Le théâtre des oreilles des Déments de JJ Birgé, Denis Lavant et Lionel Martin

Du théâtre du Chêne Noir avignonnais au Grand Magic Circus des débuts, le théâtre s’est souvent exprimé en musique, du rock au free, pour reprendre/retrouver les codes du théâtre antique grec. Ici, en fin 2024, Denis Lavant propose des textes et les lit, quand Lionel Martin joue du ténor et que Jean-Jacques Birgé œuvre aux synthétiseurs, harmonica, trompette à anche et percussions. Quatre raisons d’écouter une superbe dérive qui remet du théâtre dans les oreilles.

Laissons la parole à Jean-Jacques Birgé :
« Ode à la vie, mélange des sons, force et beauté des mots sublimés par la puissance et le charisme du comédien Denis Lavant en transe avec le saxophone de Lionel Martin (dit Madsaxx) sur la musique débridée et sans frontières de Jean-Jacques Birgé. Liturgie rock 'n roll ! ». Après notre vinyle Fictions inspiré par Jose Luis Borges, publié sur le label OUCH! en 2022, Lionel Martin et moi-même avons invité Denis Lavant à se joindre à nous le temps d’une journée pour improviser ensemble sur des textes choisis par le comédien.

Je ne connaissais aucun des auteurs. Marcel Moreau (1933-2020), écrivain francophone belge, correcteur dans divers quotidiens, fut l’ami de Roland Topor, Anaïs Nin, Jean Dubuffet et Jean Paulhan. L’écrivain et poète André Martel (1893-1976), régent du Collège de Pataphysique, inventeur d’une langue dérivée du français, le paralloïdre, fut secrétaire de Jean Dubuffet. Xavier Grall (1930-1981) est un poète, écrivain et journaliste breton, ami d’Alain Gruel et Glenmor. D’origine gitane, André Schlesser (1914-1985), chanteur et cabarettiste, travailla avec Jean Vilar, chanta en duo avec Marc Chevalier sous le nom Marc et André, cofonda le cabaret L’écluse, écrivit Souvenance pour Barbara, et finit sa vie avec Maria Casarès qu’il épousa.

Nous avons travaillé sans filet. Nous ignorions quels textes Denis apporterait, les découvrant dans le feu de l'action. Je lui demandais simplement de quoi il était question. Lionel ne voulait rien savoir non plus des sons et des instruments que je sélectionnais en fonction. Il avait simplement apporté son saxophone ténor et une petite panoplie de pédales, alors que je bénéficiais de toutes les ressources du studio GRRR (claviers, synthés, shahi-baaja, flûtes, harmonica, guimbarde, percussion). Nous n'avons rien eu besoin de nous dire en amont. Denis laissait respirer la musique comme si tout était écrit, prévu. Nous accompagnions son récit en osmose ou contrepoint de manière à créer un décor, souligner une émotion, incarner la réplique. Le résultat est un trio, soudé, rebondissant, vibrant en sympathie comme si nous nous étions toujours connus.

Chaque fois l'enjeu réside pour moi à mettre en valeur le texte sans reléguer la musique à un fond sonore. Comme dans un film, l'acteur principal n'oblitère pas les autres protagonistes, le décor, la lumière, le montage, etc. Les évocations radiophoniques comme Les maîtres du mystère que j'écoutais enfant m'ont certainement marqué. Je connais encore par cœur les adaptations sonores de La marque jaune ou Buffalo Bill, mais ce sont certainement L'histoire du soldat de Ramuz et Stravinski, Un survivant de Varsovie d'Arnold Schönberg, les opéras du début du XXe siècle qui m'ont donné le goût de cette rencontre entre musique et littérature. (Et la rencontre a bien lieu.)

Voilà donc l'objet imprimé sur du carton retourné, une partie de plaisir vécue un jour où la neige tombait sur Paris. Ella & Pitr, qui avaient déjà réalisé la pochette du vinyle Fictions pour Lionel et moi, ont réitéré, avec des taches projetées sur un mur, avec des yeux comme deux oreilles sortant de chaque côté du digisleeve trois volets.


Jean-Jacques Birgé le 26/05/2025 - éditing JP Simard
Denis Lavant, Lionel Martin, Jean-Jacques Birgé Les déments, double CD GRRR+OUCH!, dist. Inouïe