Dans l'antre, par Candice Nguyen

Je suis né dans l’antre et si quelqu’un me demandait, je lui répondrais que rien ne peut se dire en dehors du susurrement. Je suis né dans l’antre, à l’écart du bavardage des hommes, leur babil incessant  qu’ils ne savent plus taire  et dont ils ne se rendent plus compte, dans l’antre, et ce bruit m’est assourdissant. Geler à pierre fendre agitation brouhaha tours banques cac et ces singes décident du monde. C’est contre la mort, la leur, qu’ils s’obstinent dans ce leurre, remplir les espaces du monde un à un, et dans les airs, les moindres interstices, ondes ombres recoins vibrations, partout leurs lumières, leurs flots de paroles sur quel réel : dis-moi, comme si, comme si cela allait faire oublier l’inconstance de toute chose et leur renouvellement, mais sans eux, et après eux. Acquérir, acquérir et repousser au plus loin là où l’homme n’est plus, n’est plus rien qu’une rumeur lointaine qui agite ses bras désespérément et ses jambes à la recherche d’un point d’eau qu’il aurait suffi de creuser. Creuser. Les puits, les ventres, la lumière, laisse rentrer. On avait quoi à perdre à faire autrement. Magnésium fortifiants célestène, passent les amphétamines bêta-bloquants. J’attends la nuit alors pour que la rumeur se taise un peu, toujours trop peu, des voitures qui passent, le cri d’un passant à la sortie d’un bar, un téléviseur qui hurle encore quand les lumières se sont éteintes. J’attends la nuit et je n’allume pas je guette, je guette le crépuscule d’été qui s’étire sans fin dans le ciel et qui tire du bleu clair vers le orange, le jaune, le vert et s’enfonce dans le bleu noir de la nuit, le rouge sang, le violet, la nuit et son presque silence — humain ; Humains, reposez-vous, reposez-vous encore, encore un peu plus jusque demain, silence, viens, viens… Et si les hommes levaient la tête à ce moment précis où le rouge s’accapare déjà le ciel et recouvre nos têtes alors peut-être n’aurions-nous plus besoin d’allumer des cierges encore en la mémoire des morts et des désastres ici et là.

Candice Nguyen

Bangkok © Candice Nguyen

Bangkok © Candice Nguyen


Notre chroniqueuse de l'ailleurs Candice Nguyen a quitté Paris sur un coup de tête pour Marseille où elle vit et travaille depuis 2008 dans l’éditorial et la communication digitale. Partage son temps entre la mer, les routes et l’aide à la diffusion d’artistes, à travers notamment la revue de photographie et d’arts PLATEFORM Magazine et son journal en ligne. Elle est en charge des chroniques pour L'Autre Quotidien.