Des vagues (de Buchla) contre le Pacifique par Suzanne Ciani et Jonathan Fitoussi

Enregistré principalement chez Suzanne Ciani à Bolinas, face à l’Océan Pacifique, le bruit blanc des synthétiseurs se mêle en permanence aux sons des vagues et du vent. Une musique en lien direct avec la nature et les éléments qui les entourent, organique et vivante, hypnotique et rythmique, puissante et onirique. Et l’effet produit divague entre le Ricochet de Tangerine Dream et une ambient chaude aussi atemporelle que jouissive.

De nombreuses premières fois, la constante chez la diva des diodes AKA Suzanne Ciani. Excusez du peu : B.O à Hollywood, développeuse et propagatrice du Buchla au sein d’une entreprise qui n’aime pas les femmes (c’était la seule) , sculpture sonore, sound designer de génie ( le bruit de la capsule débouchée de la bouteille de Coca Cola), concertiste aux synthés en groupe ou en solo pour la vague new age qui allait se reformuler ambient ensuite; grande expérimentatrice de la quadriphonie, etc. A 77 ans, la dame retirée en Californie n’a rien perdu de son envie de composer et de jouer. Et c’est là que Jonathan Fitoussi l’a visité en curieux, en 2019 ; passant rapidement de l’écoute à la création commune. D’où cet album…

Mais là encore, rien que de très facile/ normal puisque lui aussi est un spécialiste du Buchla (le synthé qui rebute par son absence de clavier), passé par l’INA où il a commencé par restaurer des bandes magnétiques avant de se lancer dans la musique, du rock à l’électronique, croisant les boutons avec Clemens Hourrière ou Jean-Benoît Dunckel de Air, tout en composant B.O, musique de danse ou pièce pour orgue jouée à Nuit Blanche en 2019 après commande de la Philharmonie.

La majeure partie de Golden Apples of the Sun a vu le jour sur la côte californienne, alors que le duo jammait sur des synthétiseurs vintage convoités. Ici, les sonorités générées par les instruments Moog, EMS et, bien sûr, Buchla sont profondes et vibrantes. "Sonar" est haletant, avec des nappes de bruit blanc qui s'élèvent au-dessus d'arpèges simples. "Oceanium" est à la hauteur de son titre, grâce à des vagues synthétisées qui se succèdent tout au long du morceau. Le morceau-titre est particulièrement enivrant, porté par une performance vocale résolue de Ciani. "Je suis allée dans le bois de noisetier/ Parce qu'un feu était dans ma tête", récite-t-elle calmement, sa voix embrassée par l'écho,citant à la fois Yeats et Morton Subotnick . Même "Rainbow Sequence" est assez discret, ses tons les plus verts ressemblant à des éclats de néon sur une toile grise.

L'esprit de Ciani a toujours été accessible, mais sa maîtrise d'une technologie complexe restera toujours intimidante. "J'ai naturellement vécu dans un endroit qui était, vous savez, 10 ans dans le futur", a déclaré Mme Ciani lors d'une récente interview, en réfléchissant à son âge d'or. Dans Golden Apples of the Sun, elle a encore une décennie d'avance et le fait d’avoir trouvé un partenaire plus que compétent ne change rien à la donne, mais tout au résultat.

Si vous fuyiez habituellement les claviers glacés comme l’hiver, venez vous faire bronzer les oreilles à la chaleur de l’électronique déployée ici, avec autant de bonheur que de passion/élégance et maestria. Tout bon !

Jean-Pierre Simard le 9/10/2023
Suzanne Ciani & Jonathan Fitoussi - Golden Apples of the Sun - Obliques & Atmospheric