Le Masque de Dimitrios et le roman d'espionnage essentiel d'Eric Ambler

Si on peut lire Ambler dans n’importe quel ordre de parution, c’est la découverte d’un jugement sur le situationisme tiré de “N’envoyez plus de roses” qui m’avait intrigué et donné envie d’en savoir plus. Déjà la maestria de l’intrigue, les approches de biais, les espions à la petite semaine ballottés par l’Histoire… Et une vision du monde réduite à une zone grise avaient de quoi faire flipper le lecteur des 70’s. La ressortie aux Editions de l’Olivier du Masque de Dimitrios nous a donné envie d’en discuter plus avant avec Jean-Pierre Dionnet qui l’avait fait découvrir à l’époque aux Humanoïdes Associés.

Le Masque de Dimitrios est largement reconnu comme l’un des grands thrillers d’espionnage du XXe siècle. "Ni Le Carré, ni Deighton, ni Ludlum n'ont surpassé l'intelligence, l'authenticité ou la narration captivante qui ont fait du Masque de Dimitrios le meilleur du genre" (The Times). Base du film de Jean Negulesco avec Peter Lorre, Sidney Greenstreet et Zachary Scott.

Commençons par le synopsis du film qui change le nom du personnage du romancier Latimer en Leyden, mais garde le reste de l’intrigue.

Istanbul, 1938. Des enfants trouvent échoué sur la plage le corps d'un homme poignardé portant à son revers de veste le nom de Dimitrios Makropoulos. Le colonel Haki se réjouit de cette nouvelle, lui qui a suivi durant trente ans la trace de ce grand criminel, espion, escroc et assassin, sans pouvoir jamais l'appréhender. Il s'en ouvre auprès du romancier Cornelius Leyden, rencontré à une soirée mondaine, et lui confie ses inquiétudes quant aux zones d'ombre de cette affaire. Fasciné par la biographie tumultueuse que lui relate le policier militaire, Leyden se charge d'approfondir l'enquête en refaisant à l'envers l'itinéraire supposé du malfaiteur afin de recueillir les témoignages de ceux qui croisèrent sa route. C'est alors que le mystérieux Peters lui emboîte le pas...

On n’en dira pas plus pour l’instant. On se contentera de dire que l’ingénieur Ambler était devenu publicitaire avant de passer au roman et que son travail de scénariste et producteur à Hollywood lui a assuré des rentrées conséquentes qui jamais ne l’ont obligé à écrire le livre de trop ; les livres mineurs étant publiés sous pseudo. Après avoir, entre 1936 et 1940, écrit six romans d'espionnage qui deviendront des classiques. La raison pour laquelle il faut lire tout Ambler !

Dionnet déclare qu’il connaissait Ambler avant de le publier aux Humanoïdes Associés pour son travail à Hollywood avec Negulesco, Foster, Walsh, Jules Dassin et Michael Anderson et que le ton décalé des œuvres d’Ambler lui avait donné envie de le publier car il était méconnu comme romancier - ou plutôt oublié au milieu des 70’s. Dionnet continue en affirmant qu’Ambler était sur une autre planète par rapport à Leigh Deighton pour son “SS= GB” , John Le Carré ou Graham Greene, autres ténors du roman d’espionnage, et note qu’il faudrait reparler d’un oublié nommé Guy Cazaril pour sa Zone Grise. L’idée de Dionnet pour sa collection étant de sortir des vrais bons romans sans tenir compte des catégories. Pas de chance, le service marketing de la Sodis savait vendre sa collection Speed 17 qui allait révéler Bukowski et tant d’autres, mais ne comprenait pas la fascination pour le polar/espionnage des volumes d’Ambler - le néo-polar n’est arrivé que peu après, mais la collection avait entretemps coulé… à la fin des 70’s, le polar restait un genre mineur.

Et puisque les éditions de l’Olivier vont poursuivre les parutions dans les mois à venir, on se posait la question de savoir qui était l’homme Ambler, adulé par Hitchcock, et dont la femme du premier était la productrice du second. Dionnet en brosse, lors d’une entrevue parisienne, le portrait d’un gentleman anglais, qui prenait plaisir aux désordres du monde. Passé de la gauche à l’anarchie, il a mis successivement le doigt sur les exactions du complexe militaro-industriel, le phénomène du blanchiment d’argent ou le terrorisme arabe des 70’s. Toutes choses qui gardent un sacré rapport de proximité avec la réalité actuelle ( d’un macronisme outrancier ? )

Interrogeant Dionnet sur qui pouvait bien être ce fameux Dimitrios, ce personnage boule à facettes, espion, assassin, maître-chanteur et parfait salaud, on apprend que Gainsbourg lui aurait révélé que le vrai Dimitrios serait probablement le très fortuné chanteur d’opérette… Dario Moreno - les deux étant décédés, c’est aussi difficile à affirmer qu’infirmer. Autres temps, autres mœurs. Mais, si tu vas à Rio … 

Jean-Pierre Simard, le 14/02/2024
Eric Ambler - Le Masque de Dimitrios - éditions de l’Olivier