Grand théâtre de Bordeaux : extension du domaine de l’occupation

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La question des objectifs de l’occupation de dizaines de lieux culturels négociée avec les autorités contre l’acceptation de restreindre le nombre et les activités des occupants, et surtout de garder ces lieux fermés au monde extérieur, se posait avec de plus en plus d’acuité. On est loin de l’occupation de l’Odéon en 68. Et à l’évidence, dans de telles conditions, le mouvement se cherche. Le 18 mars, l’occupation de l’opéra de Bordeaux a été élargie à l’ensemble du bâtiment, et la jauge limitant le nombre de personnes qui peuvent rentrer a été supprimée. S’en sont suivis des conflits entre les occupants, dont certains relayés dans la presse, et la désolidarisation notamment de la CGT, ainsi que celle de la CIP (Coordination des intermittents et des précaires) Gironde, à l’origine de l’occupation des lieux.

Mais l’occupation tient, et il se passe des tas de choses. Il semble maintenant primordial de communiquer sur ce qui s’y passe, donner un autre son de cloche que celui des organisations qui ont condamné ce geste, et surtout, inspirer tous ceux qui dans d’autres villes n’entendent pas laisser ces occupations cantonnées aux revendications négociées sur le statut d’intermittent.

Voilà donc en pièce jointe le communiqué qui a été lu pour entrer dans la grande salle du Grand Théâtre le 18 mars, l’autre texte qui a été écrit et discuté dans l’assemblée, ainsi que la retranscription de ce tract.

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COMMUNE DE BORDEAUX

Bordeaux, le 18 mars 2021

Considérant que le Grand Théàtre de Bordeaux fut le point de repli de l’Assemblée Nationale au temps de la Commune de Paris en 1871 ;

Considérant que ce lieu a été sanctuarisé par son conservatisme bourgeois, expulsant les classes popuplaires, invisibilisant ses travailleurs de coulisses ;

Considérant que le Grand Théâtre, représentant de la culture bourgeoise, n’a pas attendu le covid pour qu’il y ait distanciation sociale ;

Considérant que l’exploitation de l’art par le pouvoir ne peut produire qu’une culture morte ;

Considérant que la culture reconduit sans cesse la séparation infâme entre savants et ignorants ;

Considérant que mendier son contrat de travail est contraire au principe d’émancipation, et contribue à emprisonner nos imaginaires ;

Considérant que le travail est le lieu de l’accommodation forcée et de la servitude douce ;

Considérant que les préfectures expulsent massivement, détruisant chaque lieu et ainsi, ses formes de vie ;

Considérant que toute négociation avec l’État et ses acteurs n’est qu’une mascarade, ne servant qu’à dissimuler les feux d’une répression ;

Considérant le ravage actuel du monde ;

Décrète :

Art. 1er. Au Grand Théâtre se jouera la première scène de la Commune de Bordeaux de 2021.

Art. 2. Le spectactle ne doit pas être le joli reflet de la vie dégueulasse mais c’est la vie elle-même qui doit s’immiscer sur scène.

Art. 3. Nos désirs sont un art qui ne doit pas être conservé sous vitrine.

Art. 4. Longue vie à l’art libre, tout nu, vulgaire, gros, sexy et moche, raffiné et gras, chocolat pistache et vanille, festif sauvage, ignoble et obscène.

Art. 5. Chaque idiot est un génie dans son domaine.

Art. 6. Les frontières de la culture doivent être détruites, laissant place à l’existence des free party, bars clando, carnavals sauvages, backrooms, bouffes gigantesques et costumes grandiloquents.

Art.7. Nous sommes irrationnels et voulons piétiner nos outils de travail imposés. RIP Bachelot.

Art. 8. Occupation des centre-villes par des hordes invisibles expulsées par la préfète.

Art. 9. Nul préfet de France n’est dans notre camp.

Art. 10. Les murs ne sont pas des décors, ils sont faits pour être habités.

Art. 11. Tant que les juges et procureurs ne seront pas des drag queens, nous ne croirons pas en la justice.

Art. 12. Vouloir tout et tout de suite et que ce soit entier, sinon on refuse.

