Affaire Théo : quand l'impunité encourage les violences policières, par Véronique Valentino

Jeudi dernier, quatre policiers ont violenté Théo Luhaka, un jeune homme de 22 ans, lors d’un contrôle d’identité à Aulnay-sous-Bois. Celui-ci, violé à l’aide d’une matraque, a subi des violences d’une extrême gravité. Des actes de torture et de barbarie rendus possibles par la violence des contrôles au faciès et l’impunité qui protège les policiers.

Depuis son lit d’hôpital, Théo Luhaka, qui a reçu la visite hier du président de la république, a lancé un appel au calme. « Stop à la guerre » a-t-il lancé, « j’ai confiance en la justice et justice sera faite ». Malgré cet appel au calme du jeune homme et de ses sœurs, les incidents entre jeunes et police se sont étendus, la nuit dernière, à plusieurs communes de la Seine Saint-Denis. A paris, dans le quartier de Ménilmontant, une manifestation contre les violences policières s’est terminée par des affrontements avec la police, alors que les jeunes criaient leur dégoût vis-à-vis des « policiers violeurs » et reprenaient en chœur « tout le monde déteste la police ».

La cité des 3000 a pour sa part vécu une quatrième nuit d’émeutes, alors que la nuit précédente, les policiers avaient tiré à balles réelles, selon Taranis news, qui publiait hier des photos de douilles ramassées par les jeunes sur place. Des tirs « de sommation » confirmés par des policiers. La cité de la Rose aux vents a connu cette nuit-là un véritable siège. L’éclairage avait été coupé, la cité plongée dans le noir, tandis que de gros moyens policiers étaient déployés, dont un hélicoptère et plusieurs compagnies de CRS.

Des tortionnaires en uniforme

Hier, BFM TV a publié un témoignage du jeune homme, filmé par l’un de ses avocats, dans lequel le jeune homme de 22 ans explique que l’un des quatre policiers qui l’ont interpellé, lui a « volontairement » « enfoncé sa matraque dans les fesses ». Le jeune homme, qui venait d’intégrer l’institut de football privé, un institut de formation qui recrute de jeunes footballeurs pour leur « offrir le cadre idéal pour le perfectionnement des joueurs de talent », n’était pas connu des services de police, mais au contraire très investi dans sa ville. Il s’est vu prescrire 60 jours d’ITT (interruption temporaire de travail) et a dû être opéré en urgence, suite à une rupture sphinctérienne et une blessure anale d’une dizaine de centimètre de profondeur. Sa famille, très inquiète, ne sait pas encore « quelles séquelles il va avoir », expliquait sa sœur, toujours sur BFM TV, précisant qu’il est « dans un état assez critique »

Un parquet complaisant

A l’origine des faits, quatre policiers d’une brigade spécialisée de terrain, formation policière musclée mise en place en 2010 par Brice Hortefeux, alors ministre de l’Intérieur de Nicolas Sarkozy, pour en finir avec la police de proximité. Celui-ci avait prévenu : « ce ne seront pas des policiers d’ambiance ou des éducateurs sociaux », ni des « grands frères inopérants en chemisette qui font partie du paysage ». Le parquet de Bobigny, plutôt complaisant vis-à-vis de la version policière des faits, avait d’abord tenté, dans un communiqué publié dimanche soir, de requalifier les faits en violences volontaires par personnes dépositaires de l’autorité publique avec arme, s’attirant jusqu’aux foudres du maire républicain d’Aulnay, lui-même ex-policier, qui parlait de « détournement de vérité ».

 

Mais le juge saisi du dossier a annoncé qu’il poursuivait l’auteur du coup de matraque pour viol, ses trois autres collègues étant mis en examen pour violences volontaires en réunion. Une incrimination somme toute légère pour des faits qui auraient pu sans doute relever de l’article 222-1 du Code pénal, qui réprime les « actes de torture et de barbarie », punis de quinze ans de réclusion criminelle. Le syndicat politique Alliance, classé très à droite, a bien entendu annoncé son soutien aux quatre policiers, dénonçant un « déferlement médiatique ». Sans craindre le ridicule, son secrétaire général adjoint, Frédéric Lagache, défend le caractère involontaire du viol.

 

Des commentaires policiers nauséabonds sur Facebook

La défense du policier accusé de viol n’hésite pas à parler d’un contrôle qui a dégénéré et accuse Théo Luhaka d’avoir asséné un coup de poing au policier qui n’aurait pas eu d’autre choix que de frapper la victime, sans expliquer comment la matraque a bien pu se retrouver dans l’anus du jeune homme. Mais la palme de l’ignominie revient à la page Facebook « Les amis du blog Police et réalités », forum policier gangréné par l’extrême droite, qui publiait lundi une photo de matraque télescopique -reprise comme photo de couverture de la page-, surtitrée « Ceci est un thermomètre nouvelle génération. Toute ressemblance avec… blablabla… serait purement fortuite ». Celle-ci a hier matin disparu du site, tout comme les commentaires nauséabonds qui suivaient, dont l’un au moins a été postée par une fonctionnaire de police, selon les infos de son profil sur Copains d’avant.

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Des policiers protégés par tous les pouvoirs politiques

Ce post Facebook rappelle à quel point il y a, en France, un problème concernant les forces de l’ordre, quand plus de 51% des policiers et militaires affirment avoir voté pour le FN, aux régionales en 2015, selon une étude du CEVIPOF, le centre de recherche politique de Sciences-Po. Un chiffre qui grimpe à 57% pour les seuls policiers . On se souvient aussi d’une enquête ethnographie menée par le Didier Fassin, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales et professeur à Princeton, aux Etats-Unis.  Dans « la force de l’ordre : une anthropologie de la police des quartiers », paru au Seuil, en 2011, il montrait déjà à quel point les BAC (brigades anti-criminalité) qu’il a suivies de 2005 à 2007, était gangrénée par le racisme, la violence et l’idéologie du FN.

Il faut également souligner que les gouvernements qui se sont succédés ont toujours accordé au ministre de l‘Intérieur une place privilégiée, une nomination Place Beauveau constituant presque un passage obligé pour accéder à de plus hautes fonctions. On se souviendra aussi de la fébrilité du pouvoir socialiste vis-à-vis de policiers qui n’ont pas hésité à défiler dans les rues, cagoulés, avec insignes, brassards et véhicules de travail pour demander une réforme de la légitime défense. Ce que Amal Bentounsi, dont le frère Amine a été tué par un policier d’une balle dans le dos, dénonce comme volonté d’instaurer un « permis de tuer ». Le collectif « Urgence notre police assassine », dont elle est responsable, publie une longue liste de victimes tuées par la police entre 2005 et 2015.

 

Des violences policières banalisées

Amal Bentounsi, photo La Meute

Amal Bentounsi, photo La Meute

Amal Bentounsi explique que ce qui est arrivé à Théo, jeune homme unanimement respecté et apprécié à la cité de la Rose des vents, n’est malheureusement pas exceptionnel. « Il y a une continuité qui va des insultes racistes au meurtre, en passant par l’humiliation systématique et les coups ». La responsable du collectif parle de « pratiques régulières », d’une « violence habituelle vis-à-vis des jeunes noirs et arabes des banlieues » et d’une « banalisation d’une violence policière institutionnelle par les pouvoirs publics, mais aussi par les bourreaux et par leurs victimes ». Elle raconte un échange avec des jeunes de Aulnay il y a quelques jours, lors duquel elle a dû rappeler qu’il n’était pas normal de se prendre une gifle lors d’un contrôle d’identité. « Oui, mais qu’est-ce qu’on fait ? », lui ont répondu les jeunes, avant de conclure que « de toute façon, les policiers ne sont jamais condamnés ».

Atteinte à l’intimité et à la virilité

Pire, selon Aïda, du collectif « Stop le contrôle au faciès », les violences sexuelles sur les jeunes des quartiers seraient habituelles, notamment les palpations génitales lors des contrôles d’identité ou encore les garde à vue, lors desquelles les jeunes sont souvent déshabillés et laissés nus, parfois pendant des heures. Ça participe d’un abattage social », explique la jeune femme, qui dénonce une stratégie visant à « s’en prendre à l’intimité et à la virilité des jeunes hommes des quartiers populaires », sachant que « la pire des étiquettes pour eux, c’est celle de victime ». Le collectif réclame la mise en place d’un récépissé qui serait remis aux personnes contrôlées par les policiers et permettrait d’éviter que certains jeunes ne soient victimes de contrôles, parfois plusieurs fois dans la même journée. Le collectif « Stop le contrôle au faciès » entend promouvoir cette mesure élaborée par des associations avec des syndicats policiers, qui permettrait aussi aux policiers d’être « protégés de leur propre subjectivité ».

Le récépissé enterré

Bien que François Hollande ait inclus le récépissé en cas de contrôle d’identité dans son programme électoral, celui-ci a rapidement été enterré par Manuel Valls, lorsqu’il était ministre de l’Intérieur, puis par l’assemblée générale qui a repoussé un amendement déposé lors du vote de la loi Egalité et citoyenneté, qui devait permettre de l’expérimenter. Et dernièrement, c’est Razzy Hammadi, qui portait l’amendement en question, qui a déclaré forfait face à Bernard Cazeneuve, après avoir, dans les faits, usé de manœuvres dilatoires pour mieux mettre en échec cette mesure. A la place, Marseille expérimente la caméra-piéton. Une mesure alternative que réfute « Stop le contrôle au faciès » parce qu’elle repose sur la bonne volonté du policier, qui doit déclencher la caméra en cas de contrôle. « Les policiers pourront dire qu’ils ont oublié dans le feu de l’action ou qu’ils n’ont pas eu le temps », explique Aïda, qui, dégoûtée par les revirements du PS, explique que son association compte plutôt sur le droit que sur les politiques pour faire avancer la question. En novembre 2016, la Cour de cassation, saisie suite à des contrôles d’identité jugés discriminatoires, a condamné l’Etat.

Aucun chiffre fiable concernant le nombre de contrôles d’identité

Mais les actions en justice restent rares, notamment parce que lorsque le contrôle n’est pas suivi d’une procédure judiciaire ou d’une garde à vue, il n’en existe aucune trace. Impossible donc de chiffrer cette réalité qui empoisonne la vie quotidienne de centaines de milliers de jeunes. Selon un sondage Opinion Way, 10% de la population française, âgée de 18 ans ou plus déclarent avoir été contrôlés au cours des douze derniers moins, soit plus de 5,3 millions de personnes. Et la proportion est encore plus importante chez les jeunes garçons mineurs. C’est donc un phénomène massif, pour lequel le collectif « Stop le contrôle au faciès » est en train de monter un observatoire, afin qu’on dispose enfin de chiffres fiables, tout en expliquant que « c’est à l’Etat », et non aux acteurs associatifs, « de se saisir du problème ».

Véronique Valentino pour L'Autre Quotidien

Publié le 8 février 2017