L’inversion de la hiérarchie des normes démocratiques

Le projet de loi d’habilitation a été voté dans la nuit de jeudi à vcndredi sans même qu'on sache exactement ce que contiendront les ordonnances auxquelles il ouvre la voie. Une inversion de la hiérarchie des normes démocratiques qui résume à elle seule la méthode Macron.

On vous l’a répété sur tous les tons : les ordonnances c’est légal, prévu par la constitution dans son article 38, bla bla et tout et tout. Certes, mais la comédie qui se joue au parlement est-elle vraiment démocratique ? C’est une autre question. Donc, on nous informe -c’est bien gentil quand même- que le projet de loi d’habilitation, qui va permettre au gouvernement de légiférer par ordonnances a été voté en fin de semaine l’assemblée, juste avant que Macron ne reçoive Trump lors du défilé du 14 juillet. Quel timing ! L'adoption de ce projet de loi par une assemblée nationale aux deux tiers macroniste, a été menée au pas de charge. Reste son examen par le Sénat qui ne devrait pas poser davantage de problèmes, la droite y étant majoritaire.  Or, elle est en faveur de cette loi travail XXL. Après l'adoption par le Sénat de la loi autorisant le gouvernement à légiférer par ordonnance, le texte des ordonnances sera transmis au Conseil d’Etat le 28 août au plus tard et leur adoption en Conseil des ministres sera effective le 20 septembre, selon le calendrier révélé par Mediapart. La loi de ratification des ordonnances sera votée dans la foulée, lors de la session parlementaire qui s’ouvrira à l’automne.

 

 

Le choc de confiance selon Macron

Personne n’a semble-t-il relevé l’anomalie qui veut -mais c’est le propre de ce processus qui n’a d’équivalent nulle part ailleurs- que le parlement se prononce sur une loi d’habilitation qui va rendre légales des ordonnances pondues par le gouvernement Philippe, sans qu’on connaisse le texte même de ces dernières. LCI pose la question qui fâche dans un article intitulé « Code du travail : l'assemblée autorise le gouvernement à légiférer par ordonnances, mais que contiennent-elles ? ».  L'article analyse en effet le contenu du projet de loi d'habilitation, mais celui des ordonnances n'est pas encore connu. Plus fort encore, comme le relevait Konbini, le gouvernement demande à légiférer lui-même sur un projet de loi présenté par… le gouvernement. Ce qui ressemble fort à une inversion des normes -démocratiques, celles-là. Une nécessité que notre Jupiter national justifie non seulement par la rapidité et l’efficacité, mais aussi par un argument plus curieux : la nécessité d’un « choc de confiance ». Bien sûr, la loi d’habilitation définit le champ que les ordonnances vont couvrir, mais les détails pourraient quand même révéler quelques surprises. Et cela sur des points importants et très concrets : travail de nuit, indemnisation des heures supplémentaires, durée du travail pour les mineurs et les apprentis, pour n’en citer que quelques-uns.

Car tel est notre bon plaisir

Pour comprendre le hold-up démocratique qui se joue cet été – « et toujours en été », pour citer Nino Ferrer-, il faut revenir sur ce qu’est une ordonnance : l’autorisation donnée par l’Assemblée au gouvernement de prendre lui-même, pour une période donnée, des mesures relevant normalement de la loi. Adoptées en Conseil des ministres, les ordonnances sont signées par le Président de la République et entrent en vigueur dès leur publication. Seules concessions au parlement, une loi d’habilitation, qui en définit le champ, puis une loi de ratification, qui leur donne force de loi. Les ordonnances sont en gros des super-décrets et elles existaient d’ailleurs sous les IIIe et IVe Républiques sous le nom de décrets-lois. Leur origine remonte à la monarchie de droit divin, ce qui ne doit pas déplaire à notre majesté jupitérienne. Jusqu’au XVIIe siècle, les ordonnances royales se distinguaient des édits royaux, non seulement par leur caractère général, mais aussi parce qu’elles pouvaient contenir plusieurs dispositions dans des matières différentes. Elles portaient le sceau royal et, depuis François Ier, la mention « car tel est notre bon plaisir ».

Une curieuse séparation des pouvoirs

Mais revenons-en à l’appellation décret-loi, qui avait pour avantage de mettre l’accent sur leur singularité : par ce processus, l’Assemblée nationale, organe législatif dont le rôle est précisément de voter la loi, se dessaisit de ses prérogatives, qui sont transférées à l’exécutif. Nous sommes donc en pleine confusion des pouvoirs législatifs et exécutifs. Rappelons quand même que la séparation des pouvoirs est à la base des démocraties modernes, au moins depuis Montesquieu, pour qui il convient que « le pouvoir arrête le pouvoir ». La déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui est notre norme suprême et figure dans le préambule de la Constitution, précise, dans son article 16, que « toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution ». La France connaît notoirement un régime totalement déséquilibré au profit de l’exécutif, qui se traduit par bien d’autres points que les ordonnances, même si celles-ci sont, par leur brutalité, une caricature de ce déséquilibre. Les ordonnances se différencient d’ailleurs des décrets sur un point décisif. Ceux-ci sont des mesures administratives et peuvent donc être attaqués devant le Conseil d’Etat, ce qui n’est pas possible pour une ordonnance qui a valeur législative et ne peut donc être modifiée que par la loi. Une fois entrées en vigueur et ratifiées, elles ne sont plus susceptibles de recours.

