Affaire Curtis : cinq jeunes condamnés à de la prison ferme en comparution immédiate

Vendredi dernier le tribunal de grande instance d’Evry jugeait cinq jeunes de Massy (Essonne) en comparution immédiate. Ils étaient accusés d’avoir caillassé des policiers après l’accident qui a coûté la vie à Curtis, 17 ans, décédé d’un accident de quad, après une course-poursuite avec des policiers.

De la prison ferme. C’est le verdict du tribunal de grande instance d’Evry, qui jugeait, vendredi dernier, cinq jeunes habitants de Massy (Essonne) en comparution immédiate. Agés de 18 à 20 ans, ils sont accusés d’avoir lancé des pierres en direction des policiers, sans les atteindre, aucun policier ne s’étant vu signifier le moindre jour d’ITT (interdiction temporaire de travail). Des incidents qui se sont produits lors de la nuit du 22 au 23 mai, à la suite de la mort de Curtis, jeune lycéen âgé de 17 ans, décédé le 5 mai au volant d’un quad dans des circonstances encore non élucidées. G. écope de 8 mois de prison, S. de six mois et les trois autres de quatre mois. Des peines qui vont au-delà des réquisitions du parquet qui avait demandé des peines de six, quatre et trois mois. Le tribunal n’a pas requis de mandat de dépôt. Ils devraient donc être convoqués chez le juge d’application des peines qui pourra éventuellement proposer des alternatives à l’incarcération : bracelet électronique ou semi-liberté. La non-inscription au casier judiciaire B2 est rejetée par le tribunal qui les condamne également à verser 400 € à chaque policier au titre du préjudice moral. Des peines disproportionnées par rapport à la faiblesse du dossier de l’accusation, selon les avocats des prévenus, pour qui les faits retenus méritaient la relaxe pure et simple.

Une construction policière

Pour Me Raphaël Kempf, l’avocat de S., 19 ans, le dossier est une « construction policière » en vue de cibler des jeunes désignés comme « leaders de la contestation sur la commune de Massy » par les policiers. Quant à Me Antoine Lebon, avocat de permanence au barreau d’Evry, qui défendait trois des jeunes accusés, il explique avoir très logiquement plaidé la relaxe, au vu des « éléments purement factuels du dossiers qui ne justifiaient en aucun cas une condamnation ». De fait, le dossier est bien mince. Depuis la mort de Curtis, des incidents sporadiques ont éclaté avec la police. Dès la nuit de sa mort, mais aussi les soirs qui ont suivi, les jeunes contestant la version policière du drame. Dans la nuit du 22 au 23 mai, quelques échauffourées sans gravité auraient opposé une quinzaine de jeunes, visage dissimulé, et des policiers. Or, seuls les cinq jeunes Massicois présents dans le box seront déférés devant le tribunal. Où sont les dix autres, s’époumone Me Lebon ? Les accusés auraient été filmés, mais les caméras de vidéo-surveillance n’ont enregistré aucun jet de pierres.

Incohérences et contradictions

Sur les trois policiers qui sont cités en tant que parties civiles, un n’a rien vu et un autre a répondu non à la question de savoir si les jeunes prévenus avaient lancé des pierres. Le seul à accuser les cinq jeunes déférés pour ces jets de pierre ces jets de pierre -jets de pierre qui n’ont fait aucune victime- est celui qui a fait usage entre dix et quinze fois de son flashball pendant la soirée. A-t-il paniqué, comme le suggère un avocat ? Toute l’accusation repose sur son témoignage. Un témoignage qui comporte de nombreuses incohérences et contradictions. Lorsque le policier porte plainte, le soir-même, il désigne nommément les cinq jeunes, mais est en revanche incapable de donner une description précise de leur tenue vestimentaire ce soir-là. Ce n’est qu’après l’interpellation des cinq jeunes gens et leur placement en garde à vue, qu’il pourra enfin décrire… les vêtements saisis aux domiciles des accusés. S. est décrit portant une casquette siglée New York, alors les images de vidéo de surveillance le montrent tête nue. L’un des cinq condamnés avait par ailleurs un alibi parfaitement vérifiable : au moment des faits, il était avec des amis à la pizzeria Casa di Roma. G., dont l’une des jambes est plâtré, est lui accusé d’avoir sauté dans un buisson depuis le fauteuil roulant dans lequel il circulait, pour lancer des pierres.

