Histoires de ceux qui n'existent pas 6. Par Agathe Nadimi

Le 12 juin 2017

Il y a les nouveaux, morts de fatigue rencontrés devant le demie qui doivent attendre l'heure pour prétendre à l'hôtel, les anciens qu'on connaît bien, les lettres de refus dans les mains, les angoisses, les yeux plein de larmes et de déception et puis nos petites solutions...F arrive à m'émouvoir quand il me dit "je peux te poser une question? Pourquoi vous êtes tellement gentille ? J'ai jamais connu personne d'autant gentille" 
Je lui réponds qu'on est pas trop gentille, que c'est normal, que si un jour nous devions être séparés de nos enfants, on serait content que des gentilles personnes les aident de l'autre côté de la terre. 
Sur la table un dessin avec le drapeau de la France écrit "Protection" au moment même où un nouveau arrivé ce matin éponge un refus comptoir au faciès... 
Un peu plus tard, je retrouve B. 16 ans, devant le palais de justice, pas de protection de la part du juge qui le laisse à la rue pour une durée indéterminée... 
PROTECTION ????

le 4 juin 2017

Il y a 3 jours, des personnes solidaires, qui ne sont rien d'autres que des personnes humaines, dévouées et bienveillantes ont découvert par hasard, dans un hôtel sordide de la collection FTDA mineurs isolés, via une colocataire de chambre priée de reprendre ses affaires et de s'en aller à la rue, 2 jeunes filles de 16 ans, très seules, très isolées et très enceintes...
L'une d'elle a dit être enceinte de 9 mois, avoir un rendez vous le lendemain matin à 11h à l'hôpital. 
Il nous a paru, à nous, personnes humaines et bienveillantes inconcevables de la laisser y aller seule. 
Des appels lancés pour trouver des relais et former une chaîne solidaire, et comme la chaîne des personnes humaines et bienveillantes existe, cela s'organise facilement. 
Une amie soutien ira chercher la jeune fille à l'hôtel, l'accompagnera à l'hôpital, passera toute la journée à ses côtés.
Le personnel bienveillant de l'hôpital, trouve plus sage de garder la future jeune maman pour des examens complémentaires car elle est faible à tous niveaux, manque terriblement de fer, doit voir une psychologue aussi. 
J'ai rencontré la sage femme adorable et bienveillante cet après-midi. 
Elle se retrouve donc seule pour la nuit à l'hôpital, les personnes humaines et bienveillantes que nous sommes l'appellent à plusieurs reprises.
Je recharge à distance son crédit de téléphone, elle sait qu'elle peut appeler en cas de besoin et qu'elle n'est pas seule. 
Le lendemain, une autre personne humaine et bienveillante ira chercher sa copine de chambre pour aller lui rendre visite et apporter des choses bonnes à manger. 
Elle passera une seconde nuit à l'hôpital, cela semble plus sage au personnel bienveillant et vue l'état de fragilité de la jeune future maman et puis, il y a un doute sur le terme et la taille du bébé. 
Ce midi, je l'ai appelé, elle m'a dit que sa sortie était prévue en fin d'après-midi. Elle angoissait un peu de retourner à l'hôtel pourri seule, alors, je n'ai pas hésité à sauter dans ma voiture pour aller à ses côtés à l'hôpital et la raccompagner à l'hôtel.
Quand je suis arrivée, elle se reposait, on s'est assises sur le lit et on a discuté. 
Je n'ai rien demandé, je lui ai juste demandé si ça allait. 
Elle m'a raconté les raisons de son départ, son périple, l'eau croupie qu'elle a bu pour ne pas mourir, elle m'a montré son dossier médical, l'échographie, les prochains rendez vous. 
Au bout d'une heure, j'ai été voir les blouses blanches dans le bureau. J'ai vu des jeunes femmes qui se questionnaient sur la situation de cette jeune future maman. La sage femme m'a dit avoir appelé l'hôtel pour prévenir de l'hospitalisation pour qu'elle ne perde pas sa place ... 
J'ai expliqué un peu la situation de cette mineure isolée, les conditions de vie aussi, le manque de fer expliqué par le seul kebab qu'elle mange le soir à l'hôtel. 
Elle a répondu " mais cela n'est pas possible... et elle sera où après l'hôtel ? Une sage femme bienveillante et humaine. 
