ZAD : l'heure des chicanes

Le débat est lancé au sein des milieux zadistes de Notre-Dame-des-Landes. Maintenant que le gouvernement a annoncé renoncer à la construction d'un nouvel aéroport, faut-il évacuer les routes, dont la D281, et négocier avec les autorités ou refuser tout compromis avec le capitalisme vert ? Voici quelques pièces pour comprendre ce qui se joue en ce moment à Notre-Dame-des-Landes.

Nous l'avions écrit un peu vite jeudi dernier, au lendemain de l'enterrement en première classe du projet d'aéroport. Des négociations seraient engagées avec les autorités pour le maintien de ceux qui, sur place, sont engagés dans des expérimentations écologiques, sociales et économiques. C'était oublier que la ZAD de Notre-Dame-des-Landes n'est pas "une carte postale de gentil.les néo rural.aux en goguette" mais aussi un véritable laboratoire politique, où se côtoient des sensibilités diverses : écolos, altermondialistes, anarchistes, anticapitalistes. Le débat est donc vif entre ceux qui défendent une opportunité de pérenniser la ZAD dans un cadre légal et ceux qui refusent par avance toute récupération par ce qu'ils dénoncent comme étant un "capitalisme vert macrono-compatible".

C'est sur la décision d'évacuer la départementale D281, dite "route des chicanes", que se cristallisent les oppositions. Ainsi, lundi matin, un flash info sur le site ZAD Nadir, invitait à un "chantier collectif sur la D281", auquel "les journalistes ne sont pas les bienvenus". "On vous invite à venir lundi 22 janvier, dès 10h au "Lama Faché", rassemblons nous avec pique nique, pelles, gants, fourche, grands sacs de ferme et bonne volonté !" écrit le site, repris par Indymedia. De fait, le déblayage de la voie a commencé hier, à l'invitation de l'association Citoyenne Intercommunale des Populations concernées par le projet d'Aéroport de Notre Dame des Landes (ACIPA). Aidés par les tracteurs de paysans, on a donc commencé à enlever pneus, carcasses de véhicules et barricades diverses. L'opération, qui marque le début d'une nouvelle phase pour les opposants à l'aéroport, pourrait durer trois jours.

"Nous voilà maintenant dans une nouvelle phase, pleine de possibilités d’avancer ensemble, notamment sur des questions d’usage commun, comme celle de la D281, dite "route des chicanes", indique le communiqué intitulé "Appel à chantier collectif sur la D281". Celui-ci rappelle que cette départementale a été "fermée par les autorités dans le cadre du projet d’aéroport en 2013" et qu'elle a été "réouverte par le mouvement dans la foulée". Mieux, le communiqué de Indymedia rappelle que si "trois départementales traversent la ZAD, elles auraient disparues si l'aéroport avait été construit" et que si "elles existent toujours [c'est] parce que l'ensemble des opposants a réussi à empêcher le projet". Par ailleurs, les obstacles posés sur la route visent aussi à ralentir le trafic autoroutier et le fait de rendre la circulation difficile est revendiqué afin de protéger humains, faune et flore sur cette zone humide de champs et de marécages.

Mais à Nddl, tous n'envisagent pas les choses de la même manière. Certains souhaitent que "tou.te.s puissent y circuler tranquillement, avec l'installation de ralentisseurs provisoires, puis des ralentisseurs pérennes, et des voies de passage [qui] seront créées pour nos ami-e-s tritons, salamandres et autres habitant-e-s du bocage". "Cette route était et restera un symbole de notre résistance commune, et c’est tout-e-s ensemble que nous mettons en œuvre son usage partagé, puisque qu’il n’y aura pas d’aéroport" explique encore le communiqué, en retrait cependant par rapport aux plus engagés sur la ZAD. Les auteurs reconnaissent que "prendre cette décision (...) n’a pas été facile". "Mais, ajoutent-ils "c’est parce que nous pensons un futur commun et avons confiance dans notre force collective que nous vous appelons à faire ce chantier entre « nous », sans la presse".

Car la D281 est bien plus qu'une voie de circulation. Elle est aussi un lieu d'expérimentations et certains occupants de Nddl y ont installé des cabanes, des caravanes, des tentes, des camionnettes et autres lieux de vie, notamment après l'opération César, qui devait évacuer la ZAD et n'a fait que la renforcer. La D281, avec ses portions de street et land art, ses pancartes et slogans invitant à l'utopie est éminemment emblématique, comme le squat les Planchettes ou l'épicerie qui s'est installée en bord de route. "La D281 est revendiquée de différentes manières", précise Indy media, car "elle est une écriture en soi, peut-être l'écriture de ceux qui écrivent le moins sur la zad", revendique un texte intitulé "Habiter et circuler à la campagne, dans le péri-urbain, partager les routes qui traversent la ZAD". "[la D281] a ses dysfonctionnements connus, elle sépare les composantes du mouvement, mais l'écoute des paroles de chacun montre des point communs nombreux et des idées d’usages partagés (réunion route de dimanche et dernière ag du mouvement)", continue le communiqué.

