Les Israéliens ont rendu leur verdict : l’ère Netanyahou semble révolue (mais il bouge encore)

Des semaines de marchandage politique et la possibilité que la Liste unifiée des députés arabes devienne l'opposition officielle se profilent à l'horizon. Pour la plupart des Israéliens, les élections générales de mardi tournaient autour d’une chose et une seule. Pas l’économie, ni l’occupation, ni même les scandales de corruption. C’était une élection sur Benjamin Netanyahou : doit-il être placé à la tête d’un nouveau gouvernement d’extrême droite, ou son règne semeur de discorde qui dure depuis dix ans doit-il prendre fin ?

À moins que le compte des derniers bulletins de vote ne recèle un bouleversement de dernière minute, les Israéliens ont rendu un verdict clair : l’ère Netanyahou semble révolue.

Lors des élections peu concluantes d’avril, qui ont conduit à cette rebelote, le Likoud de Netanyahou a obtenu le même nombre de sièges que son principal opposant du parti Bleu et Blanc, dirigé par le général à la retraite Benny Gantz. Cette fois, Gantz semble avoir pris l’avantage avec 33 sièges, contre 32 pour Netanyahou, sur les 120 que compte la Knesset. Les deux partis ont eu moins de succès qu’en avril, lorsqu’ils avaient chacun remporté 35 sièges.

Mais de manière beaucoup plus significative, Netanyahou semble ne pas avoir atteint la majorité de 61 sièges dont il a besoin pour former un nouveau gouvernement d’extrême droite comprenant des partis de colons et religieux.

Son échec est d’autant plus criant qu’il a mené de loin la campagne la plus moche – et la plus irresponsable – de l’histoire israélienne. C’était que les enjeux étaient énormes.

Seul un gouvernement d’extrême droite – entièrement redevable à Netanyahou – pourrait adopter une législation lui garantissant une immunité contre une procédure judiciaire qui doit commencer le mois prochain. Sans cela, il sera vraisemblablement inculpé pour fraude et abus de confiance.

Selon des informations parues dans les médias israéliens le jour du scrutin, Netanyahou était si désespéré d’éviter ce sort qu’il était à deux doigts de déclencher une guerre contre Gaza la semaine dernière pour retarder les élections.

Le Procureur Général israélien Avichai Mendelblit, premier magistrat du pays, est intervenu pour empêcher l’attaque lorsqu’il a découvert que le cabinet de sécurité ne l’avait approuvée que parce que Netanyahou avait dissimulé les principales réserves émises par le commandement de l’armée.

Netanyahou a également tenté d’acheter les électeurs de droite en promettant la semaine dernière d’annexer une grande partie de la Cisjordanie immédiatement après les élections – une acrobatie qui violait de manière flagrante les lois électorales, selon Mendelblit.

Facebook a été contraint de fermer la page de Netanyahou à deux reprises pour incitation à la haine – dans un cas après qu’l eut posté un message disant que « les Arabes veulent nous anéantir tous – hommes, femmes et enfants ». Ce sentiment semblait inclure les 20% de la population israélienne qui sont palestiniens.

Netanyahou a également stigmatisé la minorité palestinienne d’autres manières, notamment en suggérant constamment que leurs votes constituaient une fraude et qu’ils essayaient de « voler les élections ».

Il a même essayé de faire passer en force une loi autorisant ses militants du Likoud à filmer à l’intérieur des bureaux de vote arabes – comme ils l’avaient fait secrètement lors de l’élection d’avril – dans une tentative non dissimulée d’intimidation des électeurs.

Cette mesure semble s’être retournée contre lui, les citoyens palestiniens ayant voté plus massivement qu’en avril.

Le Président Donald Trump, quant à lui, est intervenu pour aider Netanyahou en annonçant la possibilité d’un pacte de défense exigeant que les USA viennent au secours d’Israël en cas de confrontation régionale.

Rien de tout ça n’a suffi.

Pour Netanyahou, le seul espoir de survie politique – et d’éviter la prison – dépend de la magie politique pour laquelle il est célèbre.

Cela peut s’avérer un défi de taille. Pour franchir la barre des 61 sièges, il doit convaincre Avigdor Lieberman et son parti ultra-nationaliste Yisrael Beiteinu de le soutenir.

