Autant en emportent les éoliennes ? Les désillusions d'une énergie dans le vent

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Le jour où Josefa Sánchez et ses voisins ont trouvé les premiers oiseaux morts, ils ont immédiatement compris que c’était un mauvais présage. C’était au début de l’an 2000 et toute la communauté localisée sur l’isthme de Tehuantepec, dans le sud du Mexique, ne connaissait que trop bien le coupable : cette immense forêt d’acier qui s’était formée autour d’elle.

Avec des vents atteignant entre 30 et 40 km/h pendant au moins deux tiers de l’année, l’isthme de Tehuantepec s’est transformé en « Eldorado » du vent. C’est dans cette région — une communauté rurale de pêcheurs, majoritairement autochtone — qu’il est prévu de construire le plus grand couloir éolien d’Amérique latine. Cinq mille aérogénérateurs de 80 mètres de haut, dont 2.129 ont déjà été installées. Une victoire pour l’environnement, une défaite pour la communauté puisqu’à aucun moment leurs droits n’ont été respectés.

Dès le début, ces éoliennes ont été installées sans leur consentement, violant ainsi les droits des autochtones en vertu de l’accord 169 de l’OIT. La mortalité des oiseaux n’est d’ailleurs pas la conséquence la plus grave étant donné que l’implantation de ce gigantesque parc éolien a exacerbé les inégalités dans la région et fait voler en éclat la cohabitation.

« La majeure partie du territoire appartient à la communauté, ce qui signifie que c’est l’assemblée qui détient le pouvoir de décision sur ces terres. Ce régime juridique a été mis en place il y a plus d’un siècle, mais les entreprises ne l’ont pas respecté. Elles ont conclu des contrats avec de petits propriétaires fonciers, elles ont acheté des dirigeants locaux et, ce faisant, elles ont déclenché des conflits internes. Nous traversons actuellement une période de violence que nous n’avions plus connue depuis des années », assure Josefa Sánchez, l’une des dirigeantes du mouvement citoyen qui dénonce depuis des années cette « spoliation » au nom du développement durable. Une spoliation des terres qui ne sert même pas à satisfaire aux besoins énergétiques de la population locale. La quasi-totalité de l’électricité produite par les éoliennes est distribuée à des sociétés étrangères, comme la société étasunienne Walmart.

« Le discours de ces entreprises est un discours vert, écologiste. C’est pour cette raison qu’il a été si difficile de dénoncer ces mégaprojets, » reconnaît l’activiste, mais son cas n’est pas isolé. La transition énergétique, urgente et nécessaire, néglige les droits humains et des travailleurs à travers le monde et reproduit les mêmes pratiques commerciales que celles des industries fossiles tant critiquées. Des pratiques vraiment pas propres.

Et les droits humains dans tout cela ?

Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), la capacité mondiale en énergies renouvelables aura augmenté de 50 % (ou 1.200 GW) entre 2019-2024, grâce notamment à l’expansion de l’énergie solaire photovoltaïque et éolienne. L’industrie verte connaît une accélération en raison de la nécessité de réduire les délais face au défi climatique et d’atteindre l’objectif de zéro émission de CO₂ d’ici 2050.

Toutefois, comme l’a dénoncé le Centre de ressources sur les entreprises et les droits de l’Homme, ce processus progresse tellement rapidement qu’il se fait parfois au détriment des sociétés les plus fragiles. Au cours des quinze dernières années, cette organisation internationale a collecté pas moins de 150 plaintes relatives à des projets durables. « Les énergies renouvelables sont essentielles dans notre transition vers une économie à faible émission de carbone, mais les politiques et pratiques des entreprises en matière de droits humains ne sont pas encore assez solides », prévient le centre.

La majorité des violations sont constatées en Amérique centrale et du Sud, en Afrique de l’Est et en Asie du Sud-Est — bien qu’il existe également des cas en Europe et aux États-Unis — et se rapportent à la spoliation et à la pollution des terres, à la violation du droit à la consultation, à la violation des droits des travailleurs, notamment la négociation collective et les conditions de travail dangereuses, mais aussi à des menaces, à de l’intimidation et à des violences commises contre les opposants.

Les énergies renouvelables sont aujourd’hui le troisième secteur d’où émanent la plupart des menaces contre les défenseurs du territoire, devancé uniquement par les secteurs minier et agro-industriel. Il suffit de songer à l’assassinat en 2016 de l’activiste Berta Cáceres qui s’était opposée à un projet hydroélectrique au Honduras.

Le discours affable que livre l’industrie verte au sujet du respect et de la responsabilité vis-à-vis de l’environnement n’est pas toujours appliqué aux personnes. « Le problème de ces mégaprojets est qu’il s’agit de grandes entreprises qui cherchent des ressources avec la même logique que toujours. Des endroits bon marché où ils peuvent dominer et maintenir un niveau élevé de consommation », critique Alberto Matarán, professeur d’urbanisme et d’aménagement du territoire à l’Université de Grenade.

Comme le déplore le professeur, on observe une concentration croissante de l’industrie des énergies renouvelables entre les mains de peu d’acteurs. À titre d’exemple, dans le secteur des éoliennes, seules cinq entreprises contrôlent la fabrication de turbines dans le monde : Vestas (Danemark), GE (États-Unis), Siemens Gamesa (Allemagne et Espagne), Goldwind (Chine) et Envision (Chine). Dans le même temps, les travailleurs se concentrent de plus en plus dans les mêmes pays. Sur les onze millions d’« emplois verts » créés en 2018, quatre millions se situent en Chine. De fait, ce pays dispose d’un quasi-monopole sur la construction des panneaux photovoltaïques et concentre la moitié des emplois liés à l’énergie éolienne.

