Malgré pressions, menaces et trahisons syndicales, la grève continue à l'Holiday Inn de Clichy

En grève depuis le 19 octobre dernier, les salariés qui assurent l'entretien de l'hôtel Holiday Inn de Clichy (Hauts-de-Seine) pour la société sous-traitante Hemera, protestent contre l'esclavage moderne dont ils font l'objet. Malgré les intimidations policières, les menaces d'hommes de main du groupe hôtelier et les trahisons  d'organisations syndicales corrompues, ils restent déterminés à obtenir le paiement de toutes les heures de travail.

Ce qui a mis le feu aux poudres, c'est la mutation de deux des salariées, d'après une clause introduite dans le contrat de travail des salariés par Hemera, qui a obtenu récemment le marché à l'issue d'un appel d'offres. L'une de ces deux salariées a ainsi été mutée du jour au lendemain à la Défense, à plus d'une heure et demi de son domicile. Ces mutations seraient utilisées à des fins disciplinaires, vis-à-vis d'employés réputés pas assez dociles, pour casser les collectifs de travail.

Un reportage de France 2, diffusé le 21 novembre dernier (voir vidéo ci-dessous), dénonçait les cadences infernales imposées aux femmes de chambre dans cet hôtel qui compte 252 chambres et emploie près de 80 salariés. Elles y dénonçaient des cadences infernales et des heures supplémentaires impayées. Car, si elles sont payées à l'heure, dans les faits leur employeur leur assigne un certain nombre de chambres à nettoyer.

 

L'enquête de France 2 a établi que pour nettoyer une seule chambre -nettoyage des sanitaires, poussières, aspirateur- il fallait 24 minutes. Or, selon le planning que s'étaient procurés les enquêteurs de France 2, les femmes de chambre sont tenues de nettoyer vingt chambres en sept heures. On leur demande de nettoyer trois chambres par heure, ce qui est totalement impossible durant les sept heures de travail fixées par leur contrat de travail. Pour tenir les objectifs assignés par leur employeur, les femmes de chambre sont obligées de faire des heures supplémentaires non payées, ce qui, selon le syndicat CNT-SO (CNt solidarité ouvrière) qui est à la tête du conflit, s'apparente à du travail dissimulé.

En effet, selon l'article L8221-5 du code du travail (alinéa 2), est réputé constituer du travail dissimulé le fait pour tout employeur de "mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli". Une infraction susceptible de faire l'objet de sanctions pénales et administratives lourdes. La loi punit l'auteur de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.

Depuis octobre, les grévistes, qui dénoncent des conditions de travail proches de l'esclavage, ont élargi leurs revendications. Ils demandent non seulement la suppression de la clause de mobilité, mais aussi le paiement de toutes les heures effectuées, la reconnaissance des qualifications pour des salariés qui ont une longue ancienneté dans l'emploi, une prime de panier repas, le respect des deux jours de repos consécutifs et un treizième mois, comme celui auquel ont droit les salariés directement employés par le Holiday Inn. 

Les salariés réclament aussi le recrutement direct des salariés de Hemera par l'hôtel 4 étoiles, qui appartient au groupe IHG Intercontinental Hotels group, lequel a dégagé un bénéfice net en progression de 9,5% au cours des six premiers mois de l'année 2016. Pour comprendre cette dernière revendication, il faut savoir que les salariés du Holiday Inn de Clichy y travaillent depuis très longtemps, parfois depuis plus de dix ans. Ils sont formellement employés par un sous-traitant -aujourd'hui Hemera qui a récupéré le contrat à la suite d'un appel d'offres- mais restent sur le site lorsque le contrat de sous-traitance échoit à un autre prestataire, en vertu de la clause de reprise propre au secteur de la propreté. Ces salariés sont donc amenés à changer régulièrement d'employeur.

Or, selon Etienne Deschamp, du syndicat CNT-SO (solidarité ouvrière), les grands hôtels sont devenus "des boîtes à faire du cash", optimisant au maximum leurs coûts pour faire de la marge. Selon le syndicaliste, ces établissements de prestige sous-traitent l'ensemble des prestations. C'est le cas pour le nettoyage et l'entretien, pour les femmes de chambre, mais aussi pour la sécurité et même parfois l'accueil. "Ils ne sont même plus propriétaires des locaux qui sont gérés par des holdings immobilières". Le recours à la sous-traitance permet au donneur d'ordres de maîtriser les coûts aux dépens des salariés. En effet, à chaque renégociation du contrat, les prix baissent et leurs conditions de travail se dégradent un peu plus. D'où la volonté de réinternaliser les salariés dont la situation est bien plus précaire que celle de ceux qui sont employés directement par l'hôtel.

