller de nouvelles règles et des artifices en tout genre. Bertille Bak conçoit dès lors avec ces communautés des rituels collectifs qui produisent une image d’elles-mêmes émancipatrice, libérée des clichés véhiculés tant par des documentaires misérabilistes que par un discours activiste basique. Loin de banaliser leurs conditions de vie précaires, Bertille Bak montre ces réalités le plus souvent faussées par l’imaginaire collectif, et donne aux premiers concernés les moyens de se raconter par des chemins détournés. Ensemble, ils façonnent des récits fictionnels, des histoires qui bousculent l’ordre établi et le sentiment de fatalité, puis elle leur propose de recourir à la performance et au théâtre.

Usine à divertissement, 2016, Triptyque vidéo HD 16/9, couleur, son stéréo, 20 min
Courtesy de l’artiste, de la Galerie Xippas Paris, Genève et Punta del Este & de The Gallery Apart, Rome

Bertille Bak place la question du travail au centre de ses projets. Elle fait appel à des savoir-faire et à des moyens de production préindustriels comme à autant d’actes militants relevés d’une note de fantaisie et d’humour. L’action prévaut sur l’esthétique. Les images sont trafiquées au moyen d’effets spéciaux bidouillés et low-tech inspirés des jeux d’arcade ou bien avec des techniques du cinéma primitif. Il en ressort un ton léger, en contrepoint de la profondeur des sujets traités. Bertille Bak ne cherche pas à créer une illusion de vraisemblance, mais à dévoiler les coulisses de la construction de toute image et à avertir le public, d’une manière à la fois tendre et loufoque, que l’art n’est qu’un simulacre.

Une lecture qui intrigue, d’autant que si on entre dans les images, celles-ci s’avèrent en totale contradiction avec celles que les chaînes d’info distillent à longueur de temps, sans y mette la moindre poésie. Ici, vous serez servis et en même temps, commencerez à vous posez des questions sur le peu de réalité que le tout-venant médiatique tente de propager. A Votre insu, hein … Alors, courrez-y voir, c’est salutaire. On ne dit que cela … 

Jean-Pierre Simard, le 13/03/2024
Bertille Bak - Abus de souffle -> 12/05/2024
Musée du Jeu de Paume 1 ,place de la Concorde
Jardin des Tuileries, Paris 75001

La Brigada, 2018-2024, Vidéo HD 16/9, couleur, son stéréo, 12 min et série de boîtes de cireurs
Courtesy de l’artiste, de la Galerie Xippas Paris, Genève et Punta del Este & de The Gallery Apart, Rome Production : ambassade de France en Bolivie, La Criée centre d’art contemporain, Rennes, et Bertille Bak