Cannabis canadien. Moins de liberté qu'espéré pour le consommateur, mais une fortune en jeu

Des plants de cannabis dans l'entreprise Up's à Lincoln, dans l'Ontario.

Des plants de cannabis dans l'entreprise Up's à Lincoln, dans l'Ontario.

C’est le mercredi 17 octobre que la consommation de cannabis sera légale au Canada. Après bien des rebondissements, l’épée de Damoclès de la répression criminelle ne pendra plus au-dessus des têtes des consommateurs. Toutefois l’encadrement réglementaire de l’exercice de ce droit risque de restreindre de beaucoup la liberté attendue et promise.

La démarche aura aussi montré la bataille entre prohibitionnistes qui n’y croyaient pas et qui ne voulaient en aucun cas être impliqué dans cette opération (voir notamment Carlos Leitao) et ceux qui y ont vu une opportunité d’affaires pour les investisseurs comme Canopy (capitalisation de 6,1 milliards$), Aurora Cannabis (capitalisation de 7 milliards$) ou Aphria Inc. (capitalisation de 2,1 milliards$) de se positionner avantageusement dans un marché en pleine expansion (cannabis médical légalisé en 2001, récréatif, produits dérivés comme la bière) et une façon de désengorger le système de justice.

L’enjeu financier est illustré par les performances du secteur en bourse. La valeur des actions des compagnies inscrites à la Bourse de New York explosait. En septembre dernier, l’action de Tilray —une entreprise canadienne cotée à New York— bondissait de 47,12% à 228 dollars. Cronos, une autre sociétés canadienne également cotée sur la place new-yorkaise, gagnait 23,10%. Canopy Growth voyait son action bondir de 5,7%. « Si vous êtes un investisseur dans une compagnie pharmaceutique ou que vous êtes une compagnie pharmaceutique, il faut vous protéger contre le risque d’une substitution par le cannabis » des médicaments anti-douleur, a affirmé Brendan Kennedy, PDG de Tilray. Parallèlement, « je pense que toutes les entreprises distribuant de l’alcool doivent entrer dans le secteur », a-t-il ajouté. « C’est une opportunité au niveau mondial ».

Constellation Brands, vendeur des bières Modelo et Corona, a d’ailleurs investi récemment 4 milliards de dollars dans Canopy Growth. Le brasseur Molson Coors a aussi noué un partenariat avec Hydropothecary pour des boissons infusées au cannabis. Bref, il se brasse de grosses affaires dans le secteur du cannabis récréatif et médical (Le marché canadien du cannabis non médicinal valait 3,3 G$ en 2016).

Pour résumer, l’industrie canadienne se positionne afin d’être numéro un dans la fourniture de cannabis à des fins médicales ou récréative à l’échelle mondiale. Les objectifs affirmés par Justin Trudeau de lutter contre le marché noir et la mafia n’est que l’arbre qui cache la forêt.

...mais encadré comme jamais auparavant

Celles et ceux qui rêvaient à une consommation libre du cannabis devront déchanter. Légal mais encadré par le lobby prohibitionniste qui s’appuie sur des craintes montées en épingle. Comme le faisait remarquer un lecteur du journal Le Devoir, le.la consommateur-trice devra surmonter des règlementations qui rendront la consommation presqu’impossible. Interdiction de consommer sur le domaine public, sauf à quelques endroits (certains arrondissements de Montréal, entre autre). « On devine que le désarroi ne pourrait être plus complet chez vous, amateurs de la substance, qui viviez pourtant jusque-là dans une harmonie presque sans nuages avec vos congénères abstinents », affirme ce lecteur avisé. Des clauses incluses dans les baux de condos et d’appartement qui viennent policer les relations entre locataires-propriétaires. Une réglementation portant sur la sécurité routière et la consommation de cannabis qui semble davantage inspirée par des suppositions que par des constats basés sur des études sérieuses. Les instruments (le Dräger Drug Test 5000, le nouveau détecteur de drogues approuvé à 6000 $ dont les policiers vont se munir !) pour mesurer le taux de THC dans le sang qui sont loin de faire l’unanimité quant à leur fiabilité. Pour résumer, ce sera légal mais nulle part pour exercer ce nouveau droit...

Le PQ et la CAQ ont tous deux fait pression sur le gouvernement libéral afin que la consommation dans les endroits publics soit interdite. Ils ont gagné ce point pour l’instant. La CAQ maintenant au pouvoir affirme qu’elle fera passer l’âge légal pour consommer de 18 à 21 ans, laissant ainsi le champ libre aux mafias.

Une campagne de peur pour limiter les droits des consommateurs

Une campagne de peur a démarré depuis peu afin de serrer la corde de nouveau. « Les jeunes canadiens sont les plus à risque d’être impliqués dans un accident après avoir consommé du cannabis » affirme le CAA. « Légalisation du cannabis : 3 parents sur 4 au Québec sont inquiets » clame la Fondation Jean-Lapointe.

La consommation de cannabis pourrait augmenter de 35% après la légalisation, prétend une étude du cabinet d’audit et de conseils financiers Deloitte. L’Association médicale canadienne quant à elle y vas d’une charge avec menace à peine voilée : « Toute augmentation de l’usage du cannabis à des fins récréatives après l’entrée en vigueur de la légalisation, autant chez les adultes que chez les jeunes, doit être vue comme un échec de la législation » Et pour couronner le tout, les conservateurs fédéraux prévoient l’apocalypse aux lendemains du 17 octobre.

