Un fantastique singulier qui s’écrit au pluriel : découvrez l’univers d’Ariel Slamet Ries

Double sortie pour l’artiste Ariel Slamet Ries, originaire d’Australie, dont les éditeurs Kinaye & Akileos publient Cry Wolf Girl et Witchy en ce début d’année avant de déjà annoncer le prochain, façon blockbuster. Coup de cœur pour ces deux premiers titres qui révèlent un nouveau talent à suivre.

Deux titres ado-adultes qui frappent fort, dans les thèmes abordés, dans la manière de revisiter la manière d’écrire la fantasy ou les contes, et qui se démarquent par la virtuosité de la palette numérique d’Ariel Slamet Ries.

Les deux titres ont été distingués par des prix aux Ignatz award en 2019 et 2020 et l’artiste originaire de Melbourne s’est lancé.e dans un gros projet, Strange Bedfellows, une romance SF dont on peut admirer quelques pages en ligne ici.

Mais commençons par les deux sorties qui méritent toute votre attention pour vos prochaines virées en libraire. 

Cry Wolf Girl 

Cry Wolf Girl est un récit court d’une quarantaine de pages —complété dans l’édition française d’un cahier bonus— qui revisite de manière contemporaine, la fable d’Ésope L’Enfant qui criait au loup

Dans un village rural d’Asie du Sud-Est, Dawa, une jeune fille orpheline alerte régulièrement la communauté de l’arrivée des loups, en vain. Pourtant, contrairement à la fable d’Ésope, Dawa ressent vraiment des choses, se sent menacée, voit des ombres. Ses proches, eux ne l’a croient plus, l’isole et la fable vire à une réflexion futée sur le traumatisme, la méfiance, l’isolement face à l’incrédulité. Croire la parole des femmes, celle des enfants, à une époque où les violences sexuelles et psychologiques sont encore si présentes et tabous, voilà le sous-texte de ce conte pas si classique. 

Assez virtuose graphiquement, cet album utilise le dessin, la couleur et la mise en page pour créer des effets narratifs qui viennent appuyer le propos de l’auteurice. Iel utilise des jeux de noirs & blancs qui rappellent les gravures ou de couleurs très fortes, des inserts qui viennent briser l’équilibre de la page, des cadrages bancals, des pages déconstruites… 

Les planches ont été pensées pour mettre en lumière les émotions des personnages et le trouble qu’on peut partager un instant. Pour compléter ce dispositif, Ariel Slamet Ries a construit son histoire comme un puzzle narratif avec des passages libres d’interprétation. À chacun.ne. de tirer ses conclusions à travers ces thématiques développées par l’histoire et ses jeux graphiques. 

À l’instar de son incroyable couverture, toute la symbolique du loup et de la menace est très efficace et la touffe de poil qui sert de fil rouge en donne une clef de lecture intéressante pour un album qui mérite plusieurs relectures. 

Witchy 

Première partie d’une grande saga de fantasy, ce titre est le webcomic qui a révélé son auteurice sur la scène internationale. Dans un monde médiéval fantastique, des sorcières guerrières sont enrôlées de forces pour leurs capacités naturelles à manipuler la magie. Une 

particularité dure à cacher, car déterminée par la longueur de sa chevelure, mais qui pose problème : si vous êtes trop puissant.e vous serez considéré comme un danger potentiel et éliminé. 

Et c’est le point de départ de l’histoire de Nyneve qui, elle, fait tout pour ne pas être enrôlée malgré ses capacités depuis la mort de son père, exécuté par la garde parce que potentiellement trop dangereux. Bien entourée par ses ami.e.s, Nyneve, va batailler pour trouver sa voie, dans un monde pas si utopique une fois le vernis magique tombé. 

En partant d’une discrimination sur la longueur de leurs cheveux au lieu d’autres critères, comme l’origine, le sexe, le handicape ou la sexualité, Ariel Slamet Ries propose une fantasy diversifiée, queer et qui échappe aux codes habituels du genre. On peut y voir une proximité avec l’écriture d’Ursula K. Le Guin qui allait chercher d’autres codes, d’autres idées pour s’émanciper des tropes de la littérature fantastique anglo-saxonne.

Le choix de la chevelure comme moyen de discrimination n’est pas anodin, si on pense aux injonctions et au contrôle du corps des femmes dans toutes les sociétés, des choix qui sont commentés, politisées ou qui ne sont plus des choix personnels selon les cultures ou les lieux, à des degrés différents. Cette mise en parallèle avec les critères de discrimination, dans un monde où celles dont nous avons l’habitude n’ont pas cours est un procédé habile pour interroger nos propres conceptions. 

L’écriture des personnages qui comprend un éventail vraiment riche de représentation est fine, et s’intègre parfaitement à ce monde de magie qui emprunte aussi bien à la fantasy américaine que les mythes indonésiens. Les designs sont réussis, et si parfois les personnages peuvent apparaître un peu hésitants au début, on voit l’évolution du style de l’artiste au fil des pages de cette publication en ligne. 

Comme dans Cry Wolf Girl qu’elle réalisera pendant la publication de cette première partie de Witchy, son utilisation de la couleur est atypique et donne une patte singulière à son dessin et on embarque assez vite. Une lecture parfaite pour partager un moment avec vos ados. 

Thomas Mourier, le 28/02/2024

Ariel Slamet Ries, - Witchy - éditions d’ Akileos
Traduction de Léana Felix 

Ariel Slamet Ries - Cry wolf girl - éditions Kinaye

Toutes les images sont © Ariel Slamet Ries/Akileos et © Ariel Slamet Ries/ Kinaye

-> Les liens renvoient sur le site Bubble où vous pouvez vous procurer les œuvres évoquées