Avanti 5 ! Tour de France des lieux autogérés : Tarn et Aveyron

Nous retrouvons Odeline, Maeva et Audrey et leur camping car pour une nouvelle étape de leur tour de France des lieux autogérés. Cette fois-ci, nos trois baroudeuses écument les lieux alternatifs du Tarn et de l'Aveyron et font halte au Roucous. Un lieu qui accueille enfants autistes et adultes souffrant de troubles psychiques. Au Roucous, l'antipsychiatrie se vit au quotidien.

Le Roucous

Odeline, 25 ans, Maeva, 30 ans et Audrey, 35 ans poursuivent leur tour de France des lieux alternatifs et solidaires, avec l'envie d'apprendre pour créer leur propre projet. Respectivement éducatrice spécialisée auprès d’enfants en situation de handicap à Besançon, psychothérapeute pour enfants à Carpentras et psychomotricienne dans la région d’Avignon, elles font cette fois-ci escale dans un lieu de vie où cohabitent en harmonie personnes souffrant de troubles psychiques et d'autres qui, pas nécessairement diplômées en tant qu'éducateurs et travailleurs sociaux, qui y ont trouvé une raison de vivre et de se sentir utiles.

19/10/2017

Nous arrivons au Roucous après une longue route sinueuse dans la forêt humide. Cet endroit a des airs de confins du monde. Nous sommes accueillies par Barbara, permanente du lieu. Alors commençons avec le vocabulaire : bienvenue dans le pays merveilleux des Lieux de Vie et d’Accueil (LVA).

Ici il n’y a pas d’organisation hiérarchique de l’équipe encadrante, il y a des permanents. C’est à dire ? Les permanents sont les adultes encadrant le groupe d’enfants qui vit ici. Ils sont permanents parce qu’ils ont leurs habitations un peu plus loin sur la propriété (pour la modique somme de 60 euros par mois retenus sur un salaire d'environ 1500 euros net). Un permanent peut être éducateur mais ce n’est pas nécessaire. Ici c’est un peu à la tronche du client mais dans le bon sens. Peu importent tes diplômes, c’est ton expérience de vie, ton authenticité, ta capacité à faire équipe et à investir la relation avec les gosses qui comptent.

Nunu, le fondateur du lieu, aujourd’hui à la retraite, mais qui vit toujours dans sa belle maison en bois sur le site, n’y va pas par quatre chemins. On le sait, choisir de vivre dans un LVA c’est justement un choix de vie, pas un taf.

Mais revenons à un ordre chronologique. Barbara, donc, nous accueille dans la salle commune du Roucous. C’est la pièce principale d’une maison chaleureuse, comprenant cuisine américaine, grande table en bois et de chaque coté deux mezzanines servant de salle de cinéma et de bureau des permanents.

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20 et 21/10/2017

On se sent tout de suite bien ici, avec l’impression d’être un peu comme à la maison. On commence à papoter autour d’une boisson chaude comme on sait si bien le faire entre nanas. Barbara nous dresse le tableau. Nous sommes donc ici au Roucous, LVA crée il y a 25 ans par Nunu (personnage haut en couleur sur lequel nous nous ferons un plaisir de revenir ultérieurement). Ici vivent 3 permanents qui accompagnent 4 enfants dont c’est le lieu d’habitation principal. 4 ou 5 autres, plus ou moins jeunes, sont régulièrement de passage quelques jours en fonction des besoins et des envies. L’équipe vient de se renouveler. Barbara est là depuis environ un an et demi et vient d’être rejoint par Audrey (Non,non pas moi, pas encore !) et Arnaud il y a seulement quelques semaines. Ils en sont aux prémisses de leur organisation mais ils semblent avoir réussi à se mettre d’accord sur un fonctionnement qui roule et convient à chacun : semaine 1 à trois avec les jours de réunions, d’analyse des pratiques etc, et les semaines suivantes à deux. Ainsi ils ont chacun une semaine off dans le mois. Vient aussi sur le site une maîtresse de maison. Celle ci, en venant faire une soirée par semaine, permet à chaque permanent d’avoir un jour de congé de 17 h à 17h le lendemain.

22/10/2017

Je me rends compte en écrivant à quel point j’ai retenu d’éléments organisationnels cette fois ci. Ce n’est sûrement pas anodin. J’entrevois ici pour la première fois un modèle d’organisation de notre futur lieu qui me conviendrait bien.

C’est que cet endroit et les gens qui le font vivre ont tout pour séduire. Un grand parc arboré (beaucoup de châtaigniers, dont les feuilles à cette époque de l’année forment un matelas moelleux jaune orangé), des espaces dégagés, des espaces aménagés avec de vieux camions, des caravanes et des bus pour accueillir l’été les gens de passage. Et du passage l’été au Roucous, il y en a. Le lieu accueille un cirque en résidence et en collaboration avec le village voisin, les journées annuelles d’ Alternatives libertaires, des groupes type colonies de vacances…

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23/10 au 29/10/2017

Le lien « dedans-dehors » est au centre des préoccupation, pas question de rester entre soi trop longtemps. Il va de soi ici, que les permanents ramènent un ou deux gamins chez des potes pour dire bonjour et passer un petit bout de temps ensemble. L’inverse est aussi monnaie courante : les amis qui passent sont nombreux pour un goûter, pour une soirée ou quelques jours. La vie se vit tranquillement. Les aménagements de l’espace et du temps prennent en compte à la fois le besoin du groupe de se nourrir de l’extérieur par le passage régulier « d’autres » et la spécificité des besoins des enfants accueillis, pour la plupart un peu ou beaucoup « chtarbés » comme les qualifie affectueusement Nunu, qui ont besoin de contenance, de rituels et d’espace de liberté.