À l’autre extrémité, on trouve l’Europe, où certaines entreprises ont commencé à délocaliser une partie de leur production afin de renforcer leur compétitivité, abandonnant de plus en plus d’usines vertes. C’est ce qui s’est passé en Espagne avec Vestas.

En 2019, cette multinationale a fermé son usine de fabrication de turbines à Villadangos del Páramo, dans la province de León (nord-ouest de l’Espagne) pour délocaliser sa production vers des pays émergents après avoir bénéficié de subventions européennes d’un montant de 12,5 millions d’euros. « Il est question de 362 travailleurs fixes de l’usine et d’environ deux mille travailleurs directs et indirects. L’impact a été considérable », explique Gonzalo Díaz, secrétaire du syndicat CCOO dans la région.

Des mois de mobilisations et de longues négociations ont permis la reprise du personnel de Vestas par une autre entreprise du secteur de l’acier. Malgré cela, M. Díaz insiste sur le fait que ces opérations — à nouveau, « pas très propres » — ne devraient pas être tolérées. « On a démontré qu’il s’agissait de pratiques spéculatives. L’Europe doit mettre en œuvre des mesures et exiger de ces entreprises un engagement qui va au-delà de l’aspect environnemental ». Sans quoi, avertissent les syndicats, l’objectif d’une transition juste, inscrit dans les Accords de Paris contre les changements climatiques, serait menacé. Si les entreprises du secteur des énergies renouvelables sont le principal espoir pour recycler les travailleurs du charbon et des autres sources d’énergie polluantes, que se passera-t-il si elles partent ?

Intervenir à la source

Mais il reste encore quelques recoins sombres, peut-être les plus invisibles. Ceux qui se trouvent au point d’origine. D’où viennent les matériaux utilisés aujourd’hui pour construire les panneaux solaires, les éoliennes, les batteries pour voitures électriques ?

Depuis quelques années, la demande en minerais tels que le lithium, le cobalt, le cuivre ou le nickel augmente à mesure que l’industrie des énergies renouvelables se développe et, dans de nombreux cas, les méthodes utilisées pour obtenir ces matières premières sont également plus que discutables. « Le cobalt, nécessaire à la fabrication des batteries, est un exemple frappant. À l’échelle mondiale, 60 % du cobalt est produit au Congo dans des conditions peu respectueuses de l’éthique, avec une exploitation minière artisanale et beaucoup d’exploitation des enfants », explique Helios Escalante, géographe et membre de la confédération Écologistes en action. Depuis quelque jours, des géants de la tech ont été mis en cause, et font face à une action légale (aux Etats-Unis), pour la mort d’enfants dans les mines de cobalt en République démocratique du Congo.

Autres matériaux controversés : les terres dites rares. Il s’agit d’un groupe de 17 éléments très difficiles à extraire et avec lesquels sont fabriqués des produits technologiques tels que les téléphones, les éoliennes ou les voitures électriques.

La plupart de ces minerais proviennent d’exploitations situées dans le nord de la Chine et en Mongolie où les garanties environnementales adéquates ne sont pas appliquées. « On utilise des acides pour séparer les éléments. Les résidus s’accumulent ensuite dans les étangs où des infiltrations se produisent et ils se retrouvent dans les nappes phréatiques », ajoute Helios Escalante. C’est la raison du taux élevé de maladies dans les villages environnants.

Les Principes directeurs de l’ONU établissent clairement que toutes les entreprises ont la responsabilité d’assurer le respect des droits humains sur l’ensemble de leur chaîne logistique. La transparence que l’on commence à exiger de l’industrie textile ou de l’industrie technologique en ce qui concerne ses fournisseurs devrait donc également être exigée des acteurs du secteur des énergies renouvelables.

À l’heure actuelle, il n’y a que quelques engagements volontaires, comme l’accord sur les droits humains et le travail durable que Siemens Gamesa a signé avec la fédération syndicale IndustriALL Global Union, mais jusqu’à présent, elle est la seule entreprise de ce secteur à avoir signé ce document.

Le Centre de ressources sur les entreprises et les droits de l’Homme appelle les multinationales vertes à adopter des politiques fermes en matière de droits humains et qu’elles s’engagent à mettre en place des processus consultatifs rigoureux, à respecter la propriété foncière et les droits des peuples autochtones et à partager les bénéfices du développement durable avec les communautés locales. Non seulement pour le bien de ces populations, mais aussi pour leur propre réputation.

« Relâcher l’accélérateur pour mettre en œuvre les énergies renouvelables n’est pas une solution viable, car le temps presse », estime María Prado, responsable de la transition énergétique chez Greenpeace. « Mais de toute évidence, le fait d’être pressé n’empêche pas de bien faire les choses. Il faut absolument que ces entreprises disposent de critères de diligence raisonnable. Qu’elles rendent des comptes sur leurs impacts et leurs activités ».

Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), le développement durable présente trois dimensions : économique, sociale et environnementale. Une entreprise qui se dit « durable » doit respecter scrupuleusement ces trois exigences. Josefa Sánchez le déclare avec beaucoup d’éloquence depuis sa tranchée face à la forêt d’éoliennes : « Une transition énergétique ne devrait jamais passer par l’extermination d’un peuple. »

María José Carmona
Equal Times

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