Malséance – de roman/cinéma noir- contemporain du "Bien sûr, nous eûmes des orages" d’Anthony Sitruk

Post-COVID, écrire un roman de gare qui met à mal les boomers en quête d’un sens du monde d’après - tout en vivant comme avant la crise - fait montre, de la part de l’auteur, d’un certain sens de la dérision et du chamboule-tout. Mais ce n’est que le début : en avant dans le labyrinthe sans la fusée en fil d’Ariane… 

L’auteur, en quelques phrases : Né en 1975, Anthony Sitruk grandit à Sarcelles. Passionné de cinéma, il veut devenir créateur de maquillages et d’effets spéciaux. Puis scénariste. Puis parolier. Puis médecin légiste. Pour finalement atterrir dans un grand groupe aéronautique, en tant que chef de projet informatique.
En 2013, son premier roman, Pornstar, plongeait dans le milieu sordide du X parisien à travers le destin d’un acteur sur le retour. Dans La Vie brève de Jan Palach, il nous conduisait à Prague, sur les traces de cet étudiant tchécoslovaque qui s’immola par le feu le 16 janvier 1969, place Venceslas. Bien sûr, nous eûmes des orages, édité par Popcards Factory Editions, est son troisième roman qui, jouant du Whodonit ( le roman à clé où l’on cherche avec l’auteur le coupable) met à mal les poncifs du genre pour balancer dans l’inédit et le post-moderne.  Qui parle de quoi et à qui semble le propos dévolu à ses 168 pages qui pensent et s’affichent à rebours de toute morale coincée… 

Insert : « C’était elle ou moi, j’y serais passé un jour ou l’autre, je me serais flingué plutôt que d’endurer ça plus longtemps. Toi et moi, on est d’une race qui n’a plus la moindre chance. On n’est pas armé pour survivre à ce cirque. On n’y comprend plus rien. Entre elles et nous, ce n’est plus possible, on n’y arrive plus, nos planètes s’éloignent un peu plus chaque jour, chaque minute. Ça ne fonctionne plus. »

Roman de gare et roman assez hagard dans le fond comme dans la forme, Bien sûr, nous eûmes des orages n’aime rien tant que piéger son lecteur. Parce qu’un roman de gare, ça nécessite d’attendre un train, un déplacement quelconque en compagnie d’autres personnes qui ne pensent rien comme vous et ne vont jamais au même endroit… Alors qu’aujourd’hui la moindre attente est signalée par un envoi d’une prérogative francilienne ou autre à se rendre sur un autre quai, prendre une autre correspondance, pour se rendre finalement au même endroit qu’envisagé, mais par d’autres détours. A attendre, il faut s’attendre- mais à être médusé par le propos tenu, on est pris à rebrousse -poil, à rebrousse-temps et on referme en se disant que peut-être on n’a pas fait assez attention pour bien comprendre dans quelle embrouille, on s’est laissé, là, prendre comme un novice !

 Et pourtant, on ne vous signalera pas où, le héros en prison semble se dire qu’il y a/aurait bien une suite à écrire à cette entourloupe, à ce truc ficelé comme un saucisson qui vous fait l’effet d’une douche froid, tant il n’est pas reader friendly/ accessible au premier abord, ou à ne jamais caresser le lecteur (mon semblable, mon frère ) dans le sens du poil avec effet gant de crin garanti au fil de la lecture. Ici, des personnages circulent, font la fête, tentent de retrouver des marques d’un monde disparu, en faisant comme ci. Mais, il y a un mais car, sinon pas d’intrigue, cela peut vouloir signifier qu’une certaine idée du monde ( d’avant bien entendu) celui qui ne veut jamais disparaître s’est perdue, comme  cette femme morte d’avoir aimée, d’avoir été aimée par d’autres hommes qui lui tissent des couronnes, lui envient ce moment de l’amour – qui a fui. Un livre de fuite, comme un livre d’heures.

 Là où cela se corse, c’est que l’éditeur (au passé très rock) vous offre la playlist de lecture, pour vous offrir quelques résonances sonores d’époque/ épiques. De quoi, vous laissez porter par le son (dissonant, forcément dissonant) au fil de ce jeu de piste qui vous prend à revers et vous laisse coi… Quoi ? le renouveau du roman de gare est assuré- et bien au-delà de ce que vous pouviez en penser avant. Fini juste le suspense pour oublier la correspondance Lons le Saunier/ Avignon ou le grattage de tête à Juvisy pour savoir où choper la bonne rame pour rentrer à Paris…

 Alors du sexe, du crime, de la banlieue, des belles voitures, des amis louches, des destins brisés, une intrigue façon puzzle. Et tout cela pour du noir plus contemporain que ça, tu oublies !  

 Jean-Pierre Simard le 28/07/2023
Anthony Sitruk - Bien sûr, nous eûmes des orages- éditions Pocards Factory, collection Jaune cruel