Art. 13. Les Soulèvements de la Terre.

L’entracte est fini, c’est l’heure du dernier acte.

LA COMMUNE DE BORDEAUX


Vers des rives ? Dérivons ensemble vers de plus belles terres

« c’est un lieu chauffé, là, il y a enfin une bonne raison de le chauffer. Par contre, il faut fermer la porte derrière soi. » Un occupant rigolo.

Pour présenter une autre version que celle exposée médiatiquement, voilà notre regard sur les choses.

Lundi, 30 personnes autorisées à l’intérieur, 70 m2 concédé dans une immensité et non validé par une instance collective. Jeudi, ouverture de deux salles pour agrandir le lieu de l’occupation, agrandir les possibilité d’accueil.

Le mouvement des occupations des théâtres en France nous invite à occuper les lieux. Occupons- les.

Que veut dire une occupation lorsqu’elle est quémandée, lorsqu’elle est prêtée, donnée sous conditions ?

Si la réappropriation de cet espace public et commun a pris de l’ampleur, elle l’a fait en continuité avec les valeurs qui la portent depuis le début et ce texte ne veut en rien exclure les textes écrits depuis le début de l’occupation, au contraire, il s’inscrit dans la suite de ce mouvement.

La convergence ne peut pas se faire sans dissensus, et l’ignorer provoque bien plus de violence que celle que dénoncent les observateurs lointains. Que chacun n’hésite pas à venir se faire un avis et participer à la création de ce qui fonde une lutte. Pour ceux qui veulent nous rejoindre, sachez qu’à aucun moment il n’y a eu de menace d’expulsion : la négociation a été rompue, mais le dialogue persiste.

OPÉRA DE BORDEAUX À LA DÉRIVE ?

Pourtant le mouvement n’a-t-il pas gagné en forces vives ? Pourtant, les discussions en Assemblée Générale ne tentent-elles pas d’invoquer la parole de tous et toutes avec heurts et difficultés mais avec débats ? Que reproche-t-on à l’occupation actuelle si ce n’est d’avoir accéléré le mouvement en mettant fin à une négociation inefficace ? Nous revendiquons que nous n’avons plus le temps de négocier, quémander, demander la permission à ceux qui ne daignent donner que des miettes ! Ce mouvement d’occupation des théâtres a besoin d’une parole plus forte, plus affirmée pour mettre sur la table les paroles d’un plus grand nombre. Oui il y a des difficultés, des tons montent, mais les idées s’échangent ! Nous voulons tous et toutes ensemble faire le pari d’une nouvelle forme pour réinsuffler une nouvelle force à ce mouvement national !

#ouverturesessentielles ? Pour qui ? Pour quoi ? Pour quel monde ? Quelles utopies ? Quels rêves ?

Après plus d’un an de lien social avorté, de rencontres manquées, de regards perdus, enfin nous voilà tous ensemble dans une pièce à éprouver nos humanités avec un désir beau de partager, d’échanger, de créer du nouveau et aussi de l’art, de la politique. Ensemble, artistes, techniciennes, précaires, chômeurs, étudiants, gilets jaunes, infirmières et tous ceux qui sont en luttent, saisissons ce moment pour se retrouver !

Tout ce que nous pourrons dire serait trop court, trop maladroit avec ces quelques mots mais surtout reste encore à inventer. Alors non, le mouvement n’est pas à la dérive ! Notre bateau, pirate certes, a choisi une route plus laborieuse, plus difficile, plus exigeante et tellement plus belle. Et si nous devons revivre les dix ans de l’épopée d’Ulysse, nous les revivrons avec passion, abnégation et partage !

Le lieu ne peut être réduit à une seule identité politique, l’opéra est à tout le monde et les occupants sont éclectiques/hétérogènes. Il y a tout à construire : chacun est invité à penser, partager, créer, s’engager, rêver, exprimer son désaccord, râler, se rencontrer... Les assemblées générales sont tous les jours à midi.

L’Assemblée Générale de l’Opéra occupé de Bordeaux.
En ce jour du 20 mars de l’an 2021.
via Lundi am