Un jet de grenade en pleine foule, c’est normal ou bien ?

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Un jet de grenade en pleine foule, c’est normal ou bien ?

C’est la question que je pose, suite à une blessure à la tête survenue jeudi 5 décembre en fin de manifestation. Si vous pensez encore que les violences policières, ok c’est moche, mais c’est la faute aux « vilains casseurs », et que ces sympathiques policiers n’ont pas le choix, alors vous devez lire mon témoignage.

Paris, 10e arrondissement, Jeudi 12/12/2019

Cela fait aujourd’hui une semaine, très exactement, que j’ai reçu, en pleine tempe, ce que je suppose être un plot de grenade de désencerclement. Et après la stupeur et la colère, vient le temps des questions. Comment, me suis-je retrouvée avec un hématome gros comme un œuf de cane au niveau de la tempe gauche accompagné d’un saignement intracrânien, alors que, comme des dizaines de milliers de personnes, j’avais simplement décidé d’aller manifester contre la réforme des retraites à Paris, ?

Sur le papier, la manifestation s’annonçait calme. Même si Castaner parlait déjà de violences à venir dès la semaine précédente. Mais une manifestation contre la réforme des retraites à l’appel de vilains black blocs tels que la CGT, FO, Sud, la FSU, l’UNEF, l’UNL, et même l’UNSA ou la CFE-CGC, ça ne semblait pas vraiment risqué, d’autant que la manif s’annonçait énorme. Car même ceux qui boudent les grandes messes syndicales en temps habituel attendaient avec impatience ce moment de convergence auquel s’étaient aussi ralliés les gilets jaunes.

Lorsque je rejoins la manifestation à 15h, à l’angle du boulevard Magenta et de la rue du Faubourg Saint-martin, l’ambiance est joyeuse, la foule -des jeunes, des vieux-, si nombreuse que le cortège fait du surplace. Il y a du monde partout : dans la rue, sur les trottoirs, sur les échafaudages, les bancs, feux rouges et les abribus. Je remonte le cortège le long du trottoir et croise Jérôme Rodrigues au milieu de la foule.

Ca se tend un peu avant la place de la République, à la hauteur de Jacques Bonsergent. Quelques jets de projectiles, un ou deux abribus cassés, des feux de poubelles. Pas vu la cabine de chantier cramer. Les cafés du boulevard Magenta sont toujours ouverts. Non, le vrai problème ce sont les lancers de grenades, les détonations, les explosions et surtout les gaz. Une partie des manifestants reflue, tandis que des groupes de flics chargent depuis les rues qui donnent sur le boulevard Magenta. Nous voilà bloqués à la hauteur de Jacques Bonsergent. J’apprendrai plus tard que les pompiers ont réussi à briser la nasse policière qui empêchait la foule de traverser la place de la République.

Après la République, le cortège reprend son cours, guidé par les slogans hurlés au micro. Echanges avec un cheminot de Paris-Est, puis une femme aide à domicile et gilet jaune qui refuse de dire à ses enfants qu’elle manifeste « pour ne pas les effrayer ». Une fille aux cheveux teints à la crazy color bleue chante : « Macron, on va tout casser chez toi ».

J’arrive à la Nation vers 18h30. La place est déjà bien remplie mais la foule continue à arriver. Je suis à l’angle du boulevard Voltaire. Tout d’un coup, j’entends une explosion à ma gauche et je sens au niveau de la tempe un choc d’une grande violence. Le souffle est si puissant que je tombe par terre. Il y a une vague odeur de brûlé. Paniquée, je me relève et je hurle : « mais c’est quoi ça ? ». Des voix autour répondent : « c’est un galet d’une grenade de désencerclement ». Mes voisins ne semblent pas plus étonnés que ça. Je n’ai pas perdu connaissance, ma tête ne saigne pas abondamment et je n’ai pas encore vraiment mal. Disons que ma tempe est endolorie, comme si cette partie de mon crâne avait fait sécession du reste. Quelqu’un, je ne sais qui, appelle un street medic. « Suis mon doigt des yeux, serre mes mains, lève les pieds, on est quel jour ?, tu es où ? Conclusion de mon street medic : rien de grave, je peux rentrer chez moi. Mais, ajoute-t-il, « si tu as des nausées et des vomissements, appelle vite le 15 ». S’agissant d’une blessure à la tempe, je préfère quand même aller aux urgences. Nous sommes tout près de l’hôpital Saint-Antoine.

