Des mots pour en finir avec la maladie d'enfermer, par Tieri Briet

Il y a cette langue dans laquelle on se parle. La langue des enfermés. Celle qu'on recueille dans les parloirs des Centres de Rétention Administrative. Il y a l’écriture des paroles d'enfermés sur des feuilles de papier ramassées à la fin des marchés. En écrivant au pinceau, les mots passent par la main qui s'obstine à écrire. C'est un passage du silence vers la parole qu'on affiche sur les murs, les vitrines, au milieu des rues où on marche à plusieurs. Simple technique pour affronter les frontières avec les outils les plus simples. À mains nues, on écrit sur les murs des paroles d'enfermés pour désamorcer le très vieux piège humain des frontières, le contrôle policier des passeports.

C'est contre l'enfermement des Afghans qu'on affiche. Contre les menottes aux poignets des Soudanais. Contre les bouches scotchées à double tour pour empêcher les cris de ceux qu'on déporte à l'arrière des avions. Et maintenant c'est une lutte. Il faudra nous enfermer nous aussi pour empêcher qu'on affiche les paroles d'enfermés sur les murs d'une ville devenue carcérale.

Nos yeux savent lire ce que les exilés ont pu nous dire et maintenant c'est l'ignorance qu'on veut rendre impossible. Ce crime en silence qu'organisent les États en Europe, nous avons entendu l'appel des victimes qu'on enferme près d'ici, au bout de la rue où s'endorment nos enfants. Derrière le mur de l'école des hommes crient qu'on tabasse en attendant le jour de l'expulsion.

On peut chercher comment faire, écrire encore en attendant de cisailler les grillages, d'exploser les serrures et d'arracher les barbelés. En attendant de libérer les corps des enfermés on écrit leurs paroles sur les murs. Qu'ils soient libres dès demain eux aussi d'aller au devant, d'écrire sur les murs les mots qui leur sont importants. Des mots pour en finir une fois pour toutes avec la maladie d'enfermer ceux qui veulent s'en aller travailler. Étudier, enfanter et parler d'autres langues, écrire d'autres mots pour demain sur les murs.

Tieri Briet

Né en 1964 dans une cité de Savigny-sur-Orge où il grandit à l'ombre d'une piscine municipale, Tieri Briet vit aujourd'hui à Arles, au milieu d'une famille rom de Roumanie dont il partage la vie et le travail. Il a longtemps été peintre avant d'exercer divers métiers d'intermittent dans le cinéma et de fonder une petite maison d'édition de livres pour enfants. Devenu veilleur de nuit pour pouvoir écrire à plein temps, il est aussi l'auteur d'un récit sur les sans-papiers à travers les frontières, « Primitifs en position d'entraver », aux éditions de l'Amourier, de livres pour enfants et d'un roman où il raconte la vie de Musine Kokalari, une écrivaine incarcérée à vie dans l'Albanie communiste, aux éditions du Rouergue. Père de six enfants et amoureux d'une journaliste scientifique, il écrit pour la revue Ballast, Kedistan et L'Autre Quotidien, et voyage comme un va-nu-pieds avec un cahier rouge à travers la Bosnie, le Kosovo et la Grèce pour rédiger son prochain livre, « En cherchant refuge nous n'avons traversé que l'exil ». 

Blog perso : Un cahier rouge