Netanyahou et Lieberman, qui est un colon, sont normalement des alliés idéologiques. Mais nous ne vivons pas des temps normaux. Netanyahou a dû réorganiser les élections après que Lieberman, sentant la faiblesse du Premier ministre, eut refusé en avril de siéger aux côtés des partis religieux au sein d’un gouvernement dirigé par Netanyahou.

Netanyahou pourrait peut-être tenter d’attirer le capricieux Lieberman avec une offre irrésistible, par exemple en lui proposant d’occuper chacun à son tour le poste de Premier ministre.

Mais Lieberman risque un énorme opprobre public si, après avoir soumis le pays à une nouvelle élection extrêmement impopulaire, il faisait maintenant ce qu’il avait refusé par principe de faire il y a cinq mois.

Lieberman a presque doublé le nombre de sièges de son parti avec 9 sièges, en insistant sur le fait qu’il est le champion du public laïc  israélien.

Le plus important pour Lieberman, c’est qu’il se retrouve une fois de plus dans le rôle de faiseur de roi. Il est presque certain qu’il façonnera la teneur du prochain gouvernement. Et quiconque il aura reçu son onction comme Premier ministre lui en sera redevable.

L’impasse qui a bloqué la formation d’un gouvernement en avril est toujours valable. Israël est confronté à la possibilité d’un marchandage politique frénétique pendant plusieurs semaines et même à la possibilité d’une troisième élection.

Néanmoins, du point de vue des Palestiniens – qu’il s’agisse de ceux qui vivent sous occupation ou de ceux qui vivent en Israël en tant que citoyens de troisième classe –, le prochain gouvernement israélien sera d’extrême droite pure et dure.

Sur le papier, Gantz est le mieux placé pour former un gouvernement de ce que l’on appelle de manière grotesque le « centre-gauche ». Mais étant donné que sa colonne vertébrale sera composée du parti Bleu et Blanc, dirigé par une smala de généraux faucons, et du parti Yisrael Beiteinu de Lieberman, il serait, dans la pratique, aussi marqué à droite que celui de Netanyahou.

Gantz a même accusé Netanyahou d’avoir volé son idée en annonçant la semaine dernière son intention d’annexer de grandes parties de la Cisjordanie.

Le problème est qu’une telle coalition dépendrait de l’appui des 13 députés de la Liste unifiée représentant la grande minorité palestinienne d’Israël. C’est quelque chose que Lieberman a rejeté d’emblée, qualifiant cette idée d’ « absurde » tôt mercredi alors que les résultats filtraient. Gantz semble à peine un peu plus accommodant.

La solution pourrait être un gouvernement d’union nationale comprenant une grande partie de la droite : les parti Bleu et Blanc de Gantz faisant équipe avec le Likoud et Lieberman. Gantz et Lieberman ont tous deux indiqué mercredi que c’était leur choix préféré.

La question serait alors de savoir si Netanyahou peut se frayer un chemin dans un tel gouvernement, ou si Gantz réclame son éviction comme prix de l’inclusion du Likoud.

Dans de telles circonstances, la main de Netanyahou ne serait pas forte, surtout s’il est plongé dans une bataille juridique prolongée pour corruption. Il y a déjà des rumeurs d’un soulèvement au sein du Likoud pour le destituer.

L’un des résultats intéressants d’un gouvernement d’union est qu’il pourrait provoquer une crise constitutionnelle en faisant de la Liste unifiée le troisième parti en importance, l’opposition officielle. C’est la même Liste unifiée décrite par Netanyahou comme un « dangereux parti antisioniste ».

Ayman Odeh deviendrait le premier dirigeant de la minorité palestinienne à assister régulièrement aux réunions d’informations régulières organisées par le Premier ministre et les chefs de la sécurité.

Netanyahou restera Premier ministre intérimaire pendant plusieurs semaines encore, jusqu’à la formation d’un nouveau gouvernement. S’il reste fidèle à lui-même, il a tout le temps de semer un maximum de zizanie.

*** Note de L’Autre Quotidien : Aux dernières nouvelles, Benjamin Netanyahou a appelé, ce jeudi 19 septembre au matin, son rival Benny Gantz à la formation d’un gouvernement d’union nationale.

Jonathan Cook جونثان كوك le 18 septembre 2019
Traduit par Sayed Hasan سيد حسن
Edité par Fausto Giudice