Megumi Igarashi lève le tabou de la représentation du vagin au Japon

Megumi Igarashi s'amuse à détruire les tabous nippons sur la représentation du sexe féminin en vigueur dans son pays et elle y attend le verdict de son procès.


Celle qu'on surnommait Rokudenashiko ( bonne à rien) quand elle créait des manga a décidé de mettre à mal le machisme de la société japonaise et le tabou qui entoure la sexualité féminine. «Le Japon est une société très patriarcale, très généreuse envers le désir sexuel des hommes, note la plasticienne de 43 ans. Tous les kiosques vendent des dizaines de livres et de magazines pornographiques. Et chaque année, des milliers de visiteurs se rendent dans la ville de Kawasaki pour parader des sculptures géantes de pénis lors d’un festival appelé Kanamara. En revanche, une femme n’est pas censée exprimer de désir sexuel. La simple mention du mot «vagin» à la télévision peut valoir au présentateur de se faire licencier», fait remarquer l'artiste.


Ce n’est qu’après avoir subi une opération de chirurgie esthétique pour rendre son vagin «plus conforme au désir masculin» qu’elle s’est mise à le questionner : «Je me suis rendue compte à quel point j’avais intériorisé le discours véhiculé par les hommes et utilisé contre les femmes comme outil d’oppression».

Elle décide alors de jouer avec ces codes, en réalisant une série de moulages en plâtre de ses parties intimes, qu’elle peint et orne de petits personnages pour composer des scènes. Des soldats munis de fusil qui s’abritent dans la tranchée façonnée par sa vulve. Des bonhommes en combinaison anti-radiation qui luttent contre le flux d’eau contaminée sortant de son vagin, une référence à Fukushima, «un autre sujet tabou au Japon». Puis, elle se met à décliner cette forme si scandaleuse en une multitude d’objets: un couvercle de tasse à café Starbucks, une couverture d’iPhone, un lustre composé d’une guirlande de vulves. «Je veux que les femmes se réapproprient cette partie de leur anatomie si souvent violée et abusée par les hommes».

Elle a aussi créé une figurine de manga en forme de vagin rose avec des yeux et une bouche. Courant 2013, elle s’est mise à distribuer une modélisation informatique de ses parties génitales à ses fans. Son vagin peut désormais être reproduit à l’infini à l’aide d’une imprimante 3D. Elle-même s’en est servie pour produire un kayak en forme de vulve. Mais, son humour et sa dérision à la Jeff Koons ou comme Deborah de Robertis se sont attirés les foudres des institutions qui, pour l'heure, on a ressorti une loi du début du siècle dernier sur l'obscénité afin de la museler.

Loin de se laisser faire, elle a refusé de plaider coupable en stipulant que son art n'avait rien d'obscène et que les frustrés n'avaient qu'à la faire évoluer. En juillet 2014, une équipe de la police est venue la cueillir chez elle, sans avertissement. Elle a passé plusieurs jours en détention. Quelques mois plus tard, en décembre 2014, elle est à nouveau arrêtée. Elle passe 23 jours derrière les barreaux cette fois, la durée maximale autorisée. Elle est désormais en attente de son procès. Elle risque deux ans de prison et une amende de 2,5 millions de yens.

Cette fameuse loi interdit la distribution de matériel obscène, sans donner de définition de cette notion, laissant une grande latitude d’interprétation au juge. Dans les années trente, elle a servi d’outil de répression politique contre les dissidents de l’empire. En 1951, elle a été utilisée pour exiger le retrait d’une traduction du roman de l’écrivain britannique D.H. Lawrence, Lady Chatterley’s Lover, lors d’un procès très médiatisé.

Mais ces dernières années, l’interprétation de la loi a été élargie. Elle cible toujours plus les minorités sexuelles et des militantes féministes, estime le juriste Joaquin da Silva. Il cite le cas de deux photographes gay, Leslie Kee et Ryudai Takano, qui ont tous deux été inquiétés pour avoir montré des photos de nus masculins lors d’une exposition. Le premier a été inculpé, le second a dû recouvrir ses images d’un drap blanc. Après avoir croisé Ai WeiWei, celui-ci lui a affirmé qu'à la suite du scandale créé par ses œuvres, les Japonais n'avaient réussi qu'une seule chose, c'était de transformer son vagin en passeport… Résultat du procès dans les mois à venir.

(infos tirées du Temps.ch)