Astéréotypie, le saut quantique du rock français

Il aura fallu dix ans et trois albums pour que le collectif Astéréotypie passe de la déconstruction du langage en formule post-rock de plus en plus énervée à un lâcher prise révélateur du temps post-covidien et de la réélection du petit cron… Humour noir, dérision bienvenue, mots qui cognent à l’écran du câble et pop culture réactivée au lance-flamme, les ingrédients du très désarçonnant Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme … 

« Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme… La vie réelle est agaçante ! ». Tels sont les mots de Claire Ottaway, la nouvelle recrue d’Astéréotypie, groupe de post-punk énergique tirant parfois sur le garage-rock ou le noisy. Né en 2010 au sein d’un Institut médico-éducatif, ce groupe (d)étonnant revient avec un troisième album fait de textes atypiques et de phrasés lunaires qui aimantent l’oreille et nous embarquent dans une expédition à haute intensité affective. Croiser le collectif Astéréotypie, ça secoue. Ça fait bouger les jambes quand ça s’élance, ça désarticule les bras à chaque scansion ou rupture de tempo, ça fait hurler en chœur à s’en froisser les cordes vocales et ça fracasse les a priori pour peu qu’il en reste. Aucun groupe ne ressemble à Astéréotypie dans la Drôme, ni sûrement même dans le monde… la vie réelle est parfois réjouissante !

S’il faut trouver des prédécesseurs, c’est du côté de Diabologum, Noir Désir dans les 90’s et même du Richard Pinhas d’Heldon 70’s, avec son Voyageur récité par Deleuze citant Nietzsche. Mais, plus près de nous (saigneur ?) c’est comme une logorrhée qui suinte de toutes les chaînes d’info en continu et au quotidien qui se retrouve mise en perspective, pour mieux en rendre l’innocuité, le délire et les abus de langage - en faisant voter ceux qui écoutent d’une oreille, en finissant par l’avaler tout cru - le discours biseauté du RN . Seul le recul permet d’en entendre la différence, mais c’est comme pour Flavien Berger ou Gontard aujourd’hui, le simple fait que cela soit en place remet le rock sur la carte, là où il avait depuis des lustres laissé l’espace du dire au hip hop pour le quotidien des oubliés ou des invisibles/invisibilisés. C’est fort, même très fort.

Le tour de la question de l’actualité du monde en creux se joue en 13 titres : qu’il s’agisse des rêves de grandeur d’un Arménien délocalisé on ne sait où avec le Pacha, du morceau-titre qui se joue d’Insta pour faire des équivalences vaseuses en en renversant les perspectives, de Mon chat a 44 ans qui dévide de possibles/probables absurdités/insanités des comportements parisiens (McCartney a fait ma première partie en juin au Parc de Sceaux), en passant par les maniaqueries du iPhone X en mode Siri… Plus loin, on entre dans le son du monde vendu comme pays de loisirs concerné - toujours survendu, toujours répété pour entrer dans le ciboulot - à s’en cogner la tête contre les murs - Du vélo à St Malo, du kayak à St Briac, Joseph Da-xrus, Bonjour, 20 euros. On admire leur amour de Miyazaki avec Ponio, et les nombreeuses évocations des fantômes qu’on nous a proposé comme alternative au quotidien Reine d’un sort, Fantôme de Broglie, Fantôme de Strasbourg. Et cela se terminera par l’abolition de la mémoire et de l’Histoire de Les dates dans ma tête qui rappelle furieusement les frères Lefdup de 15,38h.

Prendre de l’avance en prenant du recul disait il y a fort longtemps MC Solaar, c’est bien le cas ici et on a la sensation vivace/persistante que surfer sur les réseaux ou zapper sans fin, finit par immuniser le spectateur en en révélant les routines et la profonde inanité/connerie d’un flux qui veut surveiller et punir (Foucault) plutôt que libérer en évoquant, avec Gilles Deleuze : Lacan (qui) a énoncé une profonde loi d'après laquelle ce qui est aboli symboliquement resurgit dans le réel sous forme hallucinatoire ; comme ici avec Astéréotypie.

La grande claque du réel, c’est ici et maintenant, c’est avec Astéréotypie : Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme … Enjoy !

P.S : le groupe est constitué d’autistes

Jean-Pierre Simard le 2/05/2022
Astéréotypie -
Aucun mec ne ressemble à Brad Pitt dans la Drôme …