Quand Mike Godwin lui-même parle de camps de concentration pour les migrants, on sait que c'est grave

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Alexandria Ocasio-Cortez a été critiquée pour avoir dénommé les camps où croupissent sous l’administration de Donald Trump (dont plus de mille enfants seuls, séparés de leurs parents) des milliers de migrants arrêtés et emprisonnés des “camps de concentration”. Il nous semble pourtant beaucoup plus choquant d’entendre une présentatrice de la télé conservatrice Fox News les décrire comme des “camps de vacances”. Cette polémique est oiseuse. La détention est indéniable. Ses conditions unanimement décrites comme épouvantables. Des enfants sont déjà morts dans ces camps, faute de soin et d’attention. Et ces camps sont là pour durer, puisque Donald Trump vient de déclarer son intention de créer de nouveaux camps de tentes (sans doute pour que les enfants se croient au camping) et de lancer une chasse à travers les USA aux “illégaux”, qui y vivent et travaillent depuis des années. Camps de concentration, oui, indéniablement. Qui ne signifient pas forcément qu’on y construit des chambres à gaz. Le gouvernement préférerait qu’on parle de “camps de détention”. C’est plus neutre. Attire moins l’attention sur le problème. Le banalise à l’extrême. On le comprend. Mais c’est intéressant de savoir que l’inventeur de la “loi Godwin”, selon laquelle “Plus une discussion en ligne dure longtemps, plus la probabilité d'y trouver une comparaison impliquant Hitler s'approche de 100%”, Mike Godwin donc, qu’on ne peut certes pas soupçonner d’invoquer les nazis sans se souvenir de sa loi et y réfléchir deux secondes, est intervenu sur MSNBC pour rectifier les propos d’un présentateur, et affirmer que loi Godwin ou pas, le terme de “camp de concentration”, aussi chargé soit-il, est le plus approprié pour décrire ce qui se passe.
L’Autre Quotidien, le 26 juin 2019

Je me suis souvent demandé pourquoi les braves gens de bonne conscience ne réagissent pas à des choses comme l'esclavage, l'Holocauste ou la violation des droits de la personne.

Peut-être sont-ils simplement devenus insensibles à l'horreur que constitue le fait que nous pensons et discutons rarement des hommes qui sont encore détenus à Guantánamo Bay sans inculpation ni procès, et qui pourraient tout aussi bien y mourir.

Peut-être que les gens se lassent de se débattre avec leur colère et leur impuissance, et qu'ils oublient cette pensée et essaient simplement de continuer leur vie, de s'occuper de leur conjoint et de leurs enfants, de faire le dîner et de faire les lits.

Peut-être qu'il y a simplement cette chose géante, silencieuse et froide qui dérive dans la culture comme un iceberg qui perce à peine la surface.

Je crois que nous réfléchirons un jour à cette période de l'histoire usaméricaine où les enfants migrants ont été séparés de leurs parents, certains ayant été enfermés en cage, et que nous nous demanderons : comment est-ce arrivé ?

Pourquoi n'étions-nous pas dans la rue tous les jours pour exiger la fin de cette atrocité ? Comment avons-nous pu continuer nos vies, dégoûtés mais pas distraits ?

Des milliers d'enfants migrants ont été séparés de leurs parents.

Comme NBC News l'a rapporté en mai :

« On sait qu'au moins sept enfants sont morts en détention depuis l'année dernière, après presque une décennie au cours de laquelle aucun enfant ne serait décédé sous la garde du Service des douanes et de la protection des frontières des USA ».

L'inspecteur général de la Sécurité intérieure a décrit les conditions monstrueuses dans les centres de détention.

Et, la semaine dernière, un avocat de l'administration Trump a fait valoir devant un panel incrédule de juges du neuvième circuit que les brosses à dents, le savon et des dispositions appropriées pour dormir n'étaient pas nécessaires pour que le gouvernement puisse satisfaire à son obligation de maintenir les enfants migrants dans des conditions « sûres et sanitaires ».