Du côté des associations comme l'ACIPA, on s'est engagé à dégager cette portion de route, en réponse à l'ultimatum du ministre de l'Intérieur qui a laissé un délai de une semaine pour déblayer la voie. Mais cette décision est loin de faire l'unanimité et réactive des clivages importants entre ceux qui espèrent une sortie légaliste et ceux pour qui " VINCI a perdu mais ce n'est pas pour autant les "zadistes" qui ont gagné : c'est "en même temps" le capitalisme vert qui tente de faire une percée". "Il y a des personnes qui veulent commencer par nettoyer la route, puis les cabanes aux abords, puis les cabanes au milieu des champs, puis "nettoyer" toute la zone des vestiges de l'occupation, pas seulement des pneus et poubelles-pas-belles qui maculent tristement la campagne" explique la page Facebook Astérix et les zadistes

Celle-ci rapelle que "la zone à défendre où se sont installé.e.s des dizaines et des dizaines de personnes pour la protéger au fil des années, est désormais sous double pression". D'un côté une pression externe, avec une occupation policière et le déploiement de milliers de CRS et autres forces de l'ordre, afin de "nettoyer" la zone des "squatteurs" [pour] qu'elle ne soit plus "une zone de non-droit" aux yeux du citoyen". Or, rappelle la page Facebook, "ces contrôles vont s'abattre en priorité sur les plus précaires dont les véhicules et les papiers sont loin d'être en règle". Et de prévoir que, "à force d'amendes et de retraits de permis (certain.e.s pourraient même passer en justice) l'ensemble sera incité à aller migrer ailleurs sous peine de matraquage général au printemps".

L'auteure redoute que "des arrestations aient lieu dans le coin, peut-être même une intervention express sur un/des lieux ciblés de la zad afin de livrer un.e ou des coupables idéaux à la vindicte populaire (...)".  Une fois ce nettoyage terminé, ce qui semble se dessiner, estime-t-elle, c'est "la "promotion d'une zone agricole "pacifiée" servant le mythe de l'élève turbulent devenu professeur rentré dans les rangs pour former à une permaculture intensive, productive et rentable". Car les désaccords politiques que cristallise le déblayage de la D281 -et ce au sens noble du mot- sont profonds. On pourrait ajouter que la haute tenue des débats montre que la ZAD est l'une des expériences politiques et sociales les plus passionnantes qui aient vu le jour ces dernières années. Mais "une partie du mouvement veut absolument "nettoyer" en "urgence" la D281 comme s'il y avait un contrat à validité temporaire à respecter avec l'Etat", constate le texte publié sur la page Facebook "Astérix et les zadistes".

"Réhabiliter la route départementale (et non pas la libérer ou la ré-ouvrir)" cela veut aussi dire "pour certain.e.s la destruction d'anciens ou actuels lieux de vie, de cabanes surréalistes d'anarchitecture (l'une a été incendiée il y a peu) et la disparition des vestiges les plus visibles du visage de la lutte le moins contrôlable". "Leur but est que chaque habitant.e paye loyer, factures, charges, dans des maisons, que les cabanes soient détruites... bref de faire cesser le squat et de légaliser la zone", avant de "devenir une zone pilote d'agriculture éco-responsable, etc". "Le plus triste, est que ces personnes n'arrivent pas à voir en quoi elles se conforment au besoin exact du capitalisme vert", conclut l'auteure qui dit habiter à Nantes, qu'elle qualifie de "ville phare de la gentrification dans le but de devenir la capitale des smart-cities après avec été le modèle de Ville Culturelle (artwashing) puis Capitale Verte (greenwashing)".

On ne saurait mieux résumer le débat entre d'un côté ceux qui refusent toute légitimité au monde qui a porté le projet d'aéroport et ceux qui sont prêts à négocier une sortie du type "Larzac" que nous annoncions un peu rapidement. Dans la "lettre ouverte à toutes celles et ceux qui se reconnaissent dans le mouvement contre l’aéroport et son monde" publiée sur Indymedia Nantes jeudi dernier, les auteurs reconnaissent des "incompréhensions mutuelles et/ou de désaccords politiques". D'autant, écrivent-ils, que "ces frottements" qui ne sont pas nouveaux [et], l’abandon de l’aéroport "met une pression supplémentaire autour de ces embrouilles". Car si les discussions sont vives, une partie du mouvement s'efforce de conserver une capacité de prise de décision collective. Celle-ci est-elle encore d'actualité à l'heure où le gouvernement fait pression ? "Pour nombre d’entre nous il semble important de rester uni.es face à l’État, alors que celui-ci fait tout pour nous diviser entre bon.nes et méchant.es, intégrables et réprimables".

Pour l'instant, si les débats sur l'avenir de la ZAD font rage, tout le monde semble d'accord pour s'opposer aux expulsions. "Nous pourrions revenir sur cette décision [d'évacuer la D281], si des menaces d’expulsion venaient à se concrétiser, en refermant cette route et les autres traversant la zad" écrivent les plus acquis à une solution négociée avec l'Etat. Qui défendent "un engagement fort (..) à défendre la zad si besoin, et à la défendre ensemble". Engagement solide ou gage donné pour préserver un semblant d'unité du mouvement ? La route sera sans doute débloquée, mais les chicanes ne sont sans doute pas terminées pour autant.

Véronique Valentino