Le problème, c’est que les rues adjacentes, et notamment le boulevard Diderot ou la rue Faidherbe Chaligny, sont bloqués par les condés. J’avance vers un cordon de CRS. Me plante devant l’un d’eux, casqué, la visière levée. Je lui montre ma blessure mais ne reçois en retour qu’un regard glacial et une réponse définitive : « vous pouvez pas passer ». Je retourne place de la Nation où j’apprends que le métro est encore ouvert. Je rejoins Reuilly-Diderot et finit par trouver l’entrée des urgences. Il est 19h30.

Ca m’arrange de ne pas voir quelle tête j’ai, parce que c’est sûrement pas mon meilleur profil. J’explique ce qui s’est passé à un urgentiste qui m’allonge sur un brancard, m’annonce que je vais passer un scanner. Je fais un selfie pour voir. J’ai la tête complètement déformée d’elephant(wo)man et la tempe qui me lance. Un brancardier m’entraîne dans les sous-sols jusqu’au scanner. Une interne m’expliquera une heure plus tard, qu’ils vont devoir me faire un deuxième scanner, avec injection d’un produit de contraste, car il y a un saignement intracrânien de 4 mm. « On va vous garder 48h pour vérifier qu’il n’y a pas d’aggravation ». Ils ont l’air de redouter une hémorragie interne et moi je n’ai vraiment aucune envie de rester sur mon brancard.

La nuit est longue. Je m’écroule au matin vers 5h30 et passe la journée totalement dans les choux. Je revois la place de la Nation, les manifestants autour de moi. Jeunes, un peu chauds, mais comme beaucoup de gens le sont depuis l’élection de Macron et le mouvement des gilets jaunes. Pas de cagoules, ni de total look en noir. Pas de casques, de masques, de projectiles, ni marteaux, ni scies sauteuses. Et ce truc qui me percute la tempe gauche sans crier gare, alors que jamais je n’aurais imaginé être en danger. Et pourquoi l’aurais-je été ? Je suis venue en tenue de ville, avec mon manteau à carreaux et mon écharpe en laine tricotée main. Non mais quelle naïveté de se croire hors de danger parce qu’on manifeste pacifiquement !

Le jeudi soir, après mon arrivée à Saint-Antoine, j’ai posté le selfie de ma tronche sur les réseaux sociaux. Même en essayant de faire de l’humour, ça fiche quand même vachement la trouille. Comme si ce n’était pas le but recherché. Pendant mon séjour à l’hosto, je tombe sur un article du Monde, daté du 7 décembre, qui raconte comment lors de l’acte IV des gilets jaunes, en décembre 2018, la doctrine du maintien de l’ordre a basculé. Avec ces ordres donnés par la hiérarchie policière : « Allez-y franchement, n’hésitez pas à percuter. Ca fera réfléchir les suivants ».

Je pense à tous ces gens, manifestants de la loi travail sous Valls déjà, gilets jaunes réprimés sauvagement depuis un an, ou aux jeunes gens des banlieues qui subissent ça depuis au moins 15 ans.

Je me pose des questions vachement normales en démocratie : Est-ce que je m’achète un casque, un masque pour la prochaine manif, au risque d’être placée en garde à vue rien que pour avoir voulu me protéger ? Pourquoi jeter une grenade de désencerclement en plein milieu de la foule ? La grenade a-t-elle été lancée en cloche ? Pourquoi l’Etat attaque-t-il mon intégrité physique ? Est-ce que ce genre de pratique relève encore du maintien de l’ordre ? Quels ordres ont été donnés place de la Nation le 5 décembre ?

Les conclusions que j’en tire ? Ce pouvoir est celui de la tyrannie, dont l’étendard sanglant est levé, avec son cortège d’éborgnés, de « gueules cassées », de mutilés et d’estropiés. Or, la résistance à l’oppression est un droit naturel et imprescriptible, inscrit dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, repris en préambule de notre constitution, qui est notre norme fondamentale.

Je termine avec la suggestion d’un ami qui m’a joint ce weekend : « on devrait tous défiler avec des casques, ça donnerait une idée d’où en est le droit de manifester dans ce pays ». Et peut-être que ça rendrait la vue à l’avocate Laetitia Avia, députée et porte-parole LREM, qui n’a constaté, a-t-elle affirmé à Edwy Plenel de Mediapart, aucune violence policière ces douze derniers mois. Sans quoi, elle serait la première à les dénoncer.

Véronique Valentino