Des députés particulièrement zélés  

Bon, on ne va pas embêter nos tous nouveaux députés La République en marche -un nom pompeux qui a surtout l’avantage de coller aux initiales de sa majesté EM- avec ces détails superflus sur le bon usage de la démocratie et de la loi. Ils ont déjà assez à faire pour décrypter une pensée présidentielle si complexe qu’elle ne saurait donner lieu à la traditionnelle interview du 14 juillet, mais aussi à opiner du chef comme un seul homme lorsqu’on les sollicite à l’assemblée sur, excusez du peu, la réforme du Code du travail. Ils ont bien des qualités ces nouveaux élèves de la classe LREM : studieux, disciplinés et silencieux. Au point que l’humoriste Nicole Ferroni, rappelant au passage le montant de leur rémunération, se demande à partir de quel salaire ces députés zélés cessent de déléguer leur pouvoir législatif pour faire leur boulot.

Quatre amendements votés sur 232

Cela avait commencé en Commission des affaires sociales. Sur 232 amendements déposés, seuls quatre avaient été adoptés, dont trois sont hors sujet, puisqu’ils portent sur le report du prélèvement de l’impôt à la source. Quant au quatrième, il était l’oeuvre du rapporteur du texte, Laurent Pietraszewski, député LREM bien sûr. Selon le Parisien, « pendant dix heures d’examen et durant le passage en revue de plus de 160 amendements au texte, les représentants de La République en marche ont affiché un silence quasi religieux ». Au point que, lorsque le député insoumis Adrien Quatennens fait remarquer le 5 juillet à la présidente de la commission que le taux d’acceptation des amendements examinés est de 0%, celle-ci lui répond avec un sourire désarmant : « Bah évidemment, vous l’imaginez bien ». Donc nous sommes censés imaginer que ces parlementaires low cost ne sont pas là pour la ramener sur une réforme qui va concerner près de 18 millions de salariés du privé. Il faut dire que la DRH Muriel Pénicaud, qui présentait le projet de loi le 10 juillet dernier, dans un hémicycle à moitié vide -panne de réveil collective chez En marche sans doute- veille au grain.

A l’issue du casting, des députés "so godillots"

Des députés qui marchent au pas ? On comprend mieux la stratégie du nouveau président tout empressé de faire élire des personnalités novices à l’assemblée. On s’est régalé du casting pendant toute la durée des législatives : les nouveaux députés sont, comme le magazine féminin, jeunes et jolis. Des candidats à qui Macron, soucieux de ne pas se retrouver avec des frondeurs, avait imposé de signer son « contrat avec la nation ». Dans un discours du mois de janvier, il expliquait qu’« aucun candidat investi ne pourra exprimer de désaccord avec le cœur de notre projet ». Pourtant, la fiche de synthèse concernant le statut du député disponible sur le site de l’assemblée nationale, explique qu'un député bénéficie comme un sénateur d’un « statut protecteur », (..) « destiné à lui assurer l’indépendance et la liberté d’expression nécessaires à l’exercice de son mandat ». Mais en Macronie, ils ont un tout autre mode d’emploi. Et révèlent qui ils sont vraiment. Non pas des élus du peuple passionnés par la chose publique, la volonté de faire la loi et de contrôler l’action du gouvernement, mais des députés godillots, médiocres et disciplinés, à qui le titre et la rémunération semblent importer davantage que la fonction. Jusqu'à la caricature, avec Mireille Robert, cette députée LREM de l'Aude, qui raconte son dur quotidien de députée dans des vidéos qu'elle publie sur les réseaux sociaux : « Depuis que je suis députée et que je vais à l’Assemblée nationale, je suis allée à des cocktails et des cocktails et des cocktails, chez des ministres, des secrétaires d’État, dans de beaux endroits », s'esbaudit l'ex-institutrice. Elle est pas belle la vie ?

Un blitzkrieg qui ne dit pas son nom ?

Reste à conclure sur la méthode Macron. On avait poussé des hauts cris lorsque le candidat Fillon avait détaillé sa stratégie. Pourtant, la méthode qu’il décrivait ressemblait fort à celle de Macron : profiter de l’été pour faire passer en quelques mois les réformes les plus risquées, à coup d’ordonnances, de vote bloqué et de 49-3. Parmi ces réformes, le renvoi à la négociation d’entreprise sans contrainte, la réforme du Code du travail, celle de l’assurance chômage, de la formation professionnelle, de la fiscalité du capital et les « premières mesures d’économie sur le fonctionnement de l’Etat ». Soit l’ensemble des réformes également promises par Macron, à l’exception de l’abrogation des 35 heures et de la durée légale du travail. Pour avoir imprudemment parlé de blitzkrieg social lors de son grand oral devant le MEDEF, Fillon avait été accusé de préparer un coup d’état social. Macron n’a pas commis cette bêtise. Chez lui, l’apparence du dialogue social avec les syndicats a été respectée. Au point de piéger totalement ces derniers, qui se sont plaints de découvrir, lors de fuites dans la presse, des mesures qu’on ne leur avait jamais présentées. Le nouveau chef de l’Etat excelle dans l’art du storytelling et le discours est bien rôdé. Au point de confiner au novlangue orwellien. Le nom du projet de loi témoigne du sens de l'humour du nouveau gouvernement, puisqu'il s'appelle « projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures de renforcement du dialogue social ». Pas mal pour un projet qui vise notamment à réduire le rôle des syndicats dans ce même dialogue social...

Véronique Valentino

Mis à jour le 14 juillet 2017