Ici, le maître a penser principal c’est Deligny. Je découvre cet éducateur hors norme qui a su expérimenter une approche ajustée à ces êtres tellement singuliers que l’on nomme autistes ou psychotiques.

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Lors de notre entretien avec Nunu, je commence à voir s’articuler les liens entre le GERPLA (Groupe d’échange et de recherche pour et sur la pratique en lieu d’accueil), les LVA (lieux de vie et d'accueil), Deligny et la pensée de l’anti-psychiatrie. Work in progress…

Il y a des après midi qui laissent des traces. Celui passé en compagnie de Nunu compte parmi ceux la. Comment décrire le personnage ? Nunu , faut s’imaginer un mélange entre les chanteurs de ZZ Top grisonnants, l’abbé Pierre, Proudhon et une Nounou d’enfer. Ça vous parle ? Nunu a fondé le Roucous il y a 25 ans. Son premier agrément, comme beaucoup de LVA, fut celui d’assistante maternelle. Quand on voit le bonhomme c’est à mourir de rire et puis on l’écoute, le bonhomme.

C’est une sorte de détermination à la liberté, un hymne discret à l ‘émancipation qu’il me laisse dans les oreilles. En vrac quelques conseils bien avisés:

  • « tout est fonction "d’opportunisme* et "d’opportunité", le projet se construit par le territoire » c’est en s’intégrant sur un territoire donné que nous serons amenées à imaginer l’étendu des possibilités de créer du lien avec celui-ci et avec les institutions.
  • «  attention à ne pas dépendre d’une seule administration ; le projet prime sur la demande administrative ». Le bon vieux « ne mets pas tous tes œufs dans le même panier » qui participe aussi de notre ambition de mobiliser différents secteurs de l’économie sociale et solidaire mais aussi médico-sociale, des arts du spectacles, de l’accueil jeunesse et sports et du tourisme classique…Histoire de garder la liberté de d’abord incarner Notre projet et de ne pas se transformer en prestataires de service du conseil général.
  • « Démarrez. Faites de l’accueil, la reconnaissance administrative viendra après : créez de l’usage » que j’entends comme « c’est en forgeant qu’on devient forgeron ». Nous en savons assez pour commencer, le reste viendra en temps voulu.
  • « Travaillez votre posture vis a vis des institutions ». C’est eux qui ont besoin de nous, ne jamais perdre de vue la posture politique de notre engagement et la nécessaire distance à entretenir avec LE politique.
  • « ici on fait rien, on vit », ne pas hésiter à défendre cette posture qui privilégie l’humain sur la tarification à l’acte. Sorte de garde fou contre l’injonction administrative toujours plus oppressante à planifier des projets d’accompagnement avec des objectifs quantitatifs objectivables, à privilégier le FAIRE au dépend de l’ETRE et de l’ETRE AVEC. Le terme légal de l’accompagnement en LVA place le permanent en posture de pseudo-familial. Du coup, c’est quoi la famille, c’est quoi la Vie ? C’est là tout le travail qui doit être au cœur de nos préoccupations, être au plus proche des conditions de la vie.
  • Se garder beaucoup d’espace d’échange, de parole entre nous pour côtoyer la folie sereinement.
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Manou, la compagne de Nunu c’est aussi tout un roman… des heures tu pourrais l’écouter raconter son histoire avec autant de pudeur que de générosité. C’est elle qui pose des mots sur le phénomène singulier, qui m’est de plus en plus familier, de l’alignement, de la mise en cohérence des expériences précédentes qui ici, à présent, s’agencent dans une évidence, flagrante et inédite. Il y a un moment où les divers épisodes de ta vie s’organisent pour former un puzzle original et dont le sens s’impose directement à l’esprit. « Faites avec ce que vous êtes » voilà le leitmotiv de tous les lieux de vie que nous rencontrons. Il ne s’agit pas de réinventer l’eau chaude mais de partager ce qui nous anime, ce qui nous nourrit dans la vie. Manou c’est la nature, la protection de l’environnement, les balades sauvages, les grandes étendues. Pour Joseph, que l’on retrouvera plus tard en Bretagne, c’est les voyages humanitaires, les déserts et l’âme de l’Afrique. Chaque LVA fait vivre ses valeurs par ses projets.

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Manou a travaillé pendant des années dans un lieu de vie comprenant un pôle éducation à l’environnement. Elle et son équipe y accueillaient fin 80’s début 90’s « des cassos, des fin de peine, des sidaïques, des sans pap, des parents sans droits d’hébergement » dans une ferme en production. Elle nous partage son « émerveillement en constatant la capacité de ces gens à vivre ensemble ».

C’est le cœur plein d’entrain et avec un vent léger de rébellion que nous quittons ces deux là et l’équipe du Roucous, toutes heureuses d’avoir découvert ce statut survivant d’une époque révolue où les conditions du bien vivre primaient sur les évaluations et les tarifications, conscientes aussi de cet héritage de combats politiques, sociaux et philosophiques qu’il nous appartient maintenant de perpétuer…

Nous repartons gonflées à bloc.

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Suite à venir...