Le conflit s'est donc durci et ancré dans la durée. Cela fait presque trois mois que la grève dure et les coups de pression s'accumulent. Ce mercredi, c'était Mirabelle Nsang, gouvernante de l'hôtel et déléguée syndicale de la CNT-SO, s'est rendue au commissariat de Clichy pour y déposer plainte contre l'un des vigiles de l'hôtel, qui l'a menacé à plusieurs reprises. "Je sais où tu habites", "on va te casser la gueule" ou encore "je vais te faire la peau", lui aurait-il déclaré à plusieurs reprises. Un délit puni de six mois d'emprisonnement et de 7500 euros d'amende, qui s'ajoute à l'interdiction, pour des agents de sécurité privée d'intervenir dans un conflit du travail. Les policiers ont pourtant refusé de prendre la plainte de la déléguée syndicale, se limitant au dépôt d'une main courante. Elle devra donc porter plainte directement auprès du procureur. 

Ces multiples entraves de la part des forces de l'ordre ne sont malheureusement pas exceptionnelles. Depuis que les salariés en grève se sont installés à l'entrée du Holiday Inn, ils sont régulièrement harcelés, verbalisés et contrôlés par les polices nationale et municipale. Ils ont à plusieurs reprises écopé d'amendes pour tapage, notamment. Le 30 décembre dernier, la tension est montée d'un cran, lorsque des policiers ont essayé de dégager les grévistes et qu'ils ont saisi la sono, avant de finalement la restituer. Selon Etienne Deschamp, de la CNT-SO, les policiers auraient prétendu s'appuyer sur un arrêté municipal. Les deux syndicats, CGT HPE et CNT-SO, ont très vite réagi en publiant des communiqués dénonçant un arrêté illégal.

Vérification faite auprès de Patrice Pinard, adjoint à la sécurité du maire Les républicains de Clichy, il n'y a jamais eu d'arrêté. Visiblement un peu sanguin, cet adjoint de Rémi Muzeau qualifie les syndicalistes de la CNT de menteurs, les compare aux monstres communistes ayant tué 40 millions de personnes (on sent que si on le lance un peu sur le sujet ça pourrait devenir 40 milliards) et les aurait même menacé d'une plainte en diffamation. Pour lui, la mairie n'a pas vocation à se mêler d'un conflit privé. Ce qui n'a pas empêché le maire de recevoir les différentes parties prenantes du conflit.

Patrice Pinard affirme que plusieurs riverains auraient contacté la mairie pour faire cesser le tapage lié à la sono ou  encore parce que les environs de l'hôtel sont devenus un "dépotoir". Il prétend aussi que le versement d'un dédommagement aux grévistes pour payer kes amendes infligées par les policiers muncipaux s'est fait à l'initiative de la mairie. 

Ce que dément l'élu communiste clichois Hicham Dad, qui est à l'origine de la décision votée par le conseil municipal de novembre. Un vote auquel les élus de la majorité municipale n'aurait en fait pas participé et qu'elle tarde à verser. Le même rappelle, concernant les plaintes de riverains, que la population clichoise voit plutôt d'un bon oeil les revendications des grévistes, qui récoltent chaque semaine sur le marché plusieurs centaines d'euros pour la caisse de grève.

Mais le harcèlement policier et les menaces des vigiles du Holiday Inn ne sont pas seules en cause. Les syndicats de l'entreprise, CFDT, UNSA, FO et CGT Propreté auraient tenté de dissuader les salariés de faire grève et de négocier dans leur dos. Ce qui a poussé le délégué FO au comité d'entreprise à se désolidariser de son syndicat pour rallier les grévistes. Ce n'est pas la première fois que les syndicats de la propreté sont accusés de défendre les intérêts des employeurs et d'être corrompus. La CGT de la propreté et des services associés de la région parisienne a ainsi été éjectée de l'Union départementale CGT en février 2016. Un reportage de Spécial investigation dénonçait déjà la corruption de ce syndicat, qui aurait reçu des chèques versés par des grandes sociétés du secteur comme Véolia ou Gom propreté (voit vidéo ci-dessous).

Il faut aussi compter avec les entraves au droit syndical de la direction du Holiday Inn qui refuse l'accès des locaux aux deux délégués syndicaux, Mirabelle Nsang, gouvernante, représentante de la section syndicale de l'entreprise et le délégué syndical FO du comité d'entreprise. Une interdiction d'accès aux locaux de travail illégale. Après avoir fait constater l'interdiction d'entrer par huissier, les deux syndicalistes ont assigné leur employeur en référé. "L'entrave (..) est d'autant plus grave, qu'elle a pour seul motif d'empêcher les représentants syndicaux de constater le recours à des personnels extérieurs afin d'exécuter le travail des grévistes", indique l'assignation. Hemera comparaîtra le 24 janvier prochain devant le tribunal de Nanterre. D'ici là, le préfet recevra les parties pour une tentative de médiation. Gageons que le combat est loin d'être fini.

Véronique Valentino