Des bâtons à message inuits tissent le récit poétique de Joséphine Bacon

Par la grande pionnière de la traduction de l’innu en français au Québec, un bref et intense recueil de poèmes pour dire en peu de mots puissants ce qui fut et ce qui est, là où l’on vivait et où l’on vit – malgré la colonisation.

Ils marchent
sans courbure,
attentifs
aux sons de la neige
sous la raquette

des bâtons
à message
les attendent
au milieu du lac gelé.

Pimuteuat
Shutshi-pimeteuat
natutamuat
tshikashameuat tshetshi
mamakushkahk

tshissinuatshitakana
pakushenitamuat
tekushinitaui
taushkam.

Dans la culture ancestrale des Innus, les bâtons à message, plantés au bord des pistes selon un encodage fort précis et connu de toutes et de tous, permettaient de laisser aux autres nomades qui viendraient à emprunter le même chemin, de précieuses informations.

Joséphine Bacon, née en 1947 au Canada, dans la communauté innue de Pessamit, à l’embouchure du fleuve Saint-Laurent, échappe par chance à l’acculturation forcée lors de son séjour en pensionnat (où sont utilisées un ensemble de méthodes, jusque dans les années 1980, vivement dénoncées comme un véritable et grave scandale depuis quelques années), parvenant à garder un contact fort et rare à l’époque avec ses racines innues. Se retrouvant à la rue à Montréal, à 21 ans, après d’infructueuses tentatives pour trouver du travail, elle devient peu à peu traductrice innu-français-anglais pour la génération d’ethnologues québecois (Rémi Savard, Sylvie Vincent, José Mailhot, notamment) entreprenant à cette époque un balisage authentique du grand Nord, en s’efforçant d’y être de plus en plus respectueux des peuples premiers. Après avoir collaboré avec plusieurs cinéastes, elle devient elle-même documentariste avec « Ameshkuatan – Les sorties du castor » en 1978.

« Bâtons à message », publié en édition bilingue français-innu chez Mémoire d’Encrier en 2009, est son premier recueil de poésie. Passeuse infatigable, elle y célèbre avec une immense économie de moyens des traditions immémoriales baignées de rapport intime à la nature, des violences subies et non effacées, des espoirs ténus mais réels.

Nous sommes rares
nous sommes riches

comme la terre
nous rêvons.

Ninan apu mitshetiat
nuenutishinan

miam assi
nipuamunan.

x

▼▼▼

x

J’offre des émotions
à une table desservie

Je ne retiens qu’une larme
apeurée
d’avoir saigné une terre sacrée
qu’on me confia

Pourvu que restent ces regards
qui l’ont vue.

Nipatshitinen nimitunenitshikan
miam neshtunamani mitshishuakan

Muk peik maunapui
nikanueniten
usham nishetshishin
nin la minikauian
tshetshi nakatuenitaman assi

Nipakushueniten
tshetshi tat auen
anu tshe minu-tshitapatak

Hugues Charybde le 13/06/2022
Joséphine Bacon - Bâtons à message - Tshissinuatshitakana - éditions Mémoires d’encrier

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