Le Conseil du patronat du Québec prône la tolérance zéro envers les employé.e.s qui consommeraient du cannabis. La Fédération des entreprises indépendantes souhaite que les employeurs puissent détenir tous les pouvoirs en matière de consommation au travail. La FCEI était aussi parmi les adeptes de la vente de cannabis par le privé. La Fédération des chambres de commerce y a ajouté son grain de sel prohibitionniste. Selon l’Association canadienne des chefs de police, la mafia est là pour rester dans le marché du cannabis, légalisation ou pas. Alors à quoi bon...

Le Canada en légalisant le cannabis, contreviendrait à des traités internationaux mettant sa crédibilité en question. Selon une rumeur bien entretenue par les conservateurs, les usager.ère.s pourraient se voir refuser l’entrée dans certains pays, notamment les Etats-Unis, rumeur que s’est avérée fausse.

Pourtant, ces hurleurs ne font aucun effort pour vérifier leurs dires dans les expériences des Etats qui ont déjà légalisé le cannabis. Aucune mention sur ce qui advient de la consommation au Colorado, dans l’Etat de Washington ou dans les autres Etats américains où la cannabis a été légalisé. Et l’expérience des Pays-Bas où le cannabis est vendu dans des coffee shop depuis des décennies. Les Pays-Bas sont pourtant un des pays avec le taux d’usage du cannabis parmi les plus bas en Europe. Et évidemment rien sur les effets négatifs du commerce illicite par les mafias sur la santé des consommateurs.trices.

Si l’on veut jeter le blâme sur Justin Trudeau, ce n’est pas pour souligner sa précipitation, ni d’avoir tenu sa promesse de légaliser le cannabis. Il serait plus judicieux de souligner que comme tout parti politique néolibéral, le PLC a procédé de façon bureaucratique sans tenir de débat public qui aurait permit d’outiller la population contre la démagogie des prohibitionnistes.

Pour être prêts, il faut se préparer

Le lobby patronal se déclare peu préparé en vue de la légalisation. Le lobby des corps policiers sont inquiets de la rapidité avec laquelle procède le gouvernement fédéral. Le PLQ au pouvoir jusqu’à récemment réclamait un délai à Ottawa une année supplémentaire. Le Bloc québecois et le NPD ont prétendu que Justin Trudeau procède ainsi pour refiler le problème aux provinces. Le NPD ajoute que le fédéral n’a pas accordé assez de temps aux provinces pour se préparer. Or, on l’a constaté, les libéraux se sont trainé les bottines jusqu’au dernier moment. Ils ont décrété les conditions de travail des futurs employé.e.s de la SQDC (Société québecoise du cannabis) pour faire en sorte de rendre le travail le moins attirant possible. En bref, on leur aurait demandé de saboter le processus qu’il n’en aurait pas été autrement.

Lutter contre le lobby prohibitionniste

Le droit de cultiver la plante. L’interdiction de cultiver la plante livre les consommateurs.trices pieds et poings liés à l’industrie. Il sera interdit de se trouver en possession ou de consommer du cannabis que ne sera pas vendu par la SQDC. Une telle disposition doit être revue rapidement. Rien ne justifie que l’on interdise la culture alors que les gens peuvent cultiver n’importe quelle autre plante, y compris le tabac ou que l’on peut produire son propre alcool. Que l’on recherche des solutions qui excluent la culture intérieure dans les appartement ne constitue pas un obstacle si l’on fouille activement des solutions alternatives (jardin communautaire ou autre).

Contre la CAQ et sa volonté de porter l’âge légal à 21 ans. Le lobby des psychiatres a poussé les résultats de recherches indiquant les dommages au cerveau en formation que pourrait provoquer la consommation de cannabis à un jeune âge. Des comités de parents ont emboité le pas. Pourtant, plusieurs intervenants ont indiqué qu’une telle mesure ne fera que pousser les jeunes vers le marché noir. Même les libéraux de Couillard avaient compris cette évidence.

Le droit de consommer en public. La CAQ a affirmé que la consommation en public sera interdite. La Direction de la santé publique du Québec a quant à elle indiqué que la règlementation devrait s’inspirer de celle portant sur le tabac et que le gouvernement et les municipalités devraient éviter d’en restreindre davantage la consommation au risque de voir le marché noir conserver sa part du marché, surtout auprès des jeunes et les amendes se multiplier, ce qui irait à l’encontre de l’objectif de déjudiciariser la consommation du cannabis.

Pour le droit à la syndicalisation du personnel de la SQDC. Les conditions de travail des futurs employé.e.s de la SQDC seront telles que la profession sera loin d’être valorisé, alors que le rôle pourtant fondamental des employé.e.s sera de sensibiliser les consommateurs-trices aux risques associés aux excès possibles et aux vertus de la consommation du cannabis. Ils et elles auront un mandat important et l’Etat leur offre des conditions de travail tout juste au-dessus des conditions minimales de travail. Heureusement, la FTQ (SCFP et TUAC) et la CSN à laquelle centrale les employé.e.s de la SAQ sont déjà affilié.e.s sont sur la ligne de départ pour la syndicalisation des employé.e.s de la SQDC.

Yves Bergeron
Cet article a été publié dans Presse-toi à gauche, une tribune libre pour la gauche québecoise

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