Des interpellations choc

Un exploit acrobatique qui ne fera même pas tiquer la présidente du tribunal. Qui ne prend pas en compte l’absence de casier des jeunes accusés, tous amis proches de Curtis. Un seul, S., a été incarcéré, et à tort, en préventive à Fleury-Mérogis. Il a ensuite été relaxé. « Comment voulez-vous construire un rapport de confiance avec l’autorité après ça », déplore son avocat Me Kempf. Le même S. a été tabassé lors de son interpellation sous les yeux de sa mère et de sa petite sœur de 10 ans, que les policiers ont forcées à regarder la scène. Sur ces « interpellations choc », effectuées à 6h du matin à coup de bélier pour défoncer la porte, Me Kempf dénonce la mise en œuvre de moyens disproportionnés. « C’est très révélateur de la façon dont la police se comporte vis-à-vis des jeunes des cités », déplore l’avocat, qui rappelle que dans le cas de justiciables des beaux quartiers, la police se contente de remettre une convocation.

Une dynamique de vie

Dans son jugement, la Cour n’a pas non plus tenu compte du profil de ces jeunes, tous « inscrits dans une dynamique de vie », comme l’a souligné Me Lebon. L. a travaillé plusieurs mois à la FNAC, comme ses parents. H. prépare son bac et travaille parallèlement. Un autre travaille en intérim, un autre comme préparateur de commandes, le dernier est livreur chez Deliveroo. Mais ces profils particulièrement méritants n’ont pas amadoué la présidente du tribunal. Pas plus que les nombreuses contradictions du policier accusateur, qui a modifié trois fois son témoignage. Des contradictions qui rendraient justement crédible sa version des faits, selon l’avocate des parties civiles. Pourtant, dès le début du procès, la présidente du tribunal avait annoncé la couleur, indiquant à plusieurs reprises qu’elle ferait évacuer la salle en cas d’incident. Ce qu’elle n’hésitera pas à faire au moment de la plaidoirie des avocats de la défense, alors même que la salle était parfaitement calme. Une décision regrettée par les avocats de la défense, qui ont rappelé « la dimension pédagogique » de ce type de procès, alors que de nombreux jeunes avaient fait le déplacement. Me Kempf regrette en outre que les familles de ces jeunes n’aient pu être présentes « pour prendre connaissance de la défense de leur fils et frère ». Autre coup bas, la présidente a fait une lecture à charge de la lettre, pourtant émouvante, de la mère de Curtis, adressée à S. A celui qu’elle désigne comme un « frère » de son fils, elle rappelait qu’il était toujours le bienvenu chez elle et s’inquiétait de le voir « faire des bêtises » après cette mort tragique.

Des condamnations pour l’exemple ?

Comment ne pas comprendre en effet le traumatisme ressenti par S., ami très proche du jeune Curtis ? C’est pourtant le préjudice des seuls policiers qui sera mis en avant, alors que ces derniers n’étaient pas présents à la barre. Absence regrettée par la défense qui aurait aimé saisir cette occasion pour faire émerger les contradictions évidentes dans les dépositions successives des policiers. Me Kempf évoquera d’ailleurs une « punition collective ». De fait, l’attitude de la présidente du tribunal, mentionnant un cocktail molotov lancé lors d’une nuit précédente, celle qui a suivi la mort de Curtis ou l’allusion de l’avocate des policiers évoquant les événements de Viry Châtillon (un policier grièvement blessé dans son véhicule) n’ont pu que semer la confusion. De là à penser que les condamnations prononcées, très sévères compte tenu des faits, l’ont été pour l’exemple, il n’y a pas loin. Les juges ont ainsi condamné lourdement G., accusé d’avoir en plus des jets de pierre, proféré des menaces de mort, qu’il nie. Pour cette accusation, les juges l’ont relaxé, la date retenue n’étant pas la bonne, expliquant paradoxalement qu’ils n’ont pas trouvé d’autre infraction de ce type. Ce qui ne les a pas empêchés de le condamner à huit mois de prison. A la sortie du tribunal, il se murmurait que le jugement était « purement politique ».

Véronique Valentino le 30 mai 2017