Elle m'a glissé le numéro de l'assistante sociale, a rempli le dossier de sortie et m'a dit qu'elle allait venir avec moi pour lui expliquer que le terme n'était pas celui qu'elle pensait et qu'elle devrait revenir dans les prochains jours pour une nouvelle injection de fer. 
Dans le couloir pour rejoindre la chambre, elle m'a dit être dépitée et m'a remercié. 
Quand nous sommes arrivées dans la chambre, elle a pris le temps de tout lui expliquer avec soin. 
J'ai vu une expression de déception quand elle lui a annoncé que le terme était finalement dans 5 semaines... le papa est il finalement celui qu'elle espérait être ?... 
dans l'ascenseur, je lui ai dit "c'est bien ici tout le monde est gentil "
et nous avons pris la route vers l'hôtel à belleville. 
Dans la voiture, sa copine de chambre l'a appelé pour être sure qu'elle serait là ce soir.
Arrivée devant l'hôtel, j'ai hésité a rentrer avec elle. Et puis, je me suis dit que ça pouvait être bien de vérifier que quelqu'un se préoccupera d'elle, appellera le bon hôpital en cas d'urgence et être bien de glisser que ça serait bien aussi qu'elle puisse manger autre chose que le kebab du coin, qu'elle manque de fer.
Je la laisse passer devant moi. 
J'entends une voix féminine qui lui dit "ah tu es là.." on me voit, on me dit "qui êtes vous ?" Ce fameux "qui êtes vous..." qu'on me demande tout le temps... je ne reponds pas, en face de moi, une personne d'FTDA assise sur un canapé pourri. 
Je dis juste que j'ai été la chercher à l'hôpital pour la ramener. 
On me dit " votre nom pour que je le donne à ma cheffe, ça fait 2 nuits qu'elle ne dort pas ici, normalement on ne peut pas ne pas dormir là sans prévenir" je dis qu'elle avait un rendez vous avant hier à l'hôpital, que les médecins l'ont gardé et que la sage femme a appelé l'hôtel pour prévenir.
On me dit " qui êtes vous", je réponds que je ne suis personne, que je suis juste une personne qui l'a trouvé dans la rue et que j'ai préféré ne pas la savoir rentrer seule de l'hôpital". 
On me redemande "qui êtes vous ? Votre nom, pour que je dise à ma cheffe !" L'obsession du c'est qui celle la. 
Je n'ai pas envie de donner mon nom, je n'ai pas à donner mon nom. Elle insiste " elle aurait du prévenir FTDA" je dis, "ce rendez vous était prévu dans son suivi médical" au fond de moi je me dis que même si elle avait eu le numéro a appeler (ce qui n'est pas le cas) elle n'avait pas de crédit avant que je lui en donne pour pouvoir le faire et je me demande pourquoi cette personne qui me demande mon identité ne l'a pas appelé elle... ? Elle croit que j'ai embarqué la môme enceinte en weekend ou quoi ? ... 
Elle me regarde de haut depuis son canapé affaissé très agacée pour rien. Me redemande qui je suis... 
Je réponds à nouveau que je ne suis personne. Je ne parlerai de rien d'autre, c'est pas possible de parler, je suis face à une contrôleuse d'identité. 
Je pars. 
La personne censée se préoccuper de cette jeune fille enceinte n'a pas dû beaucoup lui parler, ne connait ni son numéro de téléphone, ni son suivi médical, mais constate qu'elle n'était pas là pendant 2 nuits et ne se soucie que de l'identité de celle qui vient la raccompagner de l'hôpital. 
Elle a du lui filer son kebab et rentrer chez elle. 
Je n'ai pas a donner mon identité. 
Je suis rien ni personne. 
De toute façon quand je réponds que je suis personne, ou fini par donner mon nom, on me trouve une identité, un coup je bosse pour la mairie de paris, un coup pour FTDA... 
Sans aucun doute, je préfère ne plus répondre à cette question et être personne. 
En remontant dans ma voiture, le bracelet d'hôpital côté passager. 
Demain, elle viendra chercher a deux pas de l'hôtel de la crème pour hydrater la peau de son corps desséché et des choses bonnes à manger offertes de bon coeur par celles qui ont pour identité humanité et bienveillance.

Agathe Nadimi

Enseignante et mère d’un adolescent de 14 ans, Agathe Nadimi a été touchée par l’histoire des migrants qui vivaient dans un camp de fortune à la station de métro Stalingrad à Paris, en 2016. Citoyenne solidaire, elle leur vient en aide depuis plus d’un an. Histoires de ceux qui n'existent pas, ou le non accueil des mineurs venus d'ailleurs, sa chronique dans L'Autre Quotidien, raconte cet engagement.