Comme l'un des juges l'a demandé à l'avocat :

« Êtes-vous sérieusement en train de soutenir que vous ne considérez pas que l'accord exige que vous fassiez autre chose que ce que j'ai décrit : Froid toute la nuit. Lumières allumées toute la nuit. Dormir sur le sol en béton et tu auras une couverture en aluminium ?"

Arrêtez-vous et réfléchissez à ça. Non seulement ces enfants n'ont pas de lits, mais on n'éteint même pas les lumières pour qu’ils puissent  dormir. La privation de sommeil est une forme de torture, purement et simplement.

Comment cela peut-il arriver ? Pourquoi est-ce que ça arrive ?

La semaine dernière, dans un rapport de l'Associated Press sur un poste de patrouille frontalière du Texas, des avocats décrivaient  « une nourriture, de l’eau eau et des sanitaires inadéquats pour les 250 nourrissons, enfants et adolescents ».

D'après le rapport :

« Un garçon de 2 ans enfermé en détention veut être tenu dans les bras tout le temps. Quelques filles, âgées de 10 à 15 ans, disent qu'elles ont fait de leur mieux pour nourrir et apaiser le tout-petit collant qui leur a été confié par un gardien il y a quelques jours ».

Le rapport explique ailleurs :

« Trois filles ont dit à des avocats qu'elles essayaient de s'occuper du garçon de deux ans, qui avait mouillé son pantalon et n'avait pas de couche et portait une chemise tachée de mucus quand l'équipe juridique l'a rencontré ».

Le rapport poursuit  :

« Une jeune Guatémaltèque de 14 ans a dit qu'elle tenait deux petites filles sur ses genoux. ‘Moi aussi, j'ai besoin de réconfort. Je suis plus grande qu'eux, mais je suis aussi une enfant’, a-t-elle dit."

Quiconque n'a pas le cœur brisé en lisant ça est un monstre. Et pourtant, trop d'USAméricains semblent parfaitement d'accord avec ces conditions. L'an dernier, Laura Ingraham de Fox News a comparé les centres de détention pour enfants à des "camps de vacances". Ce ne sont pas des camps d'été. Ils sont plus proches de ce que la députée Alexandria Ocasio-Cortez a appelé des camps de concentration.

Elle a reçu pas mal de retours de manivelle pour cette description, ses détracteurs se plaignant que le terme était trop étroitement lié aux horribles abominations de l'Holocauste.

Personne ne veut être accusé d'invoquer la loi de Godwin : « Quand une discussion en ligne se prolonge, la probabilité d'une référence ou d'une comparaison avec Hitler ou les nazis approche 1. ». En d'autres termes, 100 pour cent.

Cependant, la semaine dernière, le présentateur de MSNBC Chris Hayes a gazouillé :

« Dernier commentaire à ce sujet : Le terme " camp de concentration " est un terme extrêmement chargé et je comprends pourquoi beaucoup de gens sont, de bonne foi, mal à l'aise avec son application aux fins de la loi de Godwin, entre autres. Alors appelons-les simplement "camps de détention" et concentrons-nous sur ce qui s'y passe ».

Le créateur de la loi lui-même, Mike Godwin, a répondu :

« Chris, je crois que ce sont des camps de concentration. N'oubliez pas que l'une de leurs fonctions est de punir les personnes et les familles qui sont détenues. Donc, même le terme "chargé" est approprié ».

Les amis, nous pouvons utiliser toutes les formes de langage flou que nous voulons, mais les USA, sous la direction de Donald Trump, se livrent actuellement à un acte insensé. Il a promis de sévir contre les immigrés et pourtant, sous sa présidence, les immigrés demandeurs d'asile ont afflué. Et il affronte cette vague avec une cruauté indescriptible.

Donald Trump gère des camps de concentration à la frontière. La question est : qu'allons-nous faire à ce sujet ?

Charles M. Blow le 23 juin 2019
Traduit par Fausto Giudice


Merci à Tlaxcala
Source: https://www.nytimes.com/2019/06/23/opinion/trump-migrants-camps.html
Date de parution de l'article original: 23/06/2019
URL de cette page: http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=26357