Angelo de Sousa : le maximum de présence avec le minimum de cris

Angelo de Sousa a bénéficié de nombreuses expositions internationales européennes, durant sa vie artistique et post mortem. Encore inconnu ici, la Fondation Gulbenkian lui ouvre ses portes pour une reconnaissance aussi tardive que méritée. Et ça flashe, toutes couleurs dehors pour un artiste polymorphe. Explications.

Le titre poétique "la couleur et le grain noir des choses" suggère une tension, un antagonisme entre des pôles inverses. C'est toute la subtilité de la démarche de cet artiste qui oscille entre la rigueur sérielle et le hasard de l'imprévu, l'éclat des couleurs et la négation du noir et blanc, le trivial du sublime, la perspective formelle et la quête de la matière, le traitement géométrique et l'intuition permanente. Autant d'opposés qu'il conjugue avec brio au nom de ces épiphanies fugitives qu'il traque dans la lignée d'un Joyce qui l'inspire. 
Ângelo de Sousa (1938-2011) a exposé à partir de 1959. Son œuvre est diverse et prolifique : peinture, sculpture, installation, photographie, vidéo, gravure et dessin sont ses médiums. Le parcours revient ici sur l'œuvre peinte, ainsi que sur les photographies de l'artiste, Ces quarante dernières années de sa production rendent compte de sa création à porter une grande attention au formel sans jamais s'avérer formaliste. 

Le parcours s'ouvre sur les "Diapositives de chevalet" (1977-79) d'infimes variations autour de 3 couleurs primaires et autant de combinaisons optiques possibles dans un prisme à la fois phénoménologique et sériel. Un côté James Turrell avant l'heure. Puis arrivent les toiles abstraites (ou non) aux innombrables coloris relevant de détails environnants proches de cadrages photographiques (sol, portes,escaliers..).
Sa fascination pour la main apparaît ensuite à partir des séries photographiques de sa main gauche en 1975, agrandies par la suite. Un procédé très novateur à l'époque qui insiste sur la valeur tactile et organique de cet organe indispensable aux artistes. La main qui touche, la main qui appréhende, la main qui manipule : tout un processus et savoir-faire que l'on retrouve dans les petites sculptures et maquettes (il en existe aussi de très grandes conçues pour l'espace urbain) faites de rebut (papier, plastique, feuille d'aluminium, pots de yaourt qui deviendront oreilles) découpées et pliées, parfois peintes. Tout un répertoire de formes brut et dynamique qui nait du dessin.

S'ouvre ensuite la période de la photographie et du film expérimental. Avec des poussières, des cheveux, des toiles d'araignée ou des lignes de fuite, des tracés de sol, des vues plongeantes; toutpour enregistrer l'ordinaire en noir et blanc ou en couleur, l'artiste déjouant nos réflexes culturels : la couleur étant habituellement perçue comme synonyme de gaieté alors qu'il l'utilise pour des choses triviales et sans emphase (animaux morts).
Cette pratique intense et compulsive de la photographie dans les années 1960 devient une quête de l'épiphanie, son" instant décisif". Un exercice qu'il pratique de la fenêtre de sa rue à Porto ou en flânant. Des milliers de photographies qu'il va nommer les "umanistes", sans h volontairement, leur donnant une résonance sociale, contrairement aux "abstraites".
Cette source de possibilités sans fin et totalement instinctive, voir intimiste ou autobiographique (les mouchoirs) rejoint les préoccupations plus expérimentales et formelles des artistes de l'époque qui se tournent vers le film.
Alors qu'il est question de dématérialisation, des mécanismes du langage dans un contexte de rupture moderniste, chez Ângelo de Sousa il s'agit de laisser advenir le sensible, l'impermanent, la mutabilité constante des formes et des choses. Comme une pensée en mouvement, libérée de tout carcan académique et ouverte à la surprise, à la rencontre, au surgissement.

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Un univers à la portée de qui s'en saisit, d'où son titre : Catalogue de formes à la portée de tout un chacun. Ce qui ressemble à une devise "le maximum de présence avec le minimum de cris" résume l'attitude de cet artiste inclassable et surdoué qu'il parait essentiel de (re)découvrir.
La perspective ici adoptée est de montrer la simultanéité des pratiques et de leurs enjeux qui oscillent entre l’intensité de la couleur et une certaine noirceur, l’éclat et la matité des choses en un traitement plastique égalitaire des sujets et des formes.

Friedrich Angel

Ângelo de Sousa, La couleur et le grain noir des choses -> 16 avril 2017
Fondation Gulbenkian -  39 Bd de La Tour Maubourg 75007 Paris
Entrée libre.
+ catalogue éponyme, éditions de la Fondation Gulbenkian