2/2 Fontaine, fontaine, j'ai adoré boire à ton eau

La cassette remise à zéro, tu réapparais entre éveil et somnolence. Il faut alors, malgré tes dires, encore t’apprivoiser. Tu te bouscules entre plusieurs univers : une part de toi voudrait rester dans le coton, quand tu sais bien qu’une autre te veux éveillée, disponible à ta fille, ton travail et…  Je reviens doucement, me pose à portée pour que tu finisses par me laisser approcher et que soudainement tu me veuilles violemment. Répit, dépit … crépi ?

Quelquefois, l’occasion d’une exposition nous met radicalement en phase. Le travail au noir de Soulages (quel nom ce peintre !) qui finit par retrouver la couleur sur quelques toiles après avoir exprimé ce qu’il était possible de penser et de peindre entre couleur et absence. Là, cet élan simultané, ce baiser abyssal dans l’ascenseur en sortant de Beaubourg pour vite s’aimer de s’être enfin compris. Par ici l'éternité qui glisse : vive le cirque avec ses clowns, ses jongleurs de sensation, se cris mutants et ses gestes mouillés jusqu'à l'os. De la souplesse  de ton con aux froissements de ton cul; une même explosion qui se répète en double et en duo …  Jusqu’au nectar qui coule du vison entre tes cuisses. Soif inextinguible. J’en ai pleuré de bonheur et d’abandon and then it’s alright !

Plus tard, cette peinture de ta forêt zébrée qui n’en finit plus de se chercher à clignoter en noir et blanc pour y inclure la figure ou la couleur, les personnages ou leur absence…  Et Féfé qui colle des personnages dessinés sur ta toile pour ne pas que tu restes seule dessus. L'as-tu vue ?  Une peinture "asymptomatique" comme l’expression d’une terreur enfuie, lors d’un coma dans une autre forêt, quand tu as voulu dépasser quelque chose, contre toi et ton ressenti, qui t’as fait chuter et perdre l’homme que tu aimais/qui t'aimais alors, jusqu’à le haïr de ne pas…  quoi au juste ? Est-ce du domaine de l’indicible de toujours deviner ton feeling pour te côtoyer sans te meurtrir ou ton simple refus de changer pour vivre au présent de ce qui te consommes quand tu veux être consumée ? Et en face de ce mutisme, se tenir coi - mais pourquoi ?

Alors je propose, For all tomorrow’s parties … A ce moment-ci,  je suis un paysan enraciné, un possible à ton quotidien, un amoureux qui sait évoluer au milieu des tempêtes, sans plus trop les subir. Par décision. Ta méga empathie qui n’a jamais voulu discerner l’intérieur de l’extérieur s’emboîte à la mienne. Partouze dans l’azimut et sensations partagées, pressenties pour nous respecter quand tu te sens raccord et détester quand tu t’évites… De l’impossibilité de me dire ton amour, il résulte des circonvolutions langagières à décoder pour ne jamais se méprendre : tes peut-être en aveux déguisés, tes «baise-moi » en mots d’amour qui se refusent pour ne pas en donner la charge et tes «au revoir», tes promesses de retour. Là encore, là pourtant, là vraiment comme quand tu chantes tes refus avec Edward Lear, je voudrais que ta voix sorte, que tu ne te contentes pas d’appuyer juste le texte choisi par un mec qui t’adore et n’a jamais osé te le dire. Ou quand tu joues de la basse sur scène les épaules en avant, le corps rentré, appliquée à ne pas t’ouvrir, rester en arrière… Oses-toi !

Nu zébré- Lucien Clergue 

Nu zébré- Lucien Clergue 

J’étais, je suis, je serais comme un étranger pour toi. Tu me sentais proche sans comprendre, et ça t'emmerdait tous ces trucs et tu les reléguais à l’ordre du désir, très grand. Si seulement ! Alors, tu m’éloignais par peur de te dissocier de tes proches, ceux qui te supportaient immobile par habitude, enjouée par devoir, belle sans le savoir et malade de le sentir… Souvent l’étonnement dans tes yeux, soudain l’absence et des retours par ton corps, en frissonnant, quand tu te reprends en cessant de te laisser filer pour t’accorder d’être là, sans être au diapason de ta bande. Ces moments de balance, je les ai saisi au vol en me disant que notre approche douce, notre mouvement commun, te laissait toujours le choix de réfuter mes propositions.

Dans tes modes de communication, attentif, j’ai entendu dans tes bouleversements ces hésitations, ces incertitudes de l’instant. Quelquefois nous avons fui pour exister (un peu ?) ensemble. Un concert au loin, pour se donner le temps, mais avant d’y parvenir à ce lieu, il fallait oublier les juste avant. Ces parties de toi qui venaient d’exploser avec un autre de ne pas avoir su lui dire le bon mode de ton absence. Belle, tu jouais en contre, et il fallait commencer par l’annuler cette colère, mettre en suspend ce qui s’offrait d’entrée, comme si le travail préparatoire était un autre moyen de te ressaisir, de m’offrir une place dans tes absences, du vendredi soir au dimanche après-midi. Puis, retour au tombeau.

Couturé de cicatrices comme j’étais, j’avais décidé de sortir de mon champs de mines pour jouer avec toi, quitte à dévider des barbelés, à les ébarber à mains nues. J’étais aussi tombé en arrêt devant une peinture de toi, vieille de 15 ans. Un taureau seul dans une arène. Mais virevoltant. Sauvagerie majestueuse d’un moment, renvoi à la beauté que le lieu d’exposition ne minimisait pas. Cette femme qui avait envisagé cela, qui mettait contre le rouge sablé de l’arène, le noir de l’explosion me racontait mon histoire. J’adorais. La retrouver à 15 ans d’intervalle, engueulant l’organisateur de la rencontre pour lui avoir donné de mauvaises indications de lieu, me faisait me marrer à l’intérieur. Je retrouvais la colère explosive, puis dans l’apaisement, une femme qui s’ouvrait à ses potes rassemblés là. La famiglia, la tribu et moi… 

Plus tard, il s’agirait de boire un café, de faire d’entrée des galipettes parce que trop de temps s’était écoulé. Drôle de branchement, mais galipettes  galactiques qui ouvrent une brèche dans la solitude et posent le quotidien sur le mode vibratoire essentiel ; le retour dans la vraie vie par conjonction, par rien d’autre que l’instant plein. 

De cet endroit, j'avais fait un terrain d'envol, un lieu à propager, un cadre pour évoluer. L’adaptant à mon vécu, je me vivais sans attente, relié à celle qui le sentait et le faisait sentir. Nous étions voisins, à défaut d'être vraiment proche. Le moindre prétexte était là pour quelques furtivités festives. Nos vies séparées continuaient, en corridors sanitaires mais finissaient par se mixer : fête par là, dîner par ci et moments d’intensité inconnus de cette découverte. Enluminures de nos corps brillants, mots qui se retrouvent dans la bouche de l’autre. Et puis, séparation du sommeil dans l'ailleurs. Impossible de dormir côté à côte… « I could be the loneliest man in Town » (Beau Brummels). Un truc datant de son enfance, disait-elle. Bordel, je ne voyais pas ça insurmontable… Les moments forts ne se noyaient pas dans les courants faibles, à part du côté des ex qui n’y voyaient goutte. Tant de douceur, c’est louche : « Ne serait-ce pas là marque flagrante de manipulation ? Avec l’état dans lequel il te mets, tu ne peux même pas crier, tu ne peux que repousser, faire attendre. Regarde s’il n’explose pas à la longue… Il veut t’embrouiller, c’est pas possible autrement. »

Moi, mutin j’explorais les correspondances, j'affichais de manière détournée mon bonheur, ces moments pris sur le désarroi extérieur. La moindre interview était l’occasion de les célébrer. Avec Black Rebel Motorcycle Club, ça démarrait furieusement par «  Ce que je trouve bien avec Beat the Devil‘s Tatoo, c’est qu’il est déjà responsable de nombreux orgasmes, surtout Shadow’s Keeper avec ces trucs tout en résonances sur fond de batterie minimale cloutée (You feel the fire burning sweet within your skin,You're holding on to all the branches crashing in It's pulling you in, But you feel the light shine so bright But you feel the light shine so Bright, What is the purpose if you feel so incomplete? What is the reason if it beats you to your knees? What do you keep?). Pour l'au-delà de la sensation, prenez un ticket… A quel degré vivre cela ? C’était toi l’Anglaise Emmour et je suçais ton sein, en léchant ton tatouage de Felix le chat. Transportés que nous étions, je n’écoutais pas les paroles. Aurais-je du quand tu te vivais sur ces mots, et que je n’entendais que ce qui se vivait en simultané dans nos ébats furigracieux, tangentiels et somptueux. Orgasme de tempête, pour partir juste avant la sortie de l’école de ta fille. A bientôt, salut, salut…

Plus tard, je suis tombé tombé raide en écoutant Tighten Up des Black Keys (I wanted love, I needed love Most of all, most of all Someone said true love was dead And I'm bound to fall, bound to fall for you. Oh, what can I do? Yeah ). Là, tu étais déjà dans la maladie, dans l’éloignement. A ta mesure, un seul bon jour, cinq de solitude.

Tout dans cette passion disait demain, encore, peut-être ?  Réunis, nous étions beaux, solaires, plein de nos différences dans cette complétude insensée, inavouée par toi et dite goutte à goutte à découvert, par tous les pores de nos peaux. De loin en loin, ton boulot t’emportait aussi dans le pays que tu chérissais le plus, l’Inde. Tu revenais, offrais des cadeaux et nos moments revenaient diffus. Ma parole te caressait pour que ta présence grandisse, que ton temps corresponde au mien, mais la clarté de mon discours cognait contre tes fantômes, tu pleurais souvent de ne pouvoir t’exprimer, en pleine contradiction, limite autiste. Tu essayais de faire sortir une quelconque violence que je désarçonnais tout de go. « Si j’ose te dire ce que je te veux, alors je ne vais pas m’en sortir ». Donc. «Tu sais, je crois que j’ai besoin de temps, je ne m’y retrouve plus. Je ne suis plus du tout sûr de vouloir ce que tu attends de moi. Le serais-je jamais d’ailleurs ? »

Un dimanche soir que tu me congédiais à l’heure des devoirs de la fée, ta fille me prenait par la manche en te demandant pourquoi tu ne voulais pas que je reste, tu semblais si heureuse les jours où je venais…  Tu as finalement trouvé une forme à ta révolte supposée contre moi…  En suis-je la cible ? , le jour où je t‘ai lancé comme boutade : « Tu m’as vécu ouvre-boîte, je ne t’ai jamais senti conserve. » Jamais je n’avais trouvé des mots si près, au rasoir de mon ressenti. Tu étais la panthère servie en tasse, comme un cri perdu dans la rue. Un cri que j’ai entendu et qui s’est éteint de ne pas s’écouter.

Jean-Pierre Simard le 14/12/2011