Quand Gilles Schlesser invente le RELIPO, réservoir de littérature potentiel

Avec son Grand Carnet d’adresses de la littérature à Paris, paru chez Séguier, Gilles Schlesser perpétue une tradition aussi parisienne que littéraire. Cet olni, objet littéraire non identifiée, l’est finalement assez… structuraliste, aussi, avec son côté la carte est plus grande que le territoire. Mais on parle de Paris ici, la ville illimitée qui - autrefois - avant les caméras embusquées, donnait lieu à tous les possibles des dérives urbaines… 

Hé… Vian !

Notre dernier arrêt notable dans la littérature dédiée à la Ville des Lumières ( et surtout des ombres!) était sous le signe du Paris des profondeurs de Pacôme Thiellement, publié au Seuil l‘an passé qui recensait les lieux de pouvoir (mental) de la Capitale. Mais, tout parisien a une histoire en rapport avec ses rues, voir un quartier, selon ses intérêts livresques ou autres ( amoureux comme familiaux, traumatiques comme de bonheur… ) - mais c’est encore plus fort quand le lieu est déjà inscrit, via le livre, dans la mémoire collective et/ou l’Histoire de la littérature et que cela donne une vraie appartenance à un endroit précis. S’inscrire dans l‘histoire quoi , comme revanche à l’inanité du Paris d’aujourd’hui quadrillé d’uniformes pour la sécurité de certains et le malheur de tous, via un plan de circulation, inepte et concocté par des bas du front clientélistes. Qu’est devenu Le Piéton de Paris de Laon Paul Fargue, hein ?
Mais bon, avant et auparavant, le frisson libertaire qui agitait Paris montrait, avec les Situationnistes, comment de multiples couches historico-politiques se superposaient dans les rues quand la nuit offrait ses ombres pour mieux y divaguer et envisager un futur déjà en gestation dans une traversée psychique des lieux ? Amusez-vous à divaguer en 2023, vous verrez les résultat avec des voiture de patrouille qui bientôt vous colleront au jean, comme le chewing-gum du Capitaine Haddock … 

Le salon chinois de Victor Hugo via le Musée Victor Hugo

Désenchantée, Paris ? Capitale " invivable ", polluée, saturée ? Ce serait oublier un peu vite que derrière la ville de bitume s'en cache une autre, idéale et éternelle, bâtie au fil des mots et des siècles par les innombrables écrivains qui y ont vécu, rêvé et travaillé.
C'est dans les rues de ce Paris littéraire que l'ouvrage de Gilles Schlesser nous invite à déambuler, en recensant les adresses de plus d'un millier d'auteurs et de leurs personnages les plus célèbres, de Rabelais à Modiano, de Gavroche à Charles Swann. Avec une érudition savoureuse, c'est tout un pan de la littérature française et mondiale qui est ainsi raconté, à la faveur d'une foule d'anecdotes parfois savantes, souvent drôles et insolites.
Sur les Grands Boulevards ou par les chemins de traverse, entre flânerie poétique et encyclopédie géo-littéraire, ce livre s'offre comme une promenade entre les genres et les époques, à la découverte des secrets de la " ville aux cent mille romans ". Une plongée amoureuse au cœur d'un Paris et d'une littérature tout à la fois familiers et méconnus.

Alors, j’y vais de mon petit mémoriel parisien du Montmartre de la Butte avec Gérard de Nerval promenant son homard en laisse dans les rues pavées pour aller fréquenter les cabarets proches, planer jusqu’à Pigalle pour ses cafés où se réunissaient les Surréalistes. Un casque sur les oreilles, passer le Place du Tertre et sentir Breton formuler Nadja. Me retournant, suivre le pas de Soupault qui file invisible sur les rails de Pont-Cardinet jusqu’à Levallois dans les Dernières nuits de Paris, ou dernièrement me souvenir de Philippe Zdar et des Daft Punk incognito attablés de nuit, au café Au Rêve ( fermé depuis!). C’est la magie de Paris que de convoquer, où que l’on soit, des figures et des geste ( comme la geste de … ) Quasimodo sur les tours de Notre-Dame, Gavroche à Bastille, Modiano à St-Germain - et Michel Foucault dans le RER ! Vivre Paris- vivre à Paris, c’est irrémédiablement marcher dans les pas d’un auteur qui s’est déjà inscrit là. Et Schlesser ( Schlosser étant un charcutier industriel… ) n’en est pas à son coup d’essai pour élargir son propos depuis 20 ans de St-Germain jusqu’au (grand) Paris, toujours littéraire… 

A l’heure de Google Maps, plaignons le touriste qui, s’appuyant sur sa carte numérique invisibilise du même coup l’Histoire qu’il traverse, inconscient du fait que, pour aller de A à B, en ne voyant que son écran en 2D, il efface/obscurcit une mémoire qu’il ne possédera jamais plus… 
Déjà que les simples Tarride n’offraient que le moyen de se déplacer sur le pavé et plus, il fallait quand même revenir au primordial, au Jacques Hillairet et son Dictionnaire historique des rues de Paris ( Editions de Minuit 1963) et, conjuguant les données avec ce nouveau précis encyclopédique- ou presque savoir d’où l’on vient - avec qui , pour simplement aller plus loin dans Paris .

Jean-Pierre Simard le 4/11/2023
Gilles Schlesser - Le Grand carnet d’adresses de la littérature à Paris - éditions Séguier