Lumières de Staël, par monsieur Nicolas, et non madame Anne-Louise (Germaine)

La rétrospective du MAM rassemble une sélection d’environ 200 tableaux, dessins, gravures et carnets venus de nombreuses collections publiques et privées, en Europe et aux Etats-Unis. À côté de chefs-d’œuvre emblématiques tels que le Parc des Princes, elle présente un ensemble important d’œuvres rarement, sinon jamais, exposées, dont une cinquantaine montrées pour la première fois dans un musée français. Go !

Nicolas de Staël Agrigente (1954) Huile sur toile 60 x 81 cm
Collection privée / Courtesy Applicat-Prazan, Paris © Photo Annik Wetter © ADAGP, Paris, 2023

Le Musée d’Art Moderne de Paris consacre une grande rétrospective à Nicolas de Staël (1914-1955), figure incontournable de la scène artistique française d’après- guerre. Vingt ans après celle organisée par le Centre Pompidou en 2003, l’exposition propose un nouveau regard sur le travail de l’artiste, en tirant parti d’expositions thématiques plus récentes ayant mis en lumière certains aspects méconnus de sa carrière (Antibes en 2014, Le Havre en 2014, Aix-en-Provence en 2018).

Organisée de manière chronologique, l’exposition retrace les évolutions successives de l’artiste, depuis ses premiers pas figuratifs et ses toiles sombres et matiérées des années 1940, jusqu’à ses tableaux peints à la veille de sa mort prématurée en 1955. Si l’essentiel de son travail tient en une douzaine d’années, Staël ne cesse de se renouveler et d’explorer de nouvelles voies : son « inévitable besoin de tout casser quand la machine semble tourner trop rond » le conduit à produire une œuvre remarquablement riche et complexe, « sans esthétique a priori ». Insensible aux modes comme aux querelles de son temps, son travail bouleverse délibérément la distinction entre abstraction et figuration, et apparaît comme la poursuite, menée dans l’urgence, d’un art toujours plus dense et concis : « c’est si triste sans tableaux la vie que je fonce tant que je peux », écrivait-il.

Nicolas de Staël Sicile 1954 Huile sur toile 114 x 146 cm Musée de Grenoble © ADAGP, Paris, 2023 © Ville de Grenoble / Musée de Grenoble / photo J.-L. Lacroix

La réception de de Staël en France par Fabrice Hergott, directeur du MAM :

L’œuvre de Staël n’est probablement plus perçue aujourd’hui comme alors. Le temps qui passe est comme une lumière qui ne cesse de changer. Il rend les formes plus visibles, vivifie la matière, réactive les couleurs. Les années 1950 ne sont plus cette masse grise dont les artistes et le public des décennies suivantes voulaient ne plus tenir compte. Depuis quelques années, elles apparaissent au contraire comme une époque fertile et contrastée, terreau d’œuvres si variées et suscitant désormais tant d’intérêt qu’elles pourraient bien succéder, dans leur rôle d’années de référence, à celles d’avant la Première Guerre mondiale. Une époque palpitante dans laquelle l’œuvre de Staël tient une place à part. Curieusement décalée, semblable à l’homme, ombrageuse mais solaire. Sensible et d’une rigueur, ou d’une détermination, qui porte ces quinze ans de travail comme bloc.

Staël est aussi le seul peintre de sa génération en France à se sentir aussi à l’aise avec la figuration qu’avec l’abstraction, passant de l’une à l’autre sans que l’on puisse ni opposer les deux termes, ni dire lequel de ces deux genres est dominant. Est-il l’un des grands artistes abstraits de l’après-guerre, ou l’un des plus importants de la figuration ? Cette double lecture, ajoutée à son usage aigu de la couleur, est-elle la raison de sa popularité comme de son influence ?

Cette liberté l’a paradoxalement éloigné d’une certaine doxa moderniste où le renoncement à la représentation du réel jouait un grand rôle. Ce qui a conduit à ce qu’un certain public, le trouvant trop accessible, n’ait pas su mesurer son importance. Un public dont le musée d’Art moderne de Paris s’est probablement fait l’écho. Ainsi la présence de Staël dans son histoire est-elle restée très modeste. Il l’a rarement montré dans des expositions collectives (la dernière fut « L’Art en guerre. France 1938- 1947 » en 2012) et ne conserve dans ses collections, pour l’essentiel, qu’un petit tableau sombre mais parfaitement abstrait. Il s’agit sans doute d’un aveuglement plus que d’une négligence, dont on trouve une résonance jusque dans le regard que le peintre polonais Joseph Czapski porta sur la rétrospective du Grand Palais, voyant dans l’œuvre même du peintre français une brèche dans le diktat du goût dominant de cette époque.

L’œuvre de Nicolas de Staël déborde largement des contours dans lesquels elle a été enfermée. Elle nous apparaît aujourd’hui plus ample et plus profonde que ce à quoi nous pouvions nous attendre. La publication récente de la correspondance de Staël et la redécouverte, à l’occasion de cette rétrospective, de l’intégralité du « Journal des années Staël » de Pierre Lecuire, compagnon de route du peintre, ont considérablement enrichi la compréhension de l’homme et de l’œuvre. Un Staël plus subtil, plus vivant. Un Staël plus assuré de son art que ce que sa jeunesse pourrait laisser penser. Une célébration de la vie et de sa richesse avec les moyens de la peinture, à laquelle peu d’artistes sont parvenus. Sans oublier que beaucoup d’œuvres de cette exposition n’ont tout simplement jamais été vues.

La rétrospective permet de suivre pas à pas cette quête picturale d’une rare intensité, en commençant par ses voyages de jeunesse et ses premières années parisiennes, puis en évoquant son installation dans le Vaucluse, son fameux voyage en Sicile en 1953, et enfin ses derniers mois à Antibes, dans un atelier face à la mer.

Nicolas de Staël Grande composition bleue 1950-1951 Huile sur Isorel 200 x 150 cm
Collection privée / Courtesy Applicat-Prazan, Paris © ADAGP, Paris, 2023
Courtesy Applicat-Prazan, Paris

La vie de Staël a d’emblée créé un mythe autour de son art : de son exil après la révolution russe jusqu’à son suicide tragique à l’âge de 41 ans, la vie du peintre n’a cessé d’influer sur la compréhension de son œuvre. Sans négliger cette dimension mythique, la rétrospective entend rester au plus près des recherches graphiques et picturales de Staël, afin de montrer avant tout un peintre au travail, que ce soit face au paysage ou dans le silence de l’atelier. Enfant exilé devenu voyageur infatigable, l’artiste est fasciné par les spectacles du monde et leurs différentes lumières, qu’il se confronte à la mer, à un match de football, ou à un fruit posé sur une table. Variant inlassablement les outils, les techniques et les formats (du tableautin à la composition monumentale), Staël aime « mettre en chantier » plusieurs toiles en parallèle, les travaillant par superpositions et altérations successives. Le dessin joue, dans cette exploration, un rôle prépondérant dont une riche sélection d’œuvres sur papier souligne le caractère expérimental.

Nicolas de Staël, la peinture à vif - à voir sur ARTE le 24 septembre 2023.

Documentaire de François Lévy-Kuentz. Écrit par François Lévy-Kuentz, Stéphane Lambert et Stephan Lévy-Kuentz Coproduction : ARTE France, Temps noir (2023, 52mn)
Reconnu aujourd’hui comme l’un des plus grands peintres français, Nicolas de Staël a donné à sa courte existence une dimension sacrificielle, poussant toujours ailleurs et plus loin son obsession de la peinture. Artiste sans concession, aventurier nomade, amoureux passionné, Staël s'est confronté chaque jour à un véritable corps-à-corps avec ses toiles. Un extrait du documentaire sera présenté en permanence dans les salles de l’exposition et diffusé dans son intégralité sur

Le catalogue de l’exposition permet d’approfondir encore la connaissance du travail du peintre, grâce à des textes sur sa relation aux maîtres du passé et à son contemporain Georges Braque, ou encore son rapport au paysage et à la nature morte. L'ouvrage contient également un entretien des commissaires avec Anne de Staël, fille aînée de l’artiste, ainsi que le texte intégral et inédit du « Journal des années Staël » de Pierre Lecuire, écrivain, éditeur et ami proche de Staël.

L’exposition Nicolas de Staël est organisée par le Musée d'Art Moderne de Paris en étroite collaboration avec la Fondation de l’Hermitage à Lausanne, où elle sera présentée du 9 février au 9 juin 2024.

Et, comme on suppose que la lecture ne vous fait pas peur, on conseille une bio de Laurent Greilsamer chez Fayard , La vie de Nicolas de Staël, le Prince foudroyé

Jean-Pierre (dospres) Simard ,le 18/09/2023
Nicolas de Staël
- rétrospective au MAM -• 21 janvier 2024
Musée d’Art Moderne de Paris 11, avenue du Président Wilson 75116 Paris

Nicolas de Staël Marseille 1954 Huile sur toile 80,5 x 60 cm Courtesy Catherine et Nicolas Kairis / Courtesy Applicat-Prazan, Paris © ADAGP, Paris, 2023 Courtesy Applicat-Prazan, Paris