Un seul « r », par Kenny Ozier-Lafontaine

© Gabriele Gabri

© Gabriele Gabri

Je retourne au texte des miroirs, petit à petit, il faudra retourner, petit à petit, le texte des miroirs, bien le retourner, s'y voir, petit à petit, s'y voir retournés, inversés, nous, le texte et moi, oui, s'inversant l'un et l'autre,
les mains dans les chaussettes, les grolles dans le ciel.

Par exemple, je ne sais rien, je sais que la pierre violente est pour les chiens.
Oui, je ne sais rien, je sais la mitraille, je sais la giclée, je sais bien la rafale dans le ventre, le goitre et tout et tout... je sais... le poignard dans la gorge, je sais le chien, la gorge et le poignard. Bref.
Je recompte sur mes doigts, le compte y est.
Je ne sais rien, non, je sais le bâton, le bâton qui sait tout, le poignard qui sait tout.
Sait tout qui pue bien, bien-bien la mort, oui, sait tout qui transpire, oui, transpire bien son goutte à goutte de vieille mort, de vieille ombre molle entre les cuisses du mourant,
sait tout comme i' faut, sait tout comme i' faudrait bien savoir ce tout, eux, oui, eux... les contondants, eux, les aiguisés.

Parfois (de moins en moins) j'oublie l'Opinel, j'oublie la carabine, le 22, le cran d'arrêt, et d'autres fois la branche arrachée pour bien battre les petits, qui mioches, ne savent rien à rien, non ça... rien de rien les malheureux, je l'oublie aussi, tant pis, tant mieux.
Et le beau poignard qui ne sait rien, rien que la mort des poignards, moi qui ne sais rien je le sais pourtant, et quand il parle je l'écoute qui chante.
Moi, je ne sais rien, je suis le poignard dans la gorge, la gorge qui s'efface et n'apprend rien, non ne sais rien, et le poignard qui reste, quand tout s'efface, autour du poignard, et la gorge et moi, nous savons, ne savons pas, oui, tant pis pour moi qui ne suis même pas la moitié d'un demi-poignard.

Les poignards n'oublient rien, eux. On peut le dire, pas besoin de le savoir.
Mais moi, moi qui suis moi et pas poignard pour un sous, j'oublie tout, j'oublie et l'aiguille, et le tricot de cerises purulentes, oui, le fracas aussi, d'asticots et de lucioles inversées, la manche du croque mort je l'oublie, qui trempe dans la nuit, et ces corps mâchés qui avancent en bancs à reculons, oubliés cent fois. Tant mieux.
Je sais que j'oublie tout.
Je ne sais rien que je ne saurais aussitôt oublier en détournant les yeux, non, rien qui ne puisse traverser le texte des miroirs, d'un battement d'cil, et s'inversant y être confondu.
Je sais depuis l'école primaire que mourir ne prend qu'un R par ce qu'on ne meurt qu'une fois, la dernière fois. C'est là, à peu de choses près, tout mon savoir de poignard.

Kenny OZIER-LAFONTAINE

© Vincent Lefèbvre & Kenny Ozier-Lafontaine

© Vincent Lefèbvre & Kenny Ozier-Lafontaine


  • Kenny OZIER-LAFONTAINE (parfois Paul Poule) est poète, plasticien, vidéaste, né pour la première fois à Fort-de-France, Martinique.

  • Dessin : Gabriele Gabri

  • Vincent LEFÈBVRE n'existe